Comment Éric Zemmour et Jean-Luc Mélenchon tissent leur toile sur Twitter
Si vous faites partie des 12 millions de Français qui possèdent un compte Twitter, vous l’avez sûrement remarqué. Depuis plusieurs mois, les équipes de campagne des prétendants à l’Élysée rivalisent d’ingéniosité pour attirer votre attention à grand renfort de hashtags. À ce petit jeu, deux candidats se détachent nettement du lot : Éric Zemmour et Jean-Luc Mélenchon.
Éric Zemmour, une construction artificielle ?
Replongeons quelques mois en arrière. En septembre, une potentielle candidature du polémiste d’extrême droite n’est qu’une simple hypothèse. Mais pour une bande de jeunes biberonnés aux réseaux sociaux, c’est une aubaine tant le "Z" défend des idées qu’ils entendent promouvoir massivement. Un petit groupe piloté par Samuel Lafont, spécialiste de l’activisme digital et proche des milieux catholiques conservateurs, se met aussitôt au travail. "Ces jeunes Zemmouriens sont très influencés par l’alt-right américaine qui a contribué à la victoire de Donald Trump, notamment en investissant les réseaux sociaux", analyse Philippe Moreau-Chevrolet, spécialiste de la communication politique et enseignant à Sciences Po Paris. "Ils ont très rapidement mis en place une campagne d’astro-turfing". Derrière ce terme peu connu se cache une théorie très simple : simuler un mouvement spontané sur les réseaux sociaux.
#LesfemmesavecZemmour, #LesprofsavecZemmour, #LesmilitairesavecZemmour… Chaque jour ou presque l’internaute découvre que tous les pans de la société soutiennent l’auteur de best-sellers déclinistes. Seul hic, tout est fake et la propagande se déploie grâce à des centaines de comptes fantômes très actifs, comme l’a très bien démontré le journaliste Vincent Bresson dans son enquête Au cœur du Z.
Les équipes Zemmour maîtrisent l'astro turfing, pratique qui consiste à simuler un mouvement spontané sur les réseaux sociaux
Cette jeune garde a également retenu une leçon de l’alt-right : il faut rendre fun et drôles des idées réactionnaires. C’est ainsi que sont lancés des mèmes, des blagues et des jeux de mots censés "faire accepter la radicalité au plus grand nombre", pour reprendre les termes du communicant Raphaël Llorca. Mais, parmi les geeks zemmouriens, tout n’est pas que rire puisque leur stratégie consiste aussi à attaquer LR pour détacher les électeurs de Valérie Pécresse. Elle et son équipe de campagne sont caricaturés, traitées "d’islamo-droitistes" et sont noyés sous les hashtags #PecresseDetresse ou encore #PecresseHypocrite. "Longtemps sur la défensive, la cellule riposte digitale de LR semble reprendre du poil de la bête", constate toutefois Philippe Moreau-Chevrolet.
Jean-Luc Mélenchon, discipline à tous les étages
De l’autre côté du spectre politique, un autre mouvement fait étalage de sa force de frappe numérique : LFI. À la manœuvre, un autre petit génie de la communication digitale qui était déjà à bord du navire Insoumis en 2017 : Antoine Léaument. "La principale caractéristique de la communication de LFI sur Twitter : une fidélité sans faille à Jean-Luc Mélenchon", note Philippe Moreau-Chevrolet qui remarque "qu’après chaque polémique impliquant le grand chef ou sa garde rapprochée, la réponse est massive et coordonnée, ce qui est d’autant plus facile que tous les élus et dirigeants du parti sont très influents sur Twitter". De même, les militants chauffés à blanc relaient les messages, les hashtags et diffusent la bonne parole.
Parfois, la stratégie développée par l’état-major insoumis fait sourire l’observateur de la vie politique tant la mauvaise foi est au rendez-vous. Exemple illustratif : les sondages. Lorsqu’ils sont mauvais, la Twittosphère insoumise s’en prend aux instituts et à leur méthodologie. Lorsqu’ils sont meilleurs, ce sont les hashtags #Melenchonpresident ou #Melenchonsecondtour qui tiennent le haut de l’affiche.
À l’instar de leurs adversaires zemmouriens, les Insoumis s’en prennent aussi aux adversaires de leur camp, en témoigne le hashtag #PlusjamaisPS ressorti régulièrement de la naphtaline. Les équipes de LFI apprécient également de "chasser en meute", pour reprendre l’expression de Philippe Moreau-Chevrolet. Concrètement, chaque responsable politique ou journaliste qui émet un doute sur un aspect du programme ou sur la personnalité de Jean-Luc Mélenchon reçoit dans l’heure des dizaines de réponses hostiles et hargneuses de comptes, bien souvent anonymes, arborant le triangle rouge, symbole de LFI. L’auteur de ces lignes en a fait l’amère expérience à plusieurs reprises !
Hidalgo et Jadot, les mauvais élèves
Derrière Éric Zemmour et Jean-Luc Mélenchon, les autres candidats sont à la peine. "Les équipes de Yannick Jadot sont peu présentes, ce qui est étonnant. C’est une énigme puisque que les électeurs écolos sont jeunes et connectés", observe Philippe Moreau-Chevrolet qui estime que "le potentiel de viralisation du programme EELV est assez important". Pire encore, les Verts sont ciblés par des comptes parodiques à forte audience. Le navire amiral de ce sous-genre particulier est sans conteste Sardine Ruisseau, pastiche de Sandrine Rousseau.
Si Yannick Jadot ne tire pas parti de Twitter, il peut néanmoins se consoler en se penchant sur la réputation digitale d’Anne Hidalgo qui "collectionne tous les handicaps". La candidate socialiste est plombée par… un hashtag ! Depuis mars 2021, le mot-clé français le plus partagé sur le réseau social est #saccageparis, une campagne qui montre, photos à l’appui, la saleté, l’urbanisme déficient et le manque d’entretien du patrimoine parisien. Les équipes d’Anne Hidalgo, après avoir accusé une campagne d’extrême droite, n’ont pu que constater qu’il s’agissait d’un mouvement citoyen apolitique qui pollue toute sa campagne. C’est simple : chaque communication d’Anne Hidalgo la renvoie à son bilan parisien. À cela s’ajoutent des militants démobilisés et moins geeks qu’ailleurs. Un cocktail infernal qui pourrait placer le PS sous la barre des 5%.
La stratégie parfois proche de l'acharnement et du cyberharcèlement pourrait bien dégouter l'électeur lambda
Twitter ça marche vraiment ?
Reste une question fondamentale. Le réseau social au petit oiseau bleu permet-il vraiment de gagner des électeurs ? Pour le moment, il n’existe pas d’études permettant de mesurer l’impact d’une activité politique sur Twitter. Mais certaines pistes peuvent être avancées. Comme l’observe Jonas Haddad, membre de la cellule riposte de Valérie Pécresse, "Twitter influence les influenceurs, notamment les journalistes". En installant l’idée d’une dynamique de campagne et d’une forte mobilisation, les équipes numériques d’Éric Zemmour ou de Jean-Luc Mélenchon ont permis d’imposer le sujet de leur possible accès au second tour dans les médias de masse, ce qui pourrait apporter des voix le jour J.
En revanche, la stratégie opérée sur Twitter, parfois proche de l’acharnement ou du cyberharcèlement, peut dégoûter l’électeur lambda statistiquement plus modéré que les militants. Sans compter les algorithmes qui permettent de s’adresser à sa base plus qu’aux indécis. En somme, Twitter est un bon moyen pour mener une communication de combat qui sied parfaitement aux partis les moins modérés.
Ce qui explique pourquoi les candidats cherchant à se placer au-dessus de la mêlée surjouent la modération et investissent peu Twitter à quelques mois du scrutin. Alors que le premier tour approche, les bots macronistes semblent mis en sommeil. Quant à Marine Le Pen, elle cherche à gommer toute forme de radicalité. Les internautes ont plus de chance de la croiser en train de caresser ses chats sur TikTok qu’en lançant des hashtags contres ses adversaires…
Lucas Jakubowicz