Rien ne vaut l’action. Tel est le mot d’ordre de la profession d’avocat, jeune génération en tête.
L’innovation juridique comme planche de salut
L’incubateur du barreau de Paris, formé par de jeunes avocats bien décidés à faire bouger les choses, doit servir de tremplin aux idées novatrices : un « do thank » plutôt qu’un « think thank », avec des initiatives pour élargir le champ d’intervention des avocats. La première conférence, organisée au Numa le 9 octobre, a lancé l’opération reconstruction.
Révolution du XXIe siècle
L’accès à des informations juridiques par le biais d’Internet et leur diffusion par des acteurs aussi variés qu’incontrôlables inquiètent les avocats. Eux-mêmes sont garants de la pertinence du conseil juridique donné. Sur le Net, rien n’est encadré. Pour le business, la mise à disposition de ces données n’est pas sans danger. L’intelligence artificielle, révolution industrielle du XXIe siècle et première thématique abordée, fait ainsi l’objet de doutes et de craintes de la part d’une profession dont l’exercice professionnel se trouve bouleversé. Comment relever le défi de l’ascension fulgurante de l’intelligence artificielle dans le domaine juridique ? Comment se positionner contre les générateurs de documents juridiques en ligne ?
Jusqu’alors, les avocats se démarquaient par leur faculté à prodiguer des conseils personnalisés aux clients. Néanmoins, les avancées de l’intelligence artificielle sont telles que, désormais, les sites en ligne peuvent réaliser des prestations juridiques quasi sur mesure. Plus le progrès technique avancera, plus la personnalisation sera importante. Les acteurs du monde du droit se retrouvent à ce niveau peu à peu devancés.
Trois mille start-up juridiques
Les chiffres sont frappants puisque près de trois mille start-up ont vu le jour dans le domaine du droit en trois ans. Selon Pierre Aïdan, co-fondateur de Legalstart en France, l’explosion du secteur internet aux États-Unis depuis 2010 s’accompagne d’une forte croissance du chiffre d’affaires de ces entreprises. Le site de solutions juridiques pour la vie de tous les jours, Legalzoom, affiche un chiffre d’affaires de 250 millions de dollars en 2013 et a bénéficié cette année de deux cents millions de dollars d’investissements par des fonds spécialisés. Son concurrent, Rocketlawyer, offre ses services à plus de vingt millions de clients et a consacré cent millions à l’investissement et à la R&D en 2013. Plus fondamentalement, outre-Atlantique, près de 80 % des citoyens n’ont pas accès aux services juridiques adéquats, par manque de moyens mais aussi par défiance. Un chiffre qui laisse un champ d’intervention immense aux experts du Web.
En Europe, les pourcentages sont très similaires. Avec Legalstart, les deux fondateurs proposent ainsi des documents en ligne pour créer une société. L’opération est d’une grande simplicité et le prix beaucoup moins élevé que pour les services d’un avocat.
Une alliance ?
Face à cette concurrence des non-avocats sur le terrain du droit, les professions du droit doivent se concentrer sur les tâches à forte valeur ajoutée tout en diversifiant leur offre de services pour élargir leur panel de clients. Pourquoi ne pas s’allier à ces sites en passe de devenir incontournables et proposer des prestations conjointes ? Expertise d’un avocat sur des questions complexes combinée à l’accessibilité et à la fluidité de ces nouveaux services en ligne peut être l’équation efficace. Le conseil de l’ordre de Paris réfléchit actuellement aux moyens de faire évoluer la déontologie de la profession afin de l’adapter aux défis que devront relever les avocats.
Une guerre d’idées
L’élargissement du champ d’action des avocats passe aussi par l’augmentation de leurs moyens financiers. En raison notamment de l’interdiction d’ouvrir le capital des cabinets aux non-avocats, les modes de financement sont limités. « Il faut apporter à nos structures les moyens de leur développement », martèle Lionel Scotto, fondateur de Scotto & Associés. Avoir des fonds propres permettrait de développer des services, d’innover et d’avoir les moyens de ses ambitions. Surtout, dans le contexte concurrentiel dans lequel se trouvent les cabinets d’avocats. L’ouverture minoritaire de leur capital servirait particulièrement aux structures françaises, qui, face aux réseaux étendus des firmes anglo-saxonnes, ne parviennent pas à être concurrents par la taille et l’ampleur de l’intervention. Les professions partenaires, du droit et du chiffre, les banques d’affaires et les fonds d’investissement, mais aussi les familles, lorsqu’elles croient à l’avenir prometteur de leur jeune avocat, seraient les partenaires idéaux des structures désireuses d’ouvrir leur capital.
Les chiffres révèlent cependant un réel blocage : si 53 % des avocats d’affaires se montrent favorables à une ouverture minoritaire du capital à des non-avocats (chiffres Day One), les membres du CNB se disent contre à près de 75 %. L’indépendance et la déontologie sont au centre de ce refus. Une guerre d’idées fait rage entre le barreau d’affaires et les instances représentatives nationales. Cette même confrontation a déjà ébranlé le Royaume-Unis lors de l’adoption du legal services acte en 2007. Maintenant que l’ouverture du capital d’un cabinet est permise, même à 100 % aux non-avocats, l’équilibre se fait naturellement. Et le marché reste prudent puisque seuls 320 cabinets britanniques sur les 10 200 que comptent le pays ont ouvert leur capital (sources : Law society, Sollicitors regulation authority et Legal services board).
Retour aux sources
Compter sur la jeune génération pour faire évoluer la profession exige aussi de repenser sa formation. L’université est montrée du doigt, avec un enseignement théorique et élitiste. Pour le professeur Pierre-Yves Gauthier, représentant de l’université Paris II, « rien ne peut remplacer le transfert de compétences de l’université aux écoles. Ce transfert de savoir est la force de la profession. » L’enquête réalisée par carrieres-juridiques.com montre pourtant le contraire. Les anciens élèves des écoles ont un œil très critique sur les cinq ans d’enseignement universitaire et de la formation à la profession.
Près de 40 000 avocats en France, une force ou une faiblesse ? L’idée selon laquelle les avocats sont trop nombreux dans l’Hexagone doit être absolument et irrémédiablement enterrée. Les représentants des différentes formations d’avocats (universités, École du droit, EFB, Sciences-Po) sont unanimes : les avocats sont beaucoup moins nombreux en France que dans nos pays voisins, proportionnellement au nombre d’habitants ou selon le PIB par habitant. Le marché n’est pas saturé, la marge de progression du business n’est pas une illusion.
Laura Lizé et Pascale D'Amore
Copyright : Nobuhiro Asada
Révolution du XXIe siècle
L’accès à des informations juridiques par le biais d’Internet et leur diffusion par des acteurs aussi variés qu’incontrôlables inquiètent les avocats. Eux-mêmes sont garants de la pertinence du conseil juridique donné. Sur le Net, rien n’est encadré. Pour le business, la mise à disposition de ces données n’est pas sans danger. L’intelligence artificielle, révolution industrielle du XXIe siècle et première thématique abordée, fait ainsi l’objet de doutes et de craintes de la part d’une profession dont l’exercice professionnel se trouve bouleversé. Comment relever le défi de l’ascension fulgurante de l’intelligence artificielle dans le domaine juridique ? Comment se positionner contre les générateurs de documents juridiques en ligne ?
Jusqu’alors, les avocats se démarquaient par leur faculté à prodiguer des conseils personnalisés aux clients. Néanmoins, les avancées de l’intelligence artificielle sont telles que, désormais, les sites en ligne peuvent réaliser des prestations juridiques quasi sur mesure. Plus le progrès technique avancera, plus la personnalisation sera importante. Les acteurs du monde du droit se retrouvent à ce niveau peu à peu devancés.
Trois mille start-up juridiques
Les chiffres sont frappants puisque près de trois mille start-up ont vu le jour dans le domaine du droit en trois ans. Selon Pierre Aïdan, co-fondateur de Legalstart en France, l’explosion du secteur internet aux États-Unis depuis 2010 s’accompagne d’une forte croissance du chiffre d’affaires de ces entreprises. Le site de solutions juridiques pour la vie de tous les jours, Legalzoom, affiche un chiffre d’affaires de 250 millions de dollars en 2013 et a bénéficié cette année de deux cents millions de dollars d’investissements par des fonds spécialisés. Son concurrent, Rocketlawyer, offre ses services à plus de vingt millions de clients et a consacré cent millions à l’investissement et à la R&D en 2013. Plus fondamentalement, outre-Atlantique, près de 80 % des citoyens n’ont pas accès aux services juridiques adéquats, par manque de moyens mais aussi par défiance. Un chiffre qui laisse un champ d’intervention immense aux experts du Web.
En Europe, les pourcentages sont très similaires. Avec Legalstart, les deux fondateurs proposent ainsi des documents en ligne pour créer une société. L’opération est d’une grande simplicité et le prix beaucoup moins élevé que pour les services d’un avocat.
Une alliance ?
Face à cette concurrence des non-avocats sur le terrain du droit, les professions du droit doivent se concentrer sur les tâches à forte valeur ajoutée tout en diversifiant leur offre de services pour élargir leur panel de clients. Pourquoi ne pas s’allier à ces sites en passe de devenir incontournables et proposer des prestations conjointes ? Expertise d’un avocat sur des questions complexes combinée à l’accessibilité et à la fluidité de ces nouveaux services en ligne peut être l’équation efficace. Le conseil de l’ordre de Paris réfléchit actuellement aux moyens de faire évoluer la déontologie de la profession afin de l’adapter aux défis que devront relever les avocats.
Une guerre d’idées
L’élargissement du champ d’action des avocats passe aussi par l’augmentation de leurs moyens financiers. En raison notamment de l’interdiction d’ouvrir le capital des cabinets aux non-avocats, les modes de financement sont limités. « Il faut apporter à nos structures les moyens de leur développement », martèle Lionel Scotto, fondateur de Scotto & Associés. Avoir des fonds propres permettrait de développer des services, d’innover et d’avoir les moyens de ses ambitions. Surtout, dans le contexte concurrentiel dans lequel se trouvent les cabinets d’avocats. L’ouverture minoritaire de leur capital servirait particulièrement aux structures françaises, qui, face aux réseaux étendus des firmes anglo-saxonnes, ne parviennent pas à être concurrents par la taille et l’ampleur de l’intervention. Les professions partenaires, du droit et du chiffre, les banques d’affaires et les fonds d’investissement, mais aussi les familles, lorsqu’elles croient à l’avenir prometteur de leur jeune avocat, seraient les partenaires idéaux des structures désireuses d’ouvrir leur capital.
Les chiffres révèlent cependant un réel blocage : si 53 % des avocats d’affaires se montrent favorables à une ouverture minoritaire du capital à des non-avocats (chiffres Day One), les membres du CNB se disent contre à près de 75 %. L’indépendance et la déontologie sont au centre de ce refus. Une guerre d’idées fait rage entre le barreau d’affaires et les instances représentatives nationales. Cette même confrontation a déjà ébranlé le Royaume-Unis lors de l’adoption du legal services acte en 2007. Maintenant que l’ouverture du capital d’un cabinet est permise, même à 100 % aux non-avocats, l’équilibre se fait naturellement. Et le marché reste prudent puisque seuls 320 cabinets britanniques sur les 10 200 que comptent le pays ont ouvert leur capital (sources : Law society, Sollicitors regulation authority et Legal services board).
Retour aux sources
Compter sur la jeune génération pour faire évoluer la profession exige aussi de repenser sa formation. L’université est montrée du doigt, avec un enseignement théorique et élitiste. Pour le professeur Pierre-Yves Gauthier, représentant de l’université Paris II, « rien ne peut remplacer le transfert de compétences de l’université aux écoles. Ce transfert de savoir est la force de la profession. » L’enquête réalisée par carrieres-juridiques.com montre pourtant le contraire. Les anciens élèves des écoles ont un œil très critique sur les cinq ans d’enseignement universitaire et de la formation à la profession.
Près de 40 000 avocats en France, une force ou une faiblesse ? L’idée selon laquelle les avocats sont trop nombreux dans l’Hexagone doit être absolument et irrémédiablement enterrée. Les représentants des différentes formations d’avocats (universités, École du droit, EFB, Sciences-Po) sont unanimes : les avocats sont beaucoup moins nombreux en France que dans nos pays voisins, proportionnellement au nombre d’habitants ou selon le PIB par habitant. Le marché n’est pas saturé, la marge de progression du business n’est pas une illusion.
Laura Lizé et Pascale D'Amore
Copyright : Nobuhiro Asada