Créativité et management : meilleurs ennemis

Le dirigeant Domenico De Sole et le styliste Tom Ford chez Gucci, le financier Akio Morita et l’inventeur Masaru Ibuka pour Sony, le gérant Jérôme Lefèvre et le programmeur Antoine Lefèvre d’Infotrafic… Leur point commun : le respect du rôle de chacun. Une équation qui est la clé du succès pour que management et créativité collaborent en entreprise selon John Hennessy, président de l’université de Stanford. « Le défi, pour une entreprise, est de garder l’étincelle de l’innovation ». Celui que l’on surnomme « le parrain de la Silicon Valley » a impulsé le développement de cours comme « crash course of creativity » ou « creativity and the role of the leader » dès le début des années 2000. Depuis, les expérimentations pour challenger le couple managers et créatifs ne manquent pas. Ainsi, les chercheurs de l’université de Caroline du Nord, de Pennsylvanie et de Cornell ont pris pour cobayes 200 de leurs étudiants. Scindés en deux groupes, les innovants et les pragmatiques devaient résoudre un cas réel d’entreprise. Les évaluateurs, dirigeants et recruteurs, ont estimé le dernier groupe comme le plus apte à manager une équipe. Même constat en entreprise. Plus de 300 salariés d’employeurs différents en Pennsylvanie se sont réunis pour travailler sur des sujets tels que l’évolution professionnelle, le leadership et l’exemplarité. Cinquante de leurs collègues ont alors arbitré le potentiel créatif et la capacité managériale de chaque proposition. Résultat : les collaborateurs les plus innovants étaient considérés comme piètres managers par leurs pairs. La créativité dévaloriserait donc les responsables d’équipe. Et les raisons de cette incompatibilité sont nombreuses. L’originalité entraînerait un sentiment d’incertitude et les unités gérées par des créatifs seraient celles qui connaîtraient le turnover le plus élevé. Bien loin donc, de la première qualité indispensable à tout manager : susciter l’adhésion.

Un équilibre est pourtant loin d’être impossible. Anne-Sophie Pic, chef triplement étoilé, et David Sinapian, dirigeant de Pic, l’ont trouvé. Pour la cuisinière, échanger sur la stratégie du groupe avec le chef d’entreprise l’aide à cultiver sa créativité. Le manager endosse alors un rôle de facilitateur pour faire émerger l’innovation chez les autres. « La cuisine est le cœur de notre métier, de notre business. Sur cet aspect, tout part d’Anne-Sophie », souligne David Sinapian. « Mais le restaurant est une entité globale, et sur sa gestion, la méthode de travail reste collaborative ». La créativité dans le management est même devenue un business. La Route des jobs, organisme de formation spécialisé dans les learning expeditions innovantes, puise dans les meilleures techniques de management des cuisiniers, sportifs ou autres métiers d’excellence pour les dupliquer en entreprise. Leur terrain de jeu ? Un atelier de pâtisserie, le centre du football de Clairefontaine ou un jardin… Manager et créatif : définitivement le couple gagnant de l’entreprise. 

V. L.