La réforme pénale marque du sceau Taubira la justice du quinquennat socialiste. L’occasion de revenir sur celle qui conserve la confiance de François Hollande.
« Déconstruit le système répressif?». «?Ouvre grand les fenêtres des prisons?». «?Aggrave le niveau de la délinquance?». «?Met gravement en danger la sécurité de nos concitoyens?». En ce 17?juillet, salle des Quatre Colonnes, la réforme pénale de Christiane Taubira ne laisse personne indifférent.
C’est une double victoire pour la garde des Sceaux qui a vu son projet de réforme pénale adopté ce jour-là au Parlement et validé dans la foulée par le Conseil constitutionnel. L’énoncé de la loi relative à l’individualisation des peines et à la prévention de la récidive est explicite : réduire cette récidive et amorcer une sortie de la politique du «?tout-carcéral?». La ministre de la Justice le rappelle d’ailleurs au cas où aux journalistes : «?La prison, c’est l’école de la récidive?».

Une loi et une femme
La réforme pénale, c’est le récit d’une lutte intestine entre la ligne de gauche et de celle du gouvernement : il y a l’esprit de la loi Taubira et celui du respect de la ligne du gouvernement. C’est également celui d’une loi et d’une femme, où se profile le portrait d’une militante convaincue à travers le prisme d’une loi qui fait horreur à l’opposition. L’histoire commence en septembre?2012, quatre mois après l’arrivée de François Hollande à l’Élysée. Christiane Taubira, nouvellement nommée, mène une large concertation, la conférence de consensus sur la récidive.
Le but ? Recenser les expériences et pratiques professionnelles relatives aux peines de prison ayant fait leurs preuves en France et à l’étranger. Participent aux travaux des associations, des professionnels de la justice, des juristes, des membres des forces de sécurité, des universitaires français et étrangers. Pour sa présidente, Françoise Tulkens, l’idée est claire : «?Il faut sortir de la centralité de la peine de prison, invention née au XIXe?siècle et en faire une peine parmi d’autres.?»
Un an plus tard, le texte de loi est présenté pour la première fois. Commence alors le long bal des auditions des experts et acteurs du monde judiciaire.

Du côté du gouvernement, les premières résistances s’affichent, à commencer par celle, place Beauvau, de Manuel Valls. En juillet?2013, le ministre de l’Intérieur écrit au président de la République pour lui demander de renoncer au texte. Une guerre épistolaire éclate entre les deux ministères. François Hollande désamorce le conflit en retenant la réforme, mais sous une forme édulcorée et en repoussant son examen après les élections municipales de mars?2014. Face à la presse, la ministre de la Justice tente de minimiser le correctif : «?Ce qui compte c’est l’efficacité et non telle ou telle ligne supprimée.?» Pas rancunière ? Même Manuel Valls met aujourd’hui de l’eau dans son vin : «?Dire que c’est Madame Taubira qui souhaite vider les prisons de France n’a aucun sens?», lance-t-il à l’Assemblée.

Retour au débat. À la Chambre haute, le sénateur socialiste Jean-Pierre Michel est désigné rapporteur du texte. Il souhaite rendre la peine de la contrainte pénale autonome, «?dans la ligne de ce qu’est la gauche?» quitte à ce que cette ligne ne soit pas celle du gouvernement. Ainsi, pour une petite liste de délits – vol simple et leur recel, délit routier, usage de stupéfiants, délit de fuite, occupation des halls d’immeuble, etc. –, il n’y aurait plus de peine de prison encourue. «?Subir durant plusieurs mois ou années des obligations fortes est aussi contraignant que de passer quelques mois en prison?», justifie-t-il. Même écho, place Vendôme : «?C’est déjà une sanction très lourde et les obligations sont plus larges aujourd’hui par rapport à ce que le sursis avec mise à l’épreuve prévoyait.?» Et, événement assez rare pour être retenu, en commission, les sénateurs de droite, Jean-Jacques Hyest (Seine-et-Marne) et Jean-René Lecerf (Nord) notamment, approuvent la position socialiste selon laquelle les faibles peines de prison seraient inutiles.

Au printemps 2014, Jean-Pierre Michel supprime toutefois la mesure pour les vols afin de mieux faire passer son amendement. Et le 25?juin, la garde des Sceaux ôte le passage. Par «?loyauté envers son gouvernement?», dit en souriant Jean-Pierre Sueur, président PS de la commission des lois. A l’Assemblée nationale, quinze jours plus tard, la commission mixte paritaire a bien balayé les mesures élargies envisagées par Jean-Pierre Michel.

«?On l’aime ou on la déteste?»
Parmi les critiques à l’endroit de la garde des Sceaux, on lui reproche de ne rien inventer avec cette réforme. La peine probatoire existe depuis 1958 avec le sursis de mise à l’épreuve (SME). Mais c’est sous-estimer l’objectif de sa loi : favoriser la réinsertion du délinquant. Une loi qui lui ressemble en quelque sorte, à la fois humaniste, savante et ambitieuse. Car Christiane Taubira est une fervente partisane de l’éducation comme rempart à la sanction. En mettant fin aux condamnations lourdes et automatiques mises en place par le gouvernement Sarkozy entre?2007 et?2011, elle applique à la lettre le programme présidentiel actuel de déconstruction des mesures du quinquennat précédent. Quitte à diviser l’opinion publique. «?Christiane Taubira défend ses idées avec autant de passion que de ténacité?», reconnaît le sénateur du Loiret.

«?Comme Rachida Dati à l’époque, la garde des Sceaux, on l’aime ou on la déteste, il n’y a pas de demi-mesure?», admet Christophe Regnard, le président de l’Union syndicale des magistrats (USM). Indéniablement, cette figure de gauche et de tête n’en a que faire.
Rien ne la prédestinait pourtant, jeune femme issue d’une famille modeste guyanaise, à devenir ministre. C’est la venue d’André Malraux sur ses terres en 1958 qui a été l’élément déclencheur : «?Je veux faire le même métier que lui?», répète-t-elle. Vingt ans plus tard, aux côtés de son mari Roland Delannon, elle s’engage comme militante indépendantiste. Une période de sa vie dont elle est très fière et que bien des personnalités de droite ne manquent pas de lui reprocher. En 1992, elle fonde avec lui le parti Walwari – «?éventail?» en créole –, dont l’objectif revendiqué est de «?remporter une victoire contre le parti socialiste guyanais, alors omnipotent sur la scène politique locale?».
Elle devient par la suite députée durant une vingtaine d’années, dont cinq à siéger au Parlement européen. Intrépide et jusqu’au-boutiste, Christiane Taubira fonce sans faillir, sans doute «?de peur de décevoir ses meilleurs ennemis?», ironise Philippe Bilger, auteur du non moins explicite Contre la justice laxiste, Carton rouge à Taubira (éditions L’Archipel, avril?2014), qui lui reconnaît toutefois être «?beaucoup plus intelligente et fine que ne pouvaient l’être Rachida Dati ou Michèle Alliot-Marie?».
Pour l’ancien magistrat, la ministre de la Justice a une obsession, celle d’accoler son nom à une loi. Tout a commencé en 2001 avec la «?loi Taubira?» tendant à la reconnaissance des traites et des esclavages comme un crime contre l’humanité. Puis, en 2013 avec la loi sur le mariage pour tous qui a déchaîné passions et manifestations, ainsi qu’injures et bavures racistes. Une expérience qui lui inspire au printemps 2014 la rédaction de Paroles de liberté (Flammarion), où elle revient sur les vexations connues à l’école à Cayenne et raconte «?l’intensité de la brûlure qu’inflige la blessure percée à vif par la parole raciste?».

«?C’est un bon texte, mais inachevé?»
Christiane Taubira est explicite. Lors du passage de la loi devant le Sénat le 24?juin 2014, elle prévient : «?La peine doit servir à punir. Son exécution doit préparer à la réinsertion. C’est valable pour les courtes peines et aussi pour les longues.?» Problème : c’est pour les courtes peines qu’on observe aujourd’hui le moins d’aménagement et de préparation de la sortie. Désormais, l’emprisonnement ferme ou avec sursis, la contrainte pénale et la sanction pécuniaire, forment un triptyque. «?Tout devient plus clair et on a la prison, la progression et la peine pécuniaire?», reprend en audition au Sénat Robert Badinter. L’ancien ministre de la Justice voit enfin là la possibilité d’obtenir un consensus pour des dizaines d’années, même s’il déplore un texte qui ne va pas assez loin. «?C’est un bon texte, mais inachevé?».
Et pour cause. Le nombre de détenus dans les prisons françaises bat records sur records.
Entre?2001 et?2012, il a augmenté de 35?%, tandis que le taux de récidive a grimpé, lui, de 4,9?% à 12,1?%. Le problème va plus loin, puisque les prisons comptent 57 680 places et un taux d’occupation de 119?%. Un constat sans appel que partage Jean-Marie Delarue, contrôleur général des lieux de privation de liberté : «?En 1975, on comptait 28 000 personnes écrouées, en 1985 ils sont 45 000, en 1995 53 000, en 2005 59 000 et aujourd’hui 68 600.?» Et c’est sans parler des conditions de détention jugées à maintes reprises «?inacceptables?» par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH).
Désormais, le taux d’incarcération est d’environ d’une centaine de détenus pour cent mille habitants. Un taux nettement supérieur à celui de l’Allemagne – qui proscrit la prison pour les petites peines de moins de six mois – et des pays scandinaves, mais bien inférieur à ce qu’il est en Angleterre et en Espagne, où il avoisine les 150.

Suppression des peines planchers et contrainte pénale
Parmi les mesures phares prévues par la loi, on trouve la suppression des peines planchers et la fin de l’automatisation des condamnations. Pour Yves Detraigne, sénateur UDI et membre de la commission des lois au Sénat, «?ces peines planchers n’ont eu aucun impact sur la prévention de la récidive et ont uniquement aggravé la surpopulation carcérale.?» Cette mesure ravit les magistrats, qui voient là une réaffirmation du rôle du juge en lieu et place de toute subrogation étatique. «?Cette nouveauté est une bonne chose, les magistrats retrouvent leur libre appréciation?», se réjouit-on à l’USM.

Autre point, celui de la contrainte pénale. Il s’agit de créer une peine hors les murs des prisons, en dehors de l’incarcération. «?C’est une peine de grande contrainte, qui s’ajoute à tout l’arsenal pénal, mais qui ne désocialise pas?», précise la garde des Sceaux. Cette nouvelle mesure probatoire vient compléter plusieurs peines dites «?de milieu ouvert?». Sa mise en œuvre intervient dès le prononcé de la peine et élargit ainsi les solutions à la disposition du juge lors d’une condamnation. Elle vise à soumettre le condamné à un ensemble d’obligations et d’interdictions et à un accompagnement soutenu pendant une durée qui peut aller jusqu’à cinq ans. Les obligations vont de la réparation des dommages causés par l’infraction à l’obligation de suivre un enseignement ou une formation professionnelle, en passant par des traitements médicaux ou des soins, voire un stage de citoyenneté. «?En s’inscrivant dans la droite ligne du sursis avec mise à l’épreuve (SME), la contrainte pénale permet un contrôle et un suivi renforcé?», explique Christophe Regnard. Le sursis avec mise à l’épreuve est davantage une peine d’emprisonnement conditionnel prononcée, mais qui ne sera exécutée que si la personne ne respecte pas ses obligations. La majorité des juges de l’application des peines (JAP) reste d’ailleurs sceptique quant à la limite des cinq ans. Les magistrats peuvent déjà, même pour les délits les plus graves, prononcer ce sursis.

La pilule ne passe pas
La réforme divise plus encore, à l’instar de son auteure. Pour la droite, après l’épisode du mariage pour tous, la pilule ne passe décidément pas. Rachida Dati accuse le gouvernement actuel d’oublier les victimes et réclame, au contraire, la création de places supplémentaires de prison. «?Ce texte est presque un texte de circonstances atténuantes pour les délinquants?». L’ancienne garde des Sceaux déplore qu’il n’y ait «?pas un mot pour les victimes. Ces dernières sont toujours accessoires pour la gauche.?»
Même l’inclassable romancier Michel Houellebecq y va de son commentaire : «?C’est la plus efficace pour faire monter le FN.?»
Du côté des syndicats de police, on regrette également la mesure : «?Le seul responsable de la récidive est le récidiviste, et il convient donc de le punir de plus en plus sévèrement au fil des récidives, et non de le choyer en lui cherchant toujours des excuses?», assure Denis Jacob, secrétaire administratif d’Alliance Police nationale.
Plus nuancé, mais tout aussi déterminé, Philippe Bilger poursuit : «?Le poncif humaniste qui laisse entendre que la prison est l’école du crime, je pourrais l’accepter s’il ne venait pas d’une gauche qui n’accepte pas le principe que la récidive est d’abord le fait du récidiviste. On inscrit dans l’esprit public que la France a désormais une politique pénale sociale qui prétend préférer ses fantasmes à la réalité du pays. Le délit est créé par le délinquant. La prison est nécessaire pour sauvegarder la société devant des comportements dévastateurs.?»
Avis partagés à l’Institut pour la justice dont le délégué général Alexandre Giuglaris précise que «?les courtes peines de prison sont généralement prononcées après une succession de peines en milieu ouvert qui ont échoué – sursis simple, travail d’intérêt général, sursis avec mise à l’épreuve. Et c’est seulement au terme de ces échecs successifs, qui n’ont pas empêché la récidive ou la réitération d’infractions, que les magistrats prononcent des courtes peines d’emprisonnement.?»
Au sein de la magistrature, on est également divisé, à l’image de Céline Parisot, secrétaire nationale de l’USM : «?c’est utopique de mettre en œuvre la contrainte pénale, on se demande quels moyens on va nous donner pour la faire fonctionner. Déjà en 2009, la réforme de la carte judiciaire n’avait pas pu être totalement réalisée par manque de moyens.?» Autres moyens à prévoir, celui de la construction de 20 000?à 30 000 places supplémentaires de prison, selon les chiffres avancés par l’opposition. La réforme pénale n’en prévoit, elle, que 6 500.

Les places de prison, la justice des mineurs et leur éducation, «?le chantier de la justice du XXIe?siècle?» ... Encore bien des projets pour la garde des Sceaux. Et alors qu’on parlait d’un éventuel prochain remplacement place Vendôme au profit de la Culture ou de l’Éducation nationale, Christiane Taubira reste finalement au gouvernement Valls II, alors même que tous les représentants de la gauche du PS - Montebourg, Hamon et Filippetti - ont été écartés.
«?À chaque fois, je dis que c’est fini?», confie-t-elle. Avant de recommencer et de trouver une nouvelle bataille.

Julien Beauhaire et Camille Drieu

photo : © ministère de la Justice-Dicom-C.Montagné

Pour aller plus loin :
Entretien avec la garde des Sceaux
Qui êtes-vous Madame la garde des Sceaux ?
Les avis du rapporteur Jean-Pierre Michelde l'ancien magistrat Philippe Bilger, du sénateur Jean-Pierre Sueur et de Denis Jacob d'Alliance police.



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