Réseaux sociaux : le gouvernement part à la chasse aux jeunes
Les passionnés de politique connaissent probablement la scène. En 1985, François Mitterrand s’était essayé au verlan sur le plateau d’Yves Mourousi. Objectif : paraître proche des lycéens et des étudiants. Les années passent et les responsables politiques s’échinent tant bien que mal à conquérir les néo-électeurs. L’actuel gouvernement ne fait pas exception à la règle et déploie une stratégie offensive sur les réseaux sociaux.
Twitch, YouTube
De la chaîne complotiste de Florian Philippot aux vidéos TikTok de Jean-Luc Mélenchon ou Emmanuel Macron, la classe politique, tous bords confondus, est déjà très présente en ligne et rivalise d’inventivité. Mais, en ce début 2021, la Macronie semble passer à la vitesse supérieure. Le 19 février, le président de la République en personne a interpellé les influenceurs McFly et Carlito pour leur lancer un défi : concevoir une vidéo sur le respect des gestes barrières. Si elle dépasse les 10 millions de vues, ils pourront tourner un concours d’anecdotes avec lui à l’Élysée. Deux jours plus tard, ils mettent en ligne Je me souviens, chanson humoristique dont le refrain "Si tu veux retrouver les sensations d’hier, il faut appliquer les gestes barrières" dépasse l’objectif d’audience en 48 heures.
De quoi inspirer le reste de l’exécutif. Le 24 février, le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal a lancé #SansFiltre. Un concept surprenant puisque, chaque mois, il compte s’entretenir en direct sur YouTube et Twitch avec quelques jeunes pour dialoguer en temps réel. Le Premier ministre lui-même s’est mis à Twitch quelques semaines plus tard.
Pour Raphaël Llorca, communicant chez Havas et auteur de La marque Macron, cette frénésie digitale trouve en partie sa source dans la perte d’influence des médias traditionnels qui s'adressent à une audience de plus en plus restreinte, ce qui contraint à trouver de nouveaux canaux de communication. "Occuper le terrain sur les réseaux sociaux permet de s’adresser aux plus jeunes mais cela signifie que la parole publique fonctionne de plus en plus en silo générationnel. D’où la nécessité de communiquer en raisonnant en termes de cible et non plus de communauté nationale." La crise sanitaire et l’éloignement qu’elle génère ont probablement accéléré la tendance.
Un accueil plutôt tiède
Malgré tous les efforts d’Emmanuel Macron, Jean Castex ou Gabriel Attal, le retour du public est plutôt mauvais. La prestation du successeur d’Édouard Philippe a été jugée sévèrement par les internautes, le journaliste Samuel Etienne qui a conduit l’interview et Raphaël Llorca. Selon lui, "Twitch est une plateforme sur laquelle la règle est de parler cash et d’interagir". Ce que n’a pas fait le premier ministre qui a tenu "une conférence de presse sans cravate" en montrant son agacement d’être "interpellé et contredit alors qu’il s’agit de la règle de base sur cette plateforme". Autre souci pour le Premier ministre, son ton technocratique et son envie d’expliquer la situation sanitaire à des auditeurs pourtant très bien informés.
Gabriel Attal, plus jeune et plus geek, s’est davantage approprié le format : phrases claires, petites blagues, posture décontractée… Seul hic, les participants à son émission. Pour évoquer la détresse de la jeunesse, le porte-parole du gouvernement a convié des influenceurs renommés tels qu’Enjoy Phoenix, Fabian ou Malek Délégué. Des célébrités connues des moins de 30 ans certes, mais pour la plupart déscolarisées et riches (peu avant l’émission, Fabian, influenceur Make up sur TikTok, s’est notamment vanté de sa voiture de sport achetée pour ses 20 ans). De quoi enflammer Twitter où le hashtag #etudiantspasinfluenceurs est devenu viral. Les étudiants condamnés à l’isolement, privés de cours de qualité, de relations sociales ou de petits boulots ont, très logiquement, mal pris d’être représentés par des personnes qui ne leur ressemblent pas.
Pour Anne-Claire Ruel, "on ne parle pas de détresse étudiante avec des influenceurs à l'abri du besoin"
Trouver les bons codes
En somme, s’exprimer sur les réseaux sociaux suppose le respect de certains codes. "La règle de base est d’adopter un discours conforme au format", explique Anne-Claire Ruel, enseignante en communication politique à l'université Sorbonne Paris-Nord et fondatrice du bureau Le Board. Selon elle, Jean Castex a raté sa séquence. Disserter sur le gaullisme social et s’enfermer dans une posture distante ont grandement participé à la mauvaise prestation de l’hôte de Matignon. Comme pour toute stratégie, la question du timing est également importante. "On ne parle pas de détresse étudiante avec des influenceurs à l’abri du besoin", juge Anne-Claire Ruel. Message reçu cinq sur cinq par Gabriel Attal qui a fait amende honorable et promis des invités plus anonymes pour les prochains tournages.
Le défi de communiquer sur les réseaux est difficile. Respecter pleinement les règles du jeu suppose de rompre avec le ton et les postures classiques au risque de désacraliser la fonction. Pas évident dans un pays qui reste attaché à la mise en scène du pouvoir. Pour le moment, aucun spécialiste de la communication politique n’est parvenu à théoriser l’équilibre idéal. "On attend toujours le spin doctor qui parviendra à résoudre l’équation", déclare Raphaël Llorca qui estime que l’élue la plus en pointe en la matière est l’Américaine Alexandria Ocasio-Cortez qui "utilise le Web pour expliquer avec pédagogie son rôle de représentante et l’importance de la politique". Avec une posture à des années-lumière d’un Jean Castex passablement agacé d’être contredit par des internautes.
Jouer la carte de la proximité sans désacraliser la fonction est un exercice délicat
Parler aux jeunes pour séduire les plus anciens
Pour résumer les choses, la stratégie digitale du gouvernement est perfectible. En interne, les communicants en sont probablement conscients : ce n’est pas ainsi qu’ils inciteront ceux que le Président nomme "la génération sacrifiée" à glisser un bulletin Macron dans l’urne en 2022. Peu importe, ce n’est peut-être pas l’objectif. En réalité, l’exécutif s’adresse plutôt aux électeurs les plus âgés avec, en filigrane, le message suivant : "Nous savons que vos enfants et petits-enfants souffrent et ont peur de l’avenir, nous nous focalisons sur eux." Une stratégie qu’Anne-Claire Ruel qualifie de "coup de billard à trois bandes qui consiste à parler aux vingtenaires pour mieux plaire aux plus âgés".
Car, électoralement parlant, les jeunes ne sont pas la cible principale d’Emmanuel Macron pour la prochaine présidentielle. Cela peut paraître contre-intuitif pour certains, mais ils ont déjà une bonne opinion du locataire de l’Élysée. Le baromètre Ifop de février 2021 dévoile même que 48 % des 18-24 ans ont une bonne opinion du président de la République. Du jamais vu pour un chef de l’État à ce stade du mandat. La situation est différente chez les 50-65 ans où Emmanuel Macron est en baisse et ne récolte plus que 42 % de bonnes opinions. Plutôt préoccupant quand il est crucial d’avoir dans son camp une classe d’âge réputée peu abstentionniste. Parmi leurs principales préoccupations, la sécurité et le futur de leur descendance. D’où l’importance pour un "monarque républicain" de montrer aux parents qu’il n’abandonne pas leur descendance. Et si, sur un malentendu, cela permet de glaner quelques voix du côté des jeunes, c’est toujours bon à prendre.
Lucas Jakubowicz