Pour plus de 1,14?milliard d’euros, Honeywell est en passe de faire de Sperian sa protégée. En offrant 67?% de plus que Cinven, l’américain a sorti ses gants de financier pour emporter la pépite des équipements de protection.

Pour plus de 1,14?milliard d’euros, Honeywell est en passe de faire de Sperian sa protégée. En offrant 67?% de plus que Cinven, l’américain a sorti ses gants de financier pour emporter la pépite des équipements de protection. De la transparence du processus de cession ou de la nouvelle position dominante des industriels face aux fonds, comment interpréter de telles différences de valorisation ?
 

La transaction en cours entre le groupe industriel américain Honeywell et le spécialiste français des équipements de protection individuelle (Épi) Sperian Protection est bel et bien l’une des plus importantes opérations de l’année.

À plus de 1,1?milliard d’euros, Honeywell a mis tout le monde d’accord en offrant 67?% de plus que le projet d’offre publique d'achat du fonds d’investissement Cinven, contesté dès son annonce par les actionnaires minoritaires. Cotée sur le SBF 120, Sperian est un des leaders mondiaux du secteur des Épi avec 660 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2009, 6 000 employés répartis dans 26 pays et 27 sites de production sur 5 continents. Avec ses 6 à 7?% de part de marché, le groupe français est connu comme le numéro 2 mondial du secteur, derrière l’américain 3M et ses 8 à 9?% de part de marché.

Suivent, dans le désordre, deux types de compétiteurs. D’un côté les purs-sangs du même acabit que le français, indépendants et focalisés sur leur marché, à l’image des Mine Safety Appliances, Ansell ou Dräger. De l’autre, se retrouvent les conglomérats tentaculaires que sont Honeywell, Tyco, DuPont, ou Kimberly-Clark.
Une course à la part de marché

L’industrie de la protection est encore très éclatée. Pour croître, maintenir ses positions et à terme survivre, ses acteurs sont amenés à se lancer dans une course à la part de marché. Cela passe par des stratégies commerciales agressives, mais aussi et surtout par de l’acquisition. L’attaque prime pour se défendre. Cela vaut aussi bien pour les grands que pour les «?indé?». La force de frappe financière est stratégique dans cette guerre économique. D’autant plus explicite dans le contexte actuel. Avec des équipements quasi exclusivement destinés au monde du BTP et de l’industrie, le secteur doit faire face aux projets de construction ou d’infrastructure ajournés ou tout simplement annulés du fait de la crise. Sperian Protection veut prendre part à la consolidation du secteur, mais se retrouve bridé par son manque de financements. Il s’agit de trouver de l’argent frais. À défaut, le groupe pressent la condamnation à une mort lente, par asphyxie en l’occurrence.


Trouver des partenaires

Dès mi-2009, Brice de La Morandière, directeur général du groupe, et ses équipes, mandate ses conseils pour trouver des partenaires qui doivent lui permettre de renforcer son bilan. Du côté des actionnaires historiques, la ligne est claire. Essilor et Ginette Dalloz, qui pèsent respectivement 15?% et 13?% du capital, et 23?% et 20?% des droits de vote, ne sont candidats ni à la vente, ni au refinancement.

L’idée première du management est de faire entrer un fonds d’investissement aux côtés des actionnaires actuels pour développer le groupe et préserver son indépendance. Après plusieurs mois de présélection de dossiers, Cinven se présente avec une offre annoncée sous forme d’intention. Le 31 mars 2010, le fonds propose 70 euros par action, ce qui valorise Sperian à 766 millions d’euros, soit neuf fois l’Ebitda 2009. Ce prix représente une prime de 15,7?% par rapport au dernier cours de clôture (60,5 euros) et de 31,4?% par rapport à la moyenne 3 mois du cours de Bourse (53,3 euros) précédent l’offre.
Pour Jean-Florent Rérolle, managing director de la banque d’affaires Houlihan Lokey à Paris, «?l’offre valorisait les fonds propres de la société à 532 millions d’euros alors même que l’actif net part du groupe au 31 décembre 2009 était de 587 millions d’euros. Accepter la valeur proposée revenait donc implicitement à considérer que la rentabilité économique future de l’entreprise devait être nécessairement inférieure à son coût du capital. (…) Hypothèse audacieuse pour une pépite comme Sperian…?», conclut-il.


Honeywell clôt les débats

Cette opération prévoyait que Cinven entre en tant que majoritaire dans la holding destinée à être le véhicule de reprise de la société cotée, auprès des actionnaires historiques qui conservaient leur participation.

La nouvelle structure devant détenir 57?% de Sperian. Du point de vue de la structuration juridique, Laurent Faugérolas, avocat associé chez Willkie Farr & Gallagher LLP, précise qu’«?il a fallu réfléchir à la mise en place d’une holding d’acquisition, et à la structuration contractuelle des pactes d’actionnaires, ainsi que des engagements d’apport en nature?».
Non contents du prix proposé par Cinven, certains fonds actionnaires font appel à Colette Neuville, présidente de l’Association de défense des actionnaires minoritaires (Adam), pour obtenir un meilleur prix.
Mais dès le début du mois de mai, des industriels s’activent à la table des négociations. Pour Laurent Faugérolas, «?les discussions ont eu lieu en “off”, ce qui est novateur?». Lors de ces tractations, Honeywell propose le 19?mai l'offre substantiellement supérieure, à 117?euros par action, sur la totalité des actions, et payable en cash. La qualité de l'offre clôt les débats, et Sperian se voit dès lors valorisée plus de 1,1?milliard d’euros, soit 13,5 fois l’Ebitda (cf. graphique ci-contre).

Sur cette opération l’américain offre 67?% de plus que Cinven, et 119,7?% de plus que la moyenne 3 mois du cours de Bourse au 30 mars 2010 (cf. graphique ci-dessus).

Jean-Florent Rérolle s’interroge sur le fait que «?la procédure d’offre n’ait pas été ouverte à l’ensemble des acteurs, fonds et industriels, dès le départ. (…) Avec l’arrivée d’un acheteur stratégique comme Honeywell, Sperian est aussi valorisée en fonction des synergies potentielles, ce qui

rend mieux compte du contexte transactionnel global, et permet aux actionnaires d’obtenir la meilleure offre?».
Pour Honeywell, être prêt à dégainer de la sorte, quitte à surpayer sa cible, c’est aussi afficher ses ambitions de leader sur le marché des équipements de protection. L’offre en cours, si elle obtient l’ensemble des autorisations réglementaires, permettra à l’industriel de Morristown (ville du New Jersey) de verrouiller une part de marché importante.

Du point de vue comptable, les évaluateurs se feront un plaisir de valoriser le goodwill (prime) d’acquisition de Sperian. Avec des actifs physiques estimés à environ 100 millions d’euros par son président, des marques certes renommées chez les initiés mais circonscrites au cercle du «?B to B?», l’essentiel de la valeur sera à trouver du côté des relations clientèles et, dans une moindre

mesure, des technologies. En se référant aux détails de la valorisation de l’offre dans la note d’opération de Sperian, la prime d’acquisition, selon les méthodes d’évaluation, oscille entre 40?% et plus de 80?% du prix d’acquisition.
Mais avec un total bilan de plus de 36?milliards de dollars, 122 000 employés et 31?milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2009, chacun comprendra que l’enjeu comptable est bien secondaire par rapport à l’importance du mouvement à l’œuvre pour Honeywell. Pour le conglomérat, «?l’acquisition de Sperian présente un véritable intérêt stratégique à de nombreux égards, compte tenu notamment de la grande complémentarité de son portefeuille de produits, de son implantation géographique et de son réseau de distribution?». L’acheteur entend donc bénéficier à plein des synergies avec Sperian. Dans les faits, le groupe français doit intégrer la division Automation and control solutions d’Honeywell, qui réalise 12,6?milliards d’euros de chiffre d’affaires.
Honeywell précise que «?cette acquisition vient compléter celle de Norcross de mi-2008, spécialiste des Épi, repris pour 1,2?milliard de dollars à l’époque?»,

et assure avoir «?étudié, dès 2009, les opportunités d’investissement sur ce marché?». Selon Laurent Faugérolas, «?au-delà de l’intérêt des actionnaires, la solution Honeywell fait sens d’un point de vue industriel?».
Le retour en force des industriels ?

Il est clair qu’Honeywell était déterminé à remporter Sperian qui rentrait parfaitement dans sa stratégie d’acquisition de part de marché. Pour ce faire, la firme de Morristown a mis toutes les chances de son côté en offrant un tel prix sur 100?% des actions. Par nature, le prix est fonction de la dette et de la rentabilité ou Tri (Taux de rendement interne) chez un financier. Compte tenu de l’absence de dette LBO disponible, le fonds ne voulait ou ne pouvait tout simplement pas rivaliser avec Honeywell. Pour les industriels peu endettés ou riches en cash, l’avenir s’annonce favorable en termes de négociation. Face à des fonds ne pouvant plus autant faire appel au levier de la dette, les corporates savent qu’ils peuvent de nouveau avoir le dernier mot et terminer avec la meilleure offre lors d’enchères. Dans le «?Monopoly des fusacqs 2010?», il est encore trop tôt pour annoncer le retour en force des industriels dans l’arène des prédateurs. Il est certain que la création de valeur s’annonce plus laborieuse que dans le monde pré-Lehman. Les fonds en sont désormais conscients.

Juillet 2010

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