Guerre en Ukraine : l’invitée inattendue de la campagne présidentielle
Le 24 février alors que les premières bombes russes s’abattent sur l’Ukraine, la fébrilité est de mise dans les états-majors de certains candidats à la présidentielle dont le positionnement à l’égard de la Russie peut peser lourd dans les urnes.
Les positions de Marine Le Pen et Éric Zemmour…
Sur le flanc droit de l’échiquier politique, la nouvelle donne internationale offre une belle opportunité à Valérie Pécresse pour attaquer Marine Le Pen et Éric Zemmour. Objectif : disqualifier les deux populistes et les distancer pour de bon dans les études d’opinion. Pour cela, la candidate LR dispose de nombreuses munitions, tant ses deux rivaux se sont fourvoyés sur la question russe.
Le fait que Marine Le Pen campe sur une ligne pro-russe au nom de l’indépendance nationale et de la défense des valeurs occidentales est notoire. Du reste, en mars 2017, elle s’était rendue au Kremlin pour rencontrer Vladimir Poutine afin de conforter sa stature internationale. En guise de remerciement, elle n’avait pas hésité à déclarer qu’elle avait "un point de vue sur l’Ukraine qui coïncide avec celui de la Russie". Si la sortie avait fait tiquer trois ans après l’annexion de la Crimée, elle est encore plus lourde de sens aujourd’hui. Certes, la députée du Pas-de-Calais a depuis mis de l’eau dans son vin et critiqué l’offensive russe. Mais le positionnement pro-russe de son parti risque de lui coller à la peau.
Du côté d’Éric Zemmour, les archives sont encore plus cruelles. Le polémiste a profité de son temps d’antenne sur Cnews pour soigner sa notoriété, mais aussi pour exposer son point de vue sur les questions de diplomatie. Et ces prises de position offrent un angle d’attaque à Valérie Pécresse qui cherche par tous les moyens à le faire passer sous la barre des 10 %. En septembre 2018, il affirme sans sourciller qu’il "rêve d’un Poutine français". Deux ans plus tard, il déclare que "la Russie serait l’allié le plus fiable. Plus que les États-Unis, l’Allemagne ou la Grande-Bretagne". À l’instar de Jean-Luc Mélenchon, le fondateur de Reconquête! adhère également à la théorie de la "Russie victime". Toujours sur Cnews, en juin 2021, il considère qu’il faut "arrêter de faire de Poutine l’agresseur, c’est Poutine l’agressé".
En 2018 Éric Zemmour rêvait d'un "Poutine français". Une sortie qu'il pourrait payer cher dans les urnes...
Autre handicap pour l’auteur de La France n’a pas dit son dernier mot, ses prédictions sur la situation russo-ukrainienne se sont révélées totalement erronées. Embêtant pour un candidat qui se targue de posséder une hauteur de vue et une intelligence supérieure à ses adversaires. Le 9 décembre, sur France 2, il assène plein d’assurance : "La Russie, j’en prends le pari n’envahira pas l’Ukraine." De même, le 20 février, quatre jours avant le début de l’offensive, il estime, sur Europe 1 : "Je suis sceptique, je pense qu’il y a beaucoup de propagande, d’agitation des services américains pour hystériser cette histoire."
Une aubaine pour Valérie Pécresse
Du pain béni pour Valérie Pécresse qui, lors d’un meeting à Caen le 26 février, reprend de volée les deux candidats, estimant que leur position "les disqualifiait pour représenter la France". Mais c’est surtout le 10 mars, à l’occasion du débat face à Éric Zemmour qu’elle s’est montrée le plus véhémente. Dès les premières minutes d’antenne, elle accuse son rival d’avoir "l’esprit munichois", d’être "défaitiste, fasciné par la force" de "dire que Poutine est un démocrate et qu’il faut un Poutine français". Et d’enfoncer le clou : "Quand on est sous influence, on ne peut pas se dire patriote, et c’est pour ça, Monsieur Zemmour, que vous êtes décrédibilisé pour diriger la France."
Les compromissions de Mélenchon
À gauche, le conflit russo-ukrainien est également utilisé par Anne Hidalgo et Yannick Jadot, à la traîne dans les sondages et largement distancés par Jean-Luc Mélenchon. Pour combler leur retard, la socialiste et l’écolo font eux aussi feu de tout bois sur l’Insoumis qui rêve d’incarner le "vote utile" de son camp.
Comme Valérie Pécresse, les deux candidats ne se privent pas de replonger dans les archives pour exhumer, notamment, une interview au Monde datant de janvier. Le député de Marseille y déclare notamment que "la Crimée est russe" et que, si les Russes massent des troupes à leurs frontières, c’est normal : "Qui ne ferait pas la même chose avec un voisin pareil (l’Ukraine Ndlr), lié à une puissance (Les États-Unis) qui les menace continuellement ?".
Depuis le début de l’offensive russe, Jean-Luc Mélenchon joue un jeu d’équilibriste. D’un côté, il clame sa solidarité avec le peuple ukrainien et condamne la "guerre de Poutine". De l’autre, il se garde bien de toute action concrète en faveur du pays attaqué : ni aide militaire au gouvernement Zelensky ni embargo contre la Russie.
Le 25 mars, dès les premières heures de la guerre, il estime que Moscou a déjà remporté la partie. "Pensez-vous que l’Ukraine soit en état de résister ? Sur le terrain la guerre est déjà perdue". Puis, le 1er mars, à l’Assemblée nationale, il condamne la livraison d’armes à Kiev, "une solution improvisée", "une décision qui ferait de nous des cobelligérants". Sa doctrine de non-intervention est confirmée une nouvelle fois lors de son meeting pour la paix à Lyon le 6 mars. Pour le tribun, il est même nécessaire de sortir de l’Otan, "une organisation inutile qui provoque par son agitation un peu partout des tensions, espérant en retirer ici ou là des subventions pour je ne sais quelle agence".
Lors de son meeting à Lyon le 6 mars, Jean-Luc Mélenchon a joué un numéro d'équilibriste : soutien à l'Ukraine mais sans livraisons d'armes.
Un angle d’attaque pour Anne Hidalgo et Yannick Jadot
Rompant avec le pacifisme traditionnellement imputé aux écolos, Yannick Jadot, comme ses homologues allemands, prône une aide militaire et des sanctions économiques. Autant dire que le positionnement de Jean-Luc Mélenchon le fait sortir de ses gonds. Dès le lendemain du fameux "meeting pour la paix", il s’indigne sur Sud Radio de voir le candidat LFI se réclamer de Jean Jaurès. Le célèbre socialiste doit "se retourner dans sa tombe. Citer Jean Jaurès pour masquer ses complaisances et sa capitulation face à Vladimir Poutine… Vous imaginez Jean Jaurès défendre des crimes de guerre ?" Dès le premier jour de la guerre, l’eurodéputé avait dégainé en accusant, par voie de communiqué de presse, Jean-Luc Mélenchon de reprendre "les arguments de la propagande russe selon lesquels, au fond, Poutine aurait été poussé par l’Otan à agresser l’Ukraine".
Pour Yannick Jadot, Jean-Luc Mélenchon "reprend les éléments de la propagande russe"
Pour sa part, Anne Hidalgo estime que Jean-Luc Mélenchon n’est plus de gauche et est à mettre dans le même sac que Marine Le Pen et Éric Zemmour. Dans une interview accordée à L’Obs le 28 février, elle ne cache pas son amertume de voir l’ancien socialiste qualifié d’agent de Poutine "transformer les agresseurs en agressés (…) ce n’est pas la gauche, en tout cas pas la gauche républicaine". Son travail de pilonnage se poursuit jour après jour, notamment le 10 mars sur France info : "Tous ces grands discours sur la paix masquent ses complaisances et ses capitulations face à Poutine (…) Il n’y a aucune crédibilité à quelqu’un comme ça. Un vote utile de quoi ? Quelqu’un qui aurait pour ami le Venezuela, Bachar El-Assad ?".
À qui profitent les crimes ?
Ces attaques ont-elles des conséquences sur les scores des candidats ? Le rolling quotidien de l’Ifop apporte un éclairage précieux. À droite, les attaques contre Éric Zemmour semblent porter leurs fruits. Crédité de 16 % le 24 février, jour de l’attaque, le candidat de Reconquête! n’est plus qu’à 12,5 % le 21 mars. Pour autant, Valérie Pécresse n’en profite pas puisque, sur le même laps de temps, son score s’effrite et passe de 14 % à 10,5%. Le gagnant semble être Emmanuel Macron qui joue le rôle de capitaine dans la tempête et gagne 3 points (de 25 % à 28%). De son côté, Marine Le Pen semble s’en sortir sans trop de dommages. Mieux encore, elle passe de 16 % à 18,5%. Son discours centré sur le pouvoir d’achat plus que les enjeux géopolitiques paraît faire mouche dans son électorat plus populaire que la moyenne.
Pour le moment, les attaques n'atteignent ni Jean-Luc Mélenchon, ni Marine Le Pen
Les attaques du duo Jadot-Hidalgo font "pshitt". Dans le même rolling, le 21 mars, Jean-Luc Mélenchon est mesuré à 14 %, son plus haut niveau depuis le début de la campagne. Son score augmente même de 3 points depuis le début du conflit. Inversement, Yannick Jadot stagne entre 5 % et 5,5% et Anne Hidalgo reste encalminée entre 2 % et 2,5%.
Lucas Jakubowicz