Daniel Belet (SupdeCo La Rochelle) : « L’éducation au leadership concourt à une meilleure performance économique »
Décideurs. Comment décririez-vous le leader « humainement intelligent de demain » ?
Daniel Belet. Être un manager leader implique de savoir prendre en compte les différences de capacité et d’orientation des personnes qui composent son équipe pour valoriser et développer leurs talents ; en connaissant chacun de façon approfondie, en consacrant du temps pour les découvrir. Un leader définit sa valeur ajoutée managériale comme un service pour faciliter la réalisation des missions de chacun. Ainsi, il responsabilisera son équipe dans la mesure de ses possibilités et surtout il lui accordera sa confiance. Un mot actuellement très tendance mais dont la mise en pratique est loin d’être généralisée dans des entreprises, fermement attachées au contrôle et à la supervision. Un leader humainement intelligent doit impulser une dynamique apprenante en encourageant la liberté d’expression critique, la prise d’initiative, le droit à l’erreur de bonne foi. Il valorisera aussi les formes de leadership partagé en sollicitant les points de vue des collaborateurs, en pratiquant l’écoute active. Il s’agit d’exprimer son enthousiasme, son énergie, faire preuve de persuasion, en exposant ses espoirs pour susciter un maximum d’adhésion de ses collaborateurs. C’est une personne qui respecte profondément la liberté de ceux qui l’entourent, comprend leurs réserves et passe du temps à les convaincre sans utiliser la contrainte hiérarchique. Le leader de demain comprend l’importance de troquer le schéma pyramidal de management des hommes au profit d’un modèle où l’homme n’est plus un moyen mais une fin.
Décideurs. Ce leadership peut-il s’enseigner ?
D. B. Difficilement au sens de l’enseignement dispensé par un sachant, mais il peut s’apprendre. L’aspect émotionnel du leadership impose des mises en situation réelles. Savoir dialoguer, obtenir une vision globale d’un problème complexe, maîtriser une approche systémique… toutes ces compétences relèvent non pas de connaissances mais d’un apprentissage comportemental. Le système éducatif traditionnel est aujourd’hui malheureusement focalisé sur une éducation par discipline, en silo, qui relève d’une conception obsolète et qui explique les médiocres compétences de leadership des personnes qui en sont issues. Aux États-Unis, des cours de leadership sont dispensés dès le lycée. Pour impulser un changement des mentalités en France, il est nécessaire de démontrer que cette éducation au leadership concourt à une meilleure performance économique. Il existe beaucoup d’exemples d’entreprises notamment américaines qui appliquent le servant leadership, un modèle où les managers sont au service de leurs équipes pour les aider à accomplir leur objectif commun. Ces entreprises affichent toujours des résultats plus élevés sur leur segment de marché.
« Il y a beaucoup de leaders cachés en entreprise »
Décideurs. Quel est le bon usage de l’autorité et du pouvoir pour un leader ?
D. B. Un leader n’a aucunement besoin d’exercer son pouvoir de nature coercitive en le rattachant à un statut hiérarchique. Un leader ne contraindra pas mais cherchera à susciter l’adhésion, par la séduction, par sa personnalité, par sa légitimité du fait de son expérience ou de compétences particulières. Son autorité, il la tient d’un processus d’adhésion libre et spontané des personnes. Le leadership ne se décrète pas mais se constate. Il n’a rien à voir avec le statut, le grade ou le rang. Mais encore faut-il qu’il ait l’opportunité de révéler son talent. En entreprise, il y a beaucoup de leaders cachés. Il y a quelques années, une direction des ressources humaines que j'accompagnais a posé la question « Qu’aimerez-vous faire ? » lors des entretiens d’évaluation. L’une des secrétaires, qui était dans l’entreprise depuis vingt ans, a montré son appétence pour le développement commercial. L’entreprise lui a proposé une formation accélérée et elle a fini sa carrière en tant que directrice commerciale du groupe. Il a suffi d’une question, question que l’on ne pose malheureusement pas assez souvent.
Décideurs. Certains ingrédients du leadership ne sont-ils pas méconnus?
D. B. Le véritable leadership procède d’un ensemble de compétences humaines qui ne sont pas assez travaillées au stade des formations initiales ni assez prises en compte pour l’évaluation et la promotion des managers à des postes à responsabilité. Les gens devraient être davantage évalués sur leur soft skills. Aujourd’hui, le sujet de l’éthique managériale est très peu évoqué en France. La dimension managériale de la RSE reste encore dans les coulisses.
Décideurs. Comment l'action learning peut-elle développer des capacités de leadership individuel et collectif ?
D. B. L’action learning est une méthode de réflexion collaborative par petits groupes qui permet de travailler sur un problème complexe à résoudre dans le cadre de sessions brèves. L’objectif est de développer les compétences de leadership sur le plan individuel et collectif du groupe. Comment ? En travaillant sur des sujets réels avec les acteurs concernés de l’organisation. Cette pratique donne l’opportunité à chaque participant, pendant la séance, de travailler sur une compétence de leadership qu’il a choisie et qu’il cherche à développer à travers une logique de questionnement. À la fin de la session, il reçoit un feedback du groupe uniquement sur les points positifs de son intervention et un retour du coach sur les axes d’amélioration. Pour fonctionner, la méthode doit être développée dans un environnement d’entraide et de bienveillance. En même temps, la formule stimule naturellement les capacités de leadership collectif et change la culture de management. Les organisations se l’approprient en général par le haut pour la diffuser ensuite auprès de tous les collaborateurs, avec toujours l’idée de l’écrasement de la hiérarchie par la mise en place de l’action learning. Cette dernière a une puissance universelle, elle est aujourd’hui pratiquée dans trente-trois pays.
Propos recueillis par Alexandra Cauchard