Édito. Soyons radicalement modérés !
À droite, un (presque) candidat condamné pour injures et incitation à la haine soutient qu’une guerre civile est à l’œuvre en France. À gauche, une universitaire propose un programme "radical" dont la matrice part du principe que le monde est en danger à cause de l’homme blanc qu’il faut "déconstruire" pour l’empêcher de continuer à exploiter femmes et "racisés". Il y a quelques années, ce genre de personnages seraient passés pour des hurluberlus excentriques.
Mais en cet automne 2021, le premier est pour le moment crédité d’un score à deux chiffres au premier tour de la présidentielle, tandis que la seconde a failli remporter la primaire écologiste. Désormais, ce sont eux qui ont le vent en poupe dans les médias où ils imposent leur agenda jusqu’au-boutiste.
N'oublions pas qu'une présidentielle se gagne au centre
Si les propos extrémistes excitent journalistes en quête de buzz et militants chauffés à blanc, le son de cloche n’est pas le même chez les Français. Depuis l’instauration du suffrage universel, une présidentielle se gagne au centre et les nostalgiques de Vichy ou les adeptes de la misandrie auront probablement du mal à transformer leur idéologie en victoire électorale. Ils le savent certainement. Leur objectif est ailleurs : ils ambitionnent avant tout devenir incontournables dans le débat public. En somme, il s’agit de "zemmouriser" la droite et d’imposer le "wokisme" à la gauche. Face à cette tentative, les modérés doivent à leur tour descendre dans l’arène et défendre leurs opinions de manière "radicale" en affirmant fermement leurs positions : non, il n’y a pas de circonstances atténuantes à trouver à Philippe Pétain. Non, la notion de race n’a pas à être centrale dans le débat public en France. Non, la politique ne se mène pas à coup de formules simplistes.
Ce travail salutaire est toutefois dommageable pour la vie démocratique. Chaque minute consacrée à démolir factuellement les inepties est du temps perdu à débattre sur les sujets de fond tels que la baisse de niveau de nos établissements scolaires, le déclassement de notre recherche, le déficit de notre balance commerciale, le manque de main-d’œuvre dans certains secteurs ou notre place dans le monde. Nos voisins d’outre-Rhin qui viennent de clôturer une séquence électorale ponctuée de propos pondérés doivent probablement nous regarder avec commisération. Comment leur donner tort ?
Lucas Jakubowicz