Rapprochement des critères financiers et extra-financiers, multiplication des fonds à impact, Clotilde Billat et Julien Vandenbussche, respectivement associés en private equity et en structuration de fonds au sein du bureau parisien de Stephenson Harwood, décryptent les grandes tendances du marché et l’actualité du cabinet.

Décideurs. Au-delà du ralentissement du marché, quelles grandes tendances avez-vous vu émerger ces derniers mois ?

Julien Vandenbussche. Paradoxalement le ralentissement de l’économie a atténué la distinction entre les corporate et les fonds d’investissement, nous assistons à de plus en plus d’opérations ou ils interviennent ensemble. Cette évolution de marché nous a permis d’intervenir à plusieurs reprises lors d’opérations large-cap portées par des corporate.

Clotilde Billat. Nous avons vu se développer une clientèle qui, à l’occasion d’une prise de participation impliquant des fonds d’investissement, a souhaité être entourée de conseils ayant l’habitude des pratiques de marché spécifiques aux fonds. Ces nouveaux clients, groupes industriels, sociétés cotées, recherchent des conseils spécialisés en private equity pour mener à bien les transactions avec les fonds.

"Les cibles qui suscitent le plus d’attention de la part des fonds appartiennent à des secteurs décarbonés" Clotilde Billat 

Comment l’accélération des problématiques extra-financières a-t-elle influencé le marché du private equity et la structuration des fonds ?

C. B. Les cibles qui suscitent le plus d’attention de la part des fonds appartiennent à des secteurs décarbonés. Une tendance observée également chez les fonds généralistes, qui s’intéressent de plus en plus à des sociétés qui remplissent des critères ESG. Cette stratégie permet de répondre à une réglementation de plus en plus présente mais aussi de diversifier leurs portefeuilles avec des activités durables et moins risquées. Les études faites en interne par les fonds d’investissement ont montré que les sociétés avec de bons ratios ESG sont mieux gérées et plus performantes. Dans l’esprit des acteurs, les aspects extra-financiers et financiers sont aujourd’hui liés.

J. V. L’appréciation des critères d’investissement extra-financiers a imprégné l’ensemble du marché. Les fonds d’investissement sont globalement en avance sur la tendance mais les banques et les compagnies d’assurances ont aussi été rattrapées par des contraintes réglementaires les incitant à porter une attention croissante aux objectifs ESG. Une réglementation dont la Commission européenne est à l’origine, qui a fait, depuis des années, de la protection du climat et des sujets de durabilité sa priorité. L’univers de l’investissement a dû s’adapter à ce maillage réglementaire, dans un premier temps pour remplir les exigences de transparence avec les obligations de compliance, et aujourd’hui à travers les critères extra-financiers dont on voit l’aboutissement avec le règlement SFDR et la directive CSRD.

Quel type de fonds à impact êtes-vous amené à structurer ?

J. V. Nous assistons à une généralisation des fonds classés article 8, quant aux fonds décidant de répondre aux exigences de l’article 9, comme il s’agit d’un positionnement qui va plus loin, ils sont plus rares. À cela s’ajoute, de plus en plus souvent, un volet dans la négociation et la contractualisation de l’impact de ces critères extra-financiers, notamment au niveau de leur prise en compte dans le carried interest.

"Les sociétés moins structurées, notamment dans le bas du mid-cap, n’ont pas les outils ni les effectifs pour effectuer ces reportings" Clotilde Billat 

Observez-vous des réticences de la part du marché face à l’accroissement des critères extra-financiers dans les opérations ?

C. B. Le peu de réticences que j’ai observées n’est pas lié aux principes de transparence et à l’importance de ces critères mais plutôt au manque de moyens pour les mettre en oeuvre. Les sociétés moins structurées, notamment dans le bas du mid-cap, n’ont pas les outils ni les effectifs pour effectuer ces reportings. Elles doivent faire appel à des prestataires externes, ce qui suppose un certain coût. Dans les faits, cela se traduit par des temps de transition, au cours desquels l’investisseur concède que le reporting pourra prendre un an avant d’être conforme.

J. V. Côté fonds, il y a peu de réticences. L’apport principal des fonds à impact, pour les sociétés en portefeuille, est justement l’assistance à la mise en place sur le volet extra-financier. À l’échelle internationale, si on peut également noter un consensus européen sur ces sujets, la question de l’appréciation de ces nouvelles contraintes se pose pour des véhicules d’investissement en dehors du continent. Les fonds de pension américains s’inquiètent de voir ces critères biaiser les rendements, notamment car ils sont perçus comme moins objectifs que les considérations financières classiques comme l’Ebitda.

Comment l’équipe se structure-t-elle dans un tel contexte ?

C. B. En private equity, notre département s’est étoffé grâce à un recrutement et à l’évolution d’une collaboratrice qui est passée managing associate. Nous avons aussi créé une importante équipe compliance avec un ancien magistrat du parquet financier, un avocat et un député ayant travaillé sur la loi Sapin. Ces professionnels accompagnent les fonds lors des audits de compliance, notamment sur les sujets RSE. Nous avons aussi renforcé notre équipe fiscale sur qui nous pouvons nous appuyer pour les opérations de structuration de fonds et de private equity.

J. V. Le cabinet est en croissance, l’activité structuration de fonds a été renforcée par l’arrivée de deux nouveaux collaborateurs et le ralentissement de l’économie ne nous a pas atteints, car nos clients sont des fonds institutionnels de premier plan. En plus de l’expertise de plus en plus reconnue en structuration de fonds à impact, côté fonds secondaires, nos équipes de structuration et de private equity à Londres et à Paris sont parmi les plus performantes d’Europe. Dans un marché de l’investissement secondaire qui est devenu complètement européen, notre cabinet se distingue.

 

Propos recueillis par Céline Toni