L'ascension d'Éric Piolle
C’est une véritable tradition. Un responsable politique nourrissant des velléités élyséennes doit respecter certaines figures imposées : mouvement de jeunes militants dévoués, site programmatique, déplacements dans toute la France, présence dans les grands médias nationaux et publication d’un livre. Hormis cette dernière étape, Éric Piolle, maire de Grenoble depuis 2014, semble prêt.
La machine Piolle
Si Anne Hidalgo a lancé sa plateforme Idées en commun pour élaborer un début de programme, le Grenoblois a fait de même avec Une certaine idée de demain qui appelle à dessiner "un espoir, un horizon, un style et une méthode" afin de combattre un "front anti-climat, productiviste et sécuritaire qui se dresse partout".Le site qui compte mettre à l’honneur la démocratie participative recense également les déplacements de l’édile qui, peu à peu, s’éloigne des Alpes et tisse sa toile sur tout le territoire où il mène une "lutte contre les projets inutiles".
Depuis le début de l’année, Éric Piolle s’est ainsi rendu à Berck-sur-Mer dans le Pas-de-Calais pour prendre part au combat contre le projet d’installation de la serre géante Tropicalia. Il s’est également mobilisé en Essonne pour contrer l’implantation d’un data center et d’un entrepôt Amazon accusé de "réceptionner les marchandises du bout du monde dans des camions qui viennent essentiellement d’Europe de l’Est". Toujours en région parisienne, il s’est fendu d’une apparition sur la zone à défendre (ZAD) du Triangle de Gonesse dans le Val d’Oise. Dernières destinations en date : la Normandie, pour parler recyclage, chemin de fer ou Lubrizol mais aussi la vallée de l'Arve en Haute-Savoie pour évoquer la pollution de l'air ainsi que le ferroutage. Depuis peu, le natif de Pau peut également compter sur Kairos Etxea, une association de financement qui règle, notamment, ses pérégrinations à travers le pays. Une telle activité lui permet d’être de plus en plus invité dans les médias nationaux où il prend position sur les grands sujets d’actualité. En mars, le public a pu le découvrir sur RFI, BFMTV, CNews ou RTL.
La stratégie se met méthodiquement en place : mouvement de jeunes, déplacements dans l’Hexagone, plateforme programmatique et prise de parole dans les médias nationaux.
Pour diffuser la "bonne parole", il peut également se reposer sur le collectif Jeunes pour Piolle (JPP). Selon l’un de ses membres, César Bouvet, l’ambitieux maire "n’est en aucun cas derrière l’initiative qui provient de jeunes militants encartés chez EELV ou non qui estiment qu’il est le meilleur candidat pour rassembler un arc humaniste allant des macronistes désabusés aux Insoumis". En bref, le clan Piolle se met en ordre de marche avec une stratégie simple : À gauche toute !
À gauche toute !
Si son grand rival en interne, l’eurodéputé Yannick Jadot, souhaite incarner une ligne pragmatique, centriste, plutôt ferme sur les questions régaliennes, à l’instar des Verts allemands, le maire de la préfecture de l’Isère se positionne sur un créneau différent. La gestion de son "laboratoire" grenoblois permet de mieux cerner le "piollisme" : investissement massif dans les pistes cyclables, opposition à la liaison ferroviaire Lyon Turin, soutien au rassemblement Nuit debout en 2016, volonté affichée d’accueillir des migrants dans sa ville, retrait des vidéos de caméra surveillance, "big bang" culturel aboutissant à la fin des subventions versées aux Musiciens du Louvre, orchestre de musique baroque de grande renommée mais jugé trop élitiste, approbation d’une fresque représentant Marianne frappée par deux policiers… Sans compter certaines "petites phrases" qui font le tour de la France, notamment celle de juillet 2020 où il affirme que la seule utilité de la 5G est de "regarder des films porno dans l’ascenseur".
Son équipe municipale comprend des militants associatifs, des communistes et des Insoumis. Un attelage plébiscité par les électeurs qui ont reconduit la majorité sortante. Suffisant pour permettre à Éric Piolle d’entretenir d’excellentes relations avec l’extrême gauche française : il a appelé à voter pour Jean-Luc Mélenchon en 2017 et s’est affiché aux dernières universités d’été de LFI. En mars 2020, peu avant le premier confinement, il organisait un match de foot géant auquel participaient Clémentine Autain, François Ruffin, Julien Bayou, mais aussi Audrey Pulvar ou le député ex-LREM Matthieu Orphelin.
À Grenoble, Éric Piolle gouverne en bonne entente avec les Insoumis. Mais avec le PS, les relations sont plutôt fraîches.
Faire campagne à la gauche de la gauche ne semble pas la meilleure stratégie pour réaliser un bon score à la présidentielle, a fortiori dans un Hexagone où la gauche n’a jamais été aussi faible. Rappelons que les derniers sondages placeraient le PS aux alentours de 8%, EELV à 6% et les Insoumis à 10%. Si l’on ajoute d’autres petites listes de gauche telles que Lutte ouvrière, le PCF ou le NPA, le score atteint péniblement les 30%. Un plafond qui n’a jamais été aussi bas.
La possibilité d’une victoire
Le candidat Vert devrait être désigné par une primaire réservée aux adhérents. Même si rien n'est formellement arrêté. Ce qui pourrait faire les affaires du Grenoblois. "Globalement, les électeurs EELV sont plutôt de centre-gauche et très proches du PS et de la social-démocratie", souligne Pierre-Hadrien Bartoli, directeur des études politiques chez Harris Interactive. Mais ceux qui prendront part au vote sont bien plus à gauche. "C’est une tendance propre à tous les partis, les militants sont systématiquement moins modérés que les électeurs", décrypte le sondeur.
C’est particulièrement le cas chez les Verts français qui, pour la présidentielle de 2012, avaient le choix entre le médiatique Nicolas Hulot et Eva Joly, bien plus à gauche et intransigeante. Si la Franco-Norvégienne a été largement désignée (58%), elle n’a obtenu que 2,31% au soir du premier tour. Loin des 16,8% obtenus aux européennes de 2009. Une configuration susceptible de se répéter pour la primaire à venir où les suffrages pourraient se porter sur un candidat "chimiquement pur" plus que sur un profil modéré.
Les militants écolos sont bien plus à gauche que les électeurs du parti. Ce qui pourrait faire les affaires d'Éric Piolle
Un scénario d’autant plus probable que Yannick Jadot ne fait pas l’unanimité en interne. Il lui est reproché pêle-mêle son omniprésence médiatique, ses propos contre le voile des fillettes ou le burkini, son pragmatisme économique ou encore sa volonté de gouverner au centre. De quoi plaire aux Français mais donner des sueurs froides à certains militants susceptibles d'opter pour Éric Piolle. Sans compter les jeux d’appareils qui pourraient amener les militants à ne pas concentrer tous les pouvoirs dans les mains d’une seule personne (la crainte de dérive autoritaire est une vraie peur chez les Verts français attachés à la collégialité). Éric Piolle semble avoir parfaitement pris en compte cette préoccupation puisque ses prises de parole mettent en avant les notions de "projet collectif", "démarche coconstruite", de "collégialité" tandis que sa plateforme propose de bâtir un programme "de gauche" à l’aide "d’ateliers" et de "millions de mains". Suffisant, en théorie, pour mettre l’eurodéputé en difficulté. Fort bien, mais après ?
Un choix kamikaze ?
Trois alternatives s’offriraient à un possible candidat EELV : rallier le PS à sa cause, se ranger derrière le parti à la rose ou partir seul en campagne. Quelle que soit la configuration, le profil d’Éric Piolle pourrait poser un problème. Si la majeure partie de l’appareil et des électeurs socialistes ne verraient pas d’inconvénients à se ranger derrière Yannick Jadot, les choses seraient différentes pour une liste menée par le Grenoblois qui entretient des relations très tendues avec le PS local et semble bien plus proche des Insoumis ou des communistes. Pas sûr que les électeurs sociaux-démocrates suivent…
Les "Verts piollistes" pourraient aussi rallier à un candidat PS, pourquoi pas Anne Hidalgo. Avec, à la clé, de prévisibles attaques des opposants qui ne se priveront pas de piloner une liste "amish", "pastèque", "islamogauchiste", "communautariste". De quoi faire tiquer les socialistes qui, depuis l’attentat contre Samuel Paty, tentent de se recentrer. Resterait alors une dernière option pour Éric Piolle : présenter une candidature autonome. Hélas, si les mélenchonistes locaux semblent le plébisciter à Grenoble, il est probable qu’à l’échelle nationale les électeurs restent fidèles à leur gourou. "Les militants écologistes ont donc une très grande responsabilité entre les mains", estime Pierre-Hadrien Bartoli. À eux de faire en sorte que leur parti ne termine pas nu comme un Vert après des européennes et des municipales plutôt réussies.
Lucas Jakubowicz