Pour le président du Medef, si le cap pris est le bon, il faut maintenant que le gouvernement aille plus vite et plus loin.
Décideurs. Après l’annonce de la mise en place du pacte de responsabilité, la cote de popularité de François Hollande a enregistré une hausse de deux points. Les résultats des municipales ont sapé cette embellie. Regrettez-vous un timing malheureux dans la présentation de ce pacte ?

Pierre Gattaz.
La priorité, ce n’est pas le timing de la présentation du pacte, c’est le timing de son application. Il y a urgence, les entreprises françaises sont asphyxiées par des prélèvements obligatoires trop élevés qui plombent leur compétitivité, ligotées par une réglementation contraignante, tatillonne et chronophage qui les empêche de se concentrer sur l’essentiel et maltraitées par un environnement suspicieux qui ne comprend pas le fonctionnement de l’économie. Il y a plusieurs éléments positifs dans le pacte de responsabilité, la démarche de simplification, les engagements de baisse des charges et de la fiscalité. Mais l’ampleur du dispositif n’est pas suffisante et le calendrier, avec des mesures différées dans le temps, n’est pas à la hauteur de l’urgence de la situation économique.


Décideurs. François Hollande a décidé, de manière consensuelle, de faire porter la baisse des charges de dix milliards d’euros du pacte de responsabilité à la fois sur les bas salaires et sur les hauts salaires. Si le chômage baisse en effet, ne risque-t-on pas de passer à côté d’un retour de la compétitivité ?

P.?G.
La baisse des prélèvements obligatoires sur le travail est une bonne nouvelle, sachant que le travail en France est l’un des plus taxé de l’Union européenne. Nous sommes donc satisfaits de voir les allégements de charge portés sur les salaires au-delà du CICE. Mais un nouveau seuil est créé à 3,5 Smic qui ne va pas dans le sens de la simplification que nous souhaitons. C’est dommage et ce sera dommageable pour notre attractivité. Les salaires des cadres et des ingénieurs les plus qualifiés sont ceux des centres de décision qui génèrent dans leur sillage un écosystème d’emplois moins qualifiés. Nous aurions donc préféré un allégement pour tous les niveaux de salaires. Nous regrettons aussi que l’application de ces décisions se fasse en deux étapes avec un effort sur les plus bas salaires dès 2015 et la baisse des cotisations famille sur les salaires jusqu’à 3,5 Smic seulement en 2016. S’agissant de la fiscalité, les premières mesures ne seront effectives pour l’essentiel qu’en 2016. Seul un milliard est prévu en 2015. Là aussi, le rythme n’est pas le bon, beaucoup d’entreprises sont aujourd’hui en condition de survie, il faut accélérer le mouvement, c’est la seule façon de rétablir la confiance qui est un élément moteur de l’économie.


Décideurs. Estimez-vous que la pression exercée par la Commission européenne pour que la France respecte ses engagements en matière de réduction du déficit garantisse l’adoption rapide du pacte de responsabilité ?

P.?G.
Au-delà de l’adoption du pacte de responsabilité, le respect par la France de ses engagements en matière de réduction du déficit est impératif. Le respect de la parole donnée à nos partenaires engage notre pays.
Il y va de la crédibilité de la France sur la scène européenne mais aussi mondiale. Il y va aussi de la validité de notre signature. Si nous ne réduisons pas notre déficit, nous ne parviendrons plus à attirer les investisseurs et à emprunter sur les marchés internationaux ou alors à des taux prohibitifs, ce qui contribuera à aggraver encore davantage nos déficits. Il faut absolument sortir de cet engrenage fatal – déficit, endettement, prélèvements obligatoires, perte de compétitivité, taux de chômage record. Et le seul moyen d’y parvenir est de baisser les dépenses publiques de manière très significative, c’est la clé de voûte de tout l’édifice. Nous suggérons que soit fixé un objectif simple : celui de geler les dépenses publiques au niveau de 2014 pour les trois prochaines années. Cette ambition n’est pas hors d’atteinte. Nous avons 1 200?milliards d’euros de dépenses publiques chaque année, ce qui représente 57?% de notre PIB, quand l’Allemagne est à 46?%…


Décideurs. Pensez-vous que le pacte de responsabilité soit suffisant pour remettre l’économie en marche et faire baisser le chômage ?

P.?G.
Le cap pris est le bon. Notre classe politique est en train de prendre conscience que l’entreprise doit être au cœur de la politique économique de la France. Mais les mesures prévues dans le pacte de responsabilité ne sont pas suffisantes, il faut aller plus loin si nous voulons réduire l’écart de compétitivité avec nos partenaires européens, dont l’Allemagne, qui est l’objectif fixé par le chef de l’Etat. Alors que les entreprises françaises supportent 116?milliards de plus en prélèvements obligatoires que leurs homologues allemands, le gouvernement a annoncé environ 45?milliards d’allégements jusqu’en 2017. C’est la moitié du chemin. Et la baisse des prélèvements obligatoires n’est qu’une première étape, la simplification de l’environnement réglementaire est également une condition nécessaire pour créer de l’emploi. Parallèlement, il faut réexaminer, sans dogmatisme, les effets de seuil qui sont de véritables entraves à l’emploi. Il existe 2,5 fois plus d’entreprises de 49 personnes que de 50 personnes. Pourquoi ? Parce que passer de 49 à 50 salariés entraîne trente-cinq obligations réglementaires supplémentaires. Ces priorités ne sont pas seulement celles des chefs d’entreprise, elles concernent tout le monde. Ce qui est en jeu, c’est l’emploi. C’est dans cet esprit que nous avons lancé notre programme «?un million d’emplois?». L’idée est de libérer la création d’emplois en engageant les réformes structurelles ou sectorielles nécessaires. Cela passera également par la valorisation des emplois non pourvus victimes souvent d’idées reçues.


Décideurs. Quel regard portez-vous sur les annonces intervenues dans le cadre du choc de simplification pour les entreprises ?

P.?G.
La création de la commission Mandon-Poitrinal sur la simplification est une excellente initiative. Le choc de simplification que nous demandons depuis plusieurs mois, et qui figurait d’ailleurs dans mon programme de campagne, est désormais reconnu comme une composante importante de la politique publique. Nous avons d’ailleurs salué les cinquante premières mesures de simplification annoncées par cette commission, à laquelle nous sommes associés. Nous constatons avec satisfaction qu’un grand nombre de nos propositions, notamment la rétroactivité fiscale, la généralisation du titre emploi-service entreprise, la simplification de la feuille de paie et la généralisation du rescrit garantie ont été repris dans ce premier document. Mais le stock de réglementations et de normes complexes reste encore considérable : pas moins de 85 codes, dont quatre de plus de 2 500 pages, et 400 000 réglementations. Au-delà de ces cinquante premières mesures, il faudrait se fixer un objectif de diminution de 5?% des codes chaque année sur le principe en vigueur en Grande-Bretagne : «?Un texte entre-deux textes sortis?». Enfin, le gouvernement doit faire preuve de cohérence et ne pas créer de nouvelles complexités dans les textes à venir, à l’image, par exemple, des mesures concernant la pénibilité. S’agissant du droit du travail, nous proposons trois nouvelles négociations avant la fin de l’année : une sur la simplification du dialogue social dans l’entreprise, une sur le marché du travail et une dernière sur l’intéressement et la participation.


Décideurs. Et maintenant, quelles sont les prochaines mesures susceptibles d’être annoncées ?

P.?G.
Le pacte de responsabilité doit marquer un véritable changement de paradigme. La France doit faire son «?aggiornamento?» économique et faire confiance aux entreprises en leur assurant un environnement stable et cohérent.
Si le gouvernement s’engage dans cette voie que privilégie l’ensemble des pays, s’il met en place les mesures nécessaires à la croissance et au développement de l’emploi de manière simultanée, alors oui le pacte de responsabilité peut avoir un effet réel sur notre économie. Nous sommes tellement convaincus des capacités de notre pays à se redresser que nous avons lancé bien avant le pacte de responsabilité notre projet «?2020-Faire gagner la France?». L’idée est de rassembler les propositions des entrepreneurs afin d’améliorer l’écosystème des entreprises françaises et faire de notre pays un pays conquérant et ambitieux. La France a des atouts majeurs : une tradition industrielle, des services performants, un savoir-faire plébiscité avec des ingénieurs, des créateurs de premier plan, des mathématiciens reconnus dans le monde entier, une main-d’œuvre qualifiée, de grandes entreprises à la renommée mondiale, des PMI et des ETI dynamiques, des start-up créatives, des infrastructures de qualité, une administration qui fonctionne même si elle doit être optimisée, un dialogue social rénové et une capacité entrepreneuriale insubmersible en dépit de la pression fiscale et des lubies réglementaires… Si le gouvernement s’emploie à faire les réformes nécessaires et si nous, de notre côté, comme nous l’avons décidé avec la création d’un pôle consacré à cet effet, accompagnons systématiquement les entreprises dans leur démarche de développement et d’exportation avec des produits innovants et irréprochables, la France retrouvera rapidement la place qui lui est due dans le peloton de tête des pays compétitifs et prospères.

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