Portage salarial : une relation à trois
Le portage salarial implique une relation tripartite entre employé, entreprise de portage salarial et client. Disruptif, il a longtemps été confondu avec une forme de prêt de main-d’œuvre illicite. Alors que les entreprises et les salariés trouvaient satisfaction dans ce mode de fonctionnement, la loi ne pouvait pas l’encadrer, jusqu’à l’Accord national interprofessionnel (ANI) signé en 2008 visant à sécuriser ce marché.
Un salariat réinventé
D’abord mis en place par deux associations proches des grandes écoles afin de faciliter la réalisation de travaux ponctuels par d’anciens élèves, son efficacité et sa simplicité ont vite séduit un monde du travail plus enclin à travailler par missions. Solution gagnante ? Très certainement ! Côté employés, cela ouvre la possibilité de tester des fonctions, de se former sans engagement et surtout ne pas avoir à gérer les contraintes administratives liées à l’auto-entreprenariat. Côté employeurs : une plus grande flexibilité et la possibilité pour les ressources humaines d’adapter leurs effectifs au rythme de l’activité. Le portage salarial promet donc liberté et sécurité pour chaque partie prenante.
300 : c'est le nombre d'entreprises de portage salarial début 2019 ( source : Source : DADS 2016)
Courtisé dans un premier temps par les sociétés de conseil souhaitant augmenter les effectifs de consultants extérieurs, le portage salarial s’est rapidement démocratisé à d’autres secteurs sans pour autant bénéficier d’un cadre juridique défini.
"Dans les années 1980, un mode d’emploi triangulaire s’est construit en dehors de toute législation, de façon confidentielle" rappelle Benjamin Kantorowicz, avocat associé, cofondateur du cabinet Bianca et auteur de Droit et pratique du portage salarial.
Des discordes
Si le portage salarial fut très vite reconnu pour son agilité, des dérives sont toutefois apparues lors de sa mise en pratique, faisant émerger nombre de débats et planer l’ombre de l’illégalité sur ce nouveau mode de prêt de mains-d’œuvre lucratif. Outre le constat que certaines sociétés de portage salarial ont pu, hors cadre réglementaire, facturer des cotisations salariales douteuses, il était souvent pointé du doigt que ce mode de travail précarisait le statut du salariat. Ce sont finalement les partenaires sociaux qui incitent la loi à s’y adapter. En effet, précurseur d’un marché du travail plus flexible, le portage salarial a su répondre à un besoin social croissant : celui du retour à l’emploi des demandeurs d’emploi et particulièrement des seniors. Pour rappel, selon le rapport de branche de 2019, "en 2016, l’âge moyen des salariés des entreprises de portage salarial (EPS) est de 46 ans (47 ans pour les hommes et 45 pour les femmes)".
"l’âge moyen des salariés des entreprises de portage salarial (EPS) est de 46 ans"
Officialisation
La loi du 25 juin 2008 apporte au portage salarial sa première définition légale, mais il faudra attendre l’ordonnance n° 2015-380 du 2 avril 2015 pour que son cadre législatif soit sécurisé. Véritable retournement de situation, ces différents articles de loi élargissent le champ du portage salarial à davantage de catégories socioprofessionnelles. Plébiscité habituellement dans les métiers du conseil et de la data, il peut dès lors être pratiqué légalement dans des secteurs d’activité divers. Aussi, selon la Fédération des entreprises de portage salarial, en 2018, ce sont 728 entreprises de portage salarial qui étaient présentes en France regroupant 86 000 salariés portés. Cependant, loin de vouloir remplacer le travail temporaire, ce mode de travail concerne toujours une certaine catégorie socioprofessionnelle : 72 % des salariés sont des cadres, selon le rapport de branche de 2019.
"Le portage salarial possède une particularité inédite. Il s’agit d’une pratique qui a été instaurée, a évolué et n’a été légalisée que par la suite", Benjamin Kantorowicz
Une revalorisation perfectible
"Le portage salarial possède une particularité inédite. Il s’agit d’une pratique qui a été instaurée, a évolué et n’a été légalisée que par la suite" explique Benjamin Kantorowicz. Des axes d’amélioration restent possibles et son expansion à de nouveaux secteurs d’activité impliquerait de nouvelles précisions législatives. Toutefois, sa création et son évolution législative furent d’une rare agilité. Solution particulièrement efficace, elle a pour mérite de répondre aisément au besoin des marchés de l’emploi tendus en temps de crise. à présent très structurées, les entreprises de portage salarial sauront certainement asseoir leur légitimité sur le long terme.
Les points à traiter afin de se normaliser, sont connus, notamment celui du dialogue social. Le rapport de branche indique que seuls 10 % des EPS déclarent la présence d’une organisation syndicale au sein de leur entreprise. Les relations avec l’Urssaf représentent également une source d’inquiétude pour de nombreuses EPS. "Le besoin de clarification des relations avec l’Urssaf occupe une place importante puisque 36 % des répondants le mettent en avant" selon le même de rapport de branche. L’actualisation de certains textes légaux à cette pratique reste donc toujours d’actualité.
L’ "évangélisation" du portage salarial est incontestablement en marche mais semble ne pouvoir se réaliser qu’avec une vigilance particulière encadrant encore son évolution.
Elsa Guérin