Républicains : touchés mais pas coulés
Lincoln Project, Republican Voters Against Trump et autres francs-tireurs s’exprimant dans les meetings et dans la presse : depuis l’émergence de Donald Trump sur la scène politique américaine, nombre d'associations et de personnalités conservatrices ont tenté de s’en prendre au 45ème président des États-Unis. En vain. Le gros des élus et des électeurs ont soutenu jusqu’au bout leur chef de file. Même le désastreux épisode de l’invasion du Capitole n’a pas suffi à faire sortir de ses gonds le parti républicain. Pour preuve, seule une poignée de représentants du mouvement à l’éléphant ont voté la procédure d’impeachment de janvier 2021. Parmi eux, aucun ténor, hormis l’élue du Wyoming Liz Cheney, fille de Dick Cheney, ancien vice-président de George W. Bush. Pour certains observateurs, cette attitude est une forme de compromission. En réalité, elle témoigne d’un froid réalisme. Car il se pourrait bien que le mandat de Donald Trump ait revivifié le parti sur le plan marketing et idéologique.
Le nouveau parti du peuple
Cela fait des décennies que les classes populaires blanches américaines ressentent une certaine insécurité. Insécurité pour leurs emplois, notamment peu qualifiés, que la mondialisation tend à détruire, insécurité culturelle face à une nation de plus en plus diversifiée sur le plan ethnique. Or, les républicains ont traditionnellement peu pris en compte ces préoccupations, jusqu’à Donald Trump. Pour Alexandre Mendel, journaliste auteur de Chez Trump, 245 jours et 28 000 miles dans cette Amérique que les médias ignorent, "Donald Trump a mis sur le devant de la scène des thématiques délaissées par les démocrates, mais aussi les républicains : patriotisme, souveraineté économique, désindustrialisation, insécurité culturelle". Ce qui a permis la victoire surprise à la présidentielle de 2016 et les bons résultats à celle de 2020 puisque les républicains ont récolté 74 millions de voix contre 63 millions quatre ans plus tôt.
Désormais, le parti est officiellement le "parti du peuple". Et plus uniquement des petits blancs paupérisés puisque, même s’il reste distancé chez les démocrates dans les minorités sud-américaines, noires et asiatiques, il progresse à toute vitesse. Une situation liée à l’homme à la chevelure orangée dont le mandat à été marqué par une baisse du chômage et une hausse des revenus chez les Afro-Américains ou les Latinos.
Le trumpisme parti pour durer
Les républicains ont donc tout intérêt à récupérer définitivement ce rôle de défenseurs des « petites gens » face aux élites déconnectées. Une technique utilisée avec succès par les candidats du GoP lors des élections législatives qui se sont soldées par des résultats satisfaisants : 211 sièges au Congrès contre 221 pour les républicains et une quasi-parité au Sénat.
"Si les démocrates deviennent le parti du politiquement correct et de la censure, les républicains deviendront automatiquement le parti de la liberté : jackpot"
Grâce à Donald Trump, les républicains pourraient également, à moyen terme, récupérer un sujet central pour les Américains : la notion de liberté. Certes, l’excentrique milliardaire a mené une politique identitaire et libéré certaines pulsions racistes. Mais, face à ces dérives, un autre extrémisme se développe. Il consiste à mettre au-dessus de tout le droit des minorités et le politiquement correct. Quitte à promouvoir l’interdiction du débat, la censure, la mise au ban des personnes qui, dans les journaux, les universités, les entreprises "pensent mal". Fin connaisseur du pays de l’oncle-Sam, Alexandre Mendel juge que "cette tendance, si elle se poursuit, risque de crisper la majeure partie de l’opinion publique attachée à la libre expression. Si les démocrates deviennent implicitement le parti des censeurs, les républicains deviendront le parti de la liberté. Le jackpot !"
Bâtir un "populisme décent"
Sur le fond, les années Trump sont, n’en déplaise à certains, une aubaine pour l’avenir du parti sur le long terme. Sur la forme toutefois, une remise à jour du logiciel est nécessaire. Pour remporter les élections, le parti a besoin des classes populaires, des minorités, des évangélistes, mais aussi des classes moyennes des banlieues pavillonnaires. Or, ce sont ces dernières, notamment les femmes, qui ont fait défaut à Trump en 2020. Pour les reconquérir, le parti et ses candidats vont devoir retrouver un langage moins véhément.
De la même manière, les complotistes, les accros au mouvement QAnon, les promoteurs des "vérités alternatives" et les antisciences devraient perdre en influence. "En réalité, c’est déjà le cas, ils sont très minoritaires, y compris chez les nouveaux élus qui ont bénéficié de l’effet Trump", note Alexandre Mendel.
Il est probable que les rodomontades, les propos sexistes et les petites phrases à l’emporte-pièce soient moins nombreux. En somme, le nouveau projet républicain semble tenir en une phrase : représenter le peuple et dénigrer les "élites", mais avec politesse. En Europe, un homme, Boris Johnson, a réussi cette synthèse qu’il nomme le "populisme décent". À la clé, une victoire historique pour son parti.
Lucas Jakubowicz