Techno-addict, Mr. Schmitt traque les apps, dissèque leurs usages, observe leurs conditions de monétisation. Avec App Annie, l’homme d’affaires français a créé il y a cinq ans l’épine dorsale d’un marché évalué à plusieurs milliards de dollars.
The H(app)y Mr. Schmitt
Il ne se sépare jamais de ses trois téléphones : l’iPhone 6 Plus, le Nexus 6 et le Nokia Lumia 920. Mr. Schmitt adore les gadgets. Il a été parmi les premiers à posséder un Aibo, ce chien-robot imaginé par Sony qui a fait fureur au Japon. À 38 ans, Mr. Schmitt est un techno-addict assumé. Il aime avoir la primeur. Sa dernière acquisition, c’est évidemment l’Apple Watch. «?Le jour J, à l’ouverture des ventes à minuit, il était debout devant son ordinateur pour passer commande?», raconte l’un de ses proches collaborateurs. Il faut dire que l’avant-gardisme technologique de Mr. Schmitt fait rêver. «?En arrivant en rendez-vous chez Microsoft, Bertrand a posé le tout nouveau Nokia sur la table : les équipes se sont extasiées sur l’objet qu’elles n’avaient pas encore vu !?», se souvient Nicolas Beraudo, EVP Worlwide Sales d’App Annie. En 2015, l’attirail de Mr. Schmitt est complété par trois tablettes dernière génération : «?Je ne les utilise pas en même temps?», précise l’homme d’affaires. Sur chacun de ses appareils nomades, sont enregistrées pas moins de deux cents apps. Business oblige. Depuis cinq ans, Mr. Schmitt surveille l’écosystème des applications mobiles : il traque les best-sellers, dissèque les usages, examine les conditions de monétisation pour mieux classer ces lucratives apps dont les revenus mondiaux ont été multipliés par 1,7 en 2014. Avec App Annie, Mr. Schmitt s’est imposé comme l’épicentre du marché des applications mobiles. Ni vu, ni connu.
« App Annie, c’est un cockpit?»
Dans la Silicon Valley, on murmure que cet ingénieur français, diplômé d’un MBA en marketing de Wharton, a créé une véritable tour de contrôle de l’économie mondiale des apps. Mr. Schmitt adhère volontiers à cette métaphore. Il aime à comparer App Annie à «?un cockpit qui fournit des instruments pour piloter efficacement son business sans entrer en collision avec ses concurrents?». Évidemment, éviter le crash a un prix. Si la start-up a construit sa notoriété en offrant gratuitement aux publishers des classements des applications mobiles les plus téléchargées et les plus rentables sur l’App Store et autres Google Play, elle a surtout un business modèle fondé sur l’édition de solutions d’analyse payantes. Du marché aux usages en passant par les utilisateurs, App Annie monitore la vie des apps, telle une nanny. «?App Annie a été conçue comme une machine automatique générant des database marketing d’une grande valeur stratégique?», explique Bjørn Stabell, co-fondateur d’App Annie.
Google, Ubisoft, Dow Jones… Près de 400 000 professionnels de cette industrie utilisent, aujourd’hui, les outils proposés par la start-up dont l’annual reccuring revenue (ARR) triple chaque année depuis trois ans. En une demi-décennie, App Annie a tracké pas moins de 700 000 applications générant vingt-cinq milliards de dollars de revenu pour quatre-vingt-trois milliards de téléchargements. L’effectif de la petite entreprise a doublé, passant à 300 employés, et onze bureaux ont été ouverts aux quatre coins du monde. Ce développement fulgurant, Mr. Schmitt le doit d’abord à la qualité de son business modèle qui a suscité l’intérêt de fonds prestigieux tels qu’IDG Capital Partners, Greycroft et Sequoia. En janvier dernier, c’est Institutional Venture Partners (IVP) qui est entré au capital de la start-up lors d’un quatrième tour de table dont le montant s’est élevé à cinquante-cinq millions de dollars. Au total, quatre-vingt-quatorze millions de dollars ont été levés depuis 2010. Des fonds qui ont permis à la start-up de s’offrir en mai dernier Distimo, le spécialiste en audit d’apps et sites Internet présent aux États-Unis, aux Pays-Bas et à Londres. Mr. Schmitt voit grand. Dans les mois à venir, des acquisitions sont à prévoir. L’homme d’affaires, qui n’exclut pas un jour l’IPO, a déjà des cibles. Début mai, App Annie s’est ainsi emparée de Mobidia, un pionnier dans l’analyse des usages des applications mobiles.
Son CV donne le tournis
Cette capacité à séduire le monde des affaires, Mr. Schmitt l’a héritée de son père, avocat pugnace assis aux boards de grandes entreprises et longtemps dirigeant des éditions Albert René qui publie la célèbre bande dessinée Astérix. «?Bertrand a deux qualités : un focus indéfectible et une noble ambition. Quand certains s’attablaient pour socialiser avec la gente féminine, lui faisait avancer discrètement mais sûrement son admission à Wharton?», se souvient Pierre-Étienne Lorenceau. Le CEO du groupe Leaders League a très tôt identifié le potentiel hors norme du fondateur d’App Annie qu’il a brièvement embauché dans son entreprise.
CEO, COO, VP marketing, CTO… la lecture de son curriculum vitae donne le tournis. Mr. Schmitt est né sous les auspices d’un engouement obsessionnel pour la tech et d’une éducation bourgeoise à Neuilly-sur-Seine où il côtoie le milieu des affaires. Pour comprendre cet ADN binaire, il faut rembobiner le film. Passer en accéléré les premiers logiciels développés à l’âge de 11 ans, les télescopes bidouillés et les articles signés dans le magazine Pascalissime, dédié au langage de programmation Pascal. Remonter au-delà de l’époque Minitel où le jeune geek se rend toutes les semaines à Saint-Germain-des-Prés pour rencontrer les membres de communautés dédiées au mobile – à l’époque ce sont les calculatrices scientifiques techniques – avec qui, il échange des tips via des Bulletin Board Systems (BBS), précurseur de l’Internet. Faire un arrêt sur image en 1998, un an avant l’obtention de son diplôme d’ingénieur, quand il lance Arkadia, une SSII/web agency à l’avant-garde du WAP, qui développe des services mobiles pour les éditeurs BtoB et signe des partenariats avec les Nokia, Ericsson et autres Sagem. Oublier les années Wharton, où Mr. Schmitt nourrit son cerveau aux romans d’espionnage et à la science-fiction d’Isaac Asimov. Balayer les trente-deux mois passés chez Zadan, cette start-up focus sur les mobile multimedia services, où une première connexion avec le monde des analytics est établie. Sauter les étapes de la construction de la business line mobile de l’entreprise Gomez à Pékin pour revoir l’étonnant Mr. Schmitt de 32 ans attablé un jour d’été dans un restaurant italien de Beijing avec Bjørn Stabell, CEO d’Happylatte, qui découvrait «?un geek à l’esprit business aiguisé à Wharton et aux manières sophistiquées à la française.?» « Pendant le déjeuner, nous avons surtout parlé technologies et science-fiction avant de terminer par les perspectives futures de l’humanité?», se souvient son associé. À la confluence de plusieurs mondes, Mr. Schmitt est un caméléon touche-à-tout qui cultive un temps d’avance à l’échelle globale. iWatch oblige.
Obsédé par la road map produit
Très tôt, Mr. Schmitt s’est aperçu que les applications mobiles prenaient des allures de machines à cash. Le 6 janvier 2010, Apple annonce avoir dépassé les trois milliards de téléchargements d’applications iPhone. Deux mois plus tard, près de 150 000 apps créées par quelque 28 000 développeurs sont mondialement disponibles au téléchargement sur l’App Store. Le 7 juin 2010 lors d’une keynote, Steve Jobs confirme que 225 000 applications sont désormais accessibles. Cette année-là, Mr. Schmitt démissionne. Il a dans l’idée de se lancer dans les apps. «?Je ne savais pas exactement par où commencer?», confesse l’homme d’affaires. Ce «?pragmatique obsédé par la road map du produit?», aux dires de ses collaborateurs, s’interroge alors sur les pays les plus porteurs, les segments les plus intéressants, pour finalement constater qu’il n’existe aucun outil d’analyse de cette nouvelle économie des apps. C’est à Bjørn Stabell, son copain norvégien, CEO d’une start-up spécialisée dans l’IT et les jeux sur mobiles, que Mr. Schmitt confie sa découverte. «?J’ai adoré l’idée !?», se souvient le fondateur d’Happylatte. À cette époque, Stabell a dans le pipe un minimum viable product (MVP) baptisé App Nanie. Les deux hommes s’associent dans une structure indépendante finalement rebaptisée App Annie. «?Bertrand m’a impressionné : il avait une vision très claire du business modèle et du marché. Il a rapidement construit son équipe et insufflé une dynamique. Il y croyait, ça se sentait?», raconte son associé qui n’a jamais douté de son ami. Bien lui en a pris.
Les dernières études publiées par IDC/App Annie laissent entendre que les recettes des app stores des géants de l’informatique vont exploser dans les prochaines années. À l’horizon 2018, le chiffre d’affaires de l’Apple store pourrait atteindre vingt milliards de dollars, soit deux fois plus qu’en 2014. Sans compter l’arrivée des SmartWatch. Lors de la publication des résultats pour le Q2 2015 d’Apple, Tim Cook a annoncé que l’App Store de l’Apple Watch contenait déjà 3 500 apps, ce qui est beaucoup plus que les mille apps au démarrage de l’iPad et les 500 de l’App Store en 2008. De quoi réjouir Mr. Schmitt dont les concurrents directs ne sont pas légion. Quand on évoque Localytics qui a récemment levé trente-cinq millions de dollars, Flurry racheté par Yahoo en juillet dernier, Mixpanel évaluée à 865?millions de dollars ou SimilarWeb qui tracke les usages actuels, l’homme d’affaires répond : «?App Annie, c’est la Suisse du monde des applications. Nous travaillons avec tout le monde pour satisfaire les demandes de nos utilisateurs.?»
Des clients toujours plus friands d’analytics. Une aubaine pour Mr. Schmitt qui n’a pas l’intention de devenir un «?one-trick pony?». Avec ses équipes, il a lancé en décembre dernier un nouveau produit. Audience Intelligence dresse dans Demographics un portrait des consommateurs – âge, genre, revenu, éducation – et révèle, via Related Apps, les autres applications téléchargées par les utilisateurs d’une app en particulier. La start-up a sorti le 6 mai dernier un outil baptisé Usage intelligence visant à qualifier la satisfaction des usagers. Autant de datas pour lesquelles certains publishers sont prêts à débourser des centaines de millions de dollars. «?Sur les cent premiers éditeurs mondiaux d’apps, 95?% sont clients et neuf des dix plus importants sont abonnés à nos services payants?», précise encore Nicolas Beraudo.
Miser sur le vecteur émotionnel
Après Singapour, Mr. Schmitt ouvrira cette année un bureau App Annie à Paris puis à Berlin. L’homme ne cache pas sa joie de revenir au bercail. «?C’est sympa !?», s’exclame celui qui a déjà un pied dans sept pays répartis sur trois continents. Mr. Schmitt est cosmopolite. Son entreprise, il l’a créée en Chine en 2010 où il était expatrié depuis deux ans pour comprendre les rouages d’un business multipays. Quand il a débarqué à Pékin au sein de la filiale du groupe Gomez, il était selon ses mots «?le seul blanc dans une équipe de quatre-vingts Asiatiques?». Comble du comble, il ne parlait pas un mot de chinois. «?Ce n’était pas commun et ça n’a pas été facile?», reconnaît-il. À l’époque, peu lui importe. Plus que l’Amérique, l’Inde ou la Russie, la Chine le fascine. «?Il y a un vrai développement économique, une très grosse force de travail et un vrai marché intérieur?», martèle Mr. Schmitt qui, marié à une taiwanaise, a depuis appris à manier le chinois. S’il a quitté l’empire du Milieu pour rejoindre il y a un an la Mecque de la tech, le Français de souche a appris à ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Seulement 50?% du chiffre d’affaires d’App Annie est réalisé aux États-Unis, 35?% en Asie et 15?% en Europe. Plutôt atypique pour une boîte tech plébiscitée dans le monde des analytics. App Annie détonne. Son design graphique et personnifié, son nom fun et incarné, ont rapidement séduit les utilisateurs majoritairement issus de la génération Y. «?Notre marque a misé sur le vecteur émotionnel en créant un petit personnage amusant. Cela contraste avec nos concurrents dont les home pages sont saturées de graphiques?», se félicite Bjørn Stabell. Loin d’être anodin, cet engouement suscité par la start-up révèle les dessous des cartes d’un succès qui ne tient pas seulement à la sacro-sainte data.
Et quand il entend les publishers lui déclarer : «?Je suis fan d’App Annie?», Mr. Schmitt s’en étonne d’ailleurs toujours. «?Personne ne vous dira jamais : “je suis fan de Nielsen !”», s’amuse celui qui ne voulait pas passer sa vie à résoudre des problèmes techniques. Sûrement parce qu’il était fait pour les prévenir avec une bonne dose d’analyse.
Émilie Vidaud
« App Annie, c’est un cockpit?»
Dans la Silicon Valley, on murmure que cet ingénieur français, diplômé d’un MBA en marketing de Wharton, a créé une véritable tour de contrôle de l’économie mondiale des apps. Mr. Schmitt adhère volontiers à cette métaphore. Il aime à comparer App Annie à «?un cockpit qui fournit des instruments pour piloter efficacement son business sans entrer en collision avec ses concurrents?». Évidemment, éviter le crash a un prix. Si la start-up a construit sa notoriété en offrant gratuitement aux publishers des classements des applications mobiles les plus téléchargées et les plus rentables sur l’App Store et autres Google Play, elle a surtout un business modèle fondé sur l’édition de solutions d’analyse payantes. Du marché aux usages en passant par les utilisateurs, App Annie monitore la vie des apps, telle une nanny. «?App Annie a été conçue comme une machine automatique générant des database marketing d’une grande valeur stratégique?», explique Bjørn Stabell, co-fondateur d’App Annie.
Google, Ubisoft, Dow Jones… Près de 400 000 professionnels de cette industrie utilisent, aujourd’hui, les outils proposés par la start-up dont l’annual reccuring revenue (ARR) triple chaque année depuis trois ans. En une demi-décennie, App Annie a tracké pas moins de 700 000 applications générant vingt-cinq milliards de dollars de revenu pour quatre-vingt-trois milliards de téléchargements. L’effectif de la petite entreprise a doublé, passant à 300 employés, et onze bureaux ont été ouverts aux quatre coins du monde. Ce développement fulgurant, Mr. Schmitt le doit d’abord à la qualité de son business modèle qui a suscité l’intérêt de fonds prestigieux tels qu’IDG Capital Partners, Greycroft et Sequoia. En janvier dernier, c’est Institutional Venture Partners (IVP) qui est entré au capital de la start-up lors d’un quatrième tour de table dont le montant s’est élevé à cinquante-cinq millions de dollars. Au total, quatre-vingt-quatorze millions de dollars ont été levés depuis 2010. Des fonds qui ont permis à la start-up de s’offrir en mai dernier Distimo, le spécialiste en audit d’apps et sites Internet présent aux États-Unis, aux Pays-Bas et à Londres. Mr. Schmitt voit grand. Dans les mois à venir, des acquisitions sont à prévoir. L’homme d’affaires, qui n’exclut pas un jour l’IPO, a déjà des cibles. Début mai, App Annie s’est ainsi emparée de Mobidia, un pionnier dans l’analyse des usages des applications mobiles.
Son CV donne le tournis
Cette capacité à séduire le monde des affaires, Mr. Schmitt l’a héritée de son père, avocat pugnace assis aux boards de grandes entreprises et longtemps dirigeant des éditions Albert René qui publie la célèbre bande dessinée Astérix. «?Bertrand a deux qualités : un focus indéfectible et une noble ambition. Quand certains s’attablaient pour socialiser avec la gente féminine, lui faisait avancer discrètement mais sûrement son admission à Wharton?», se souvient Pierre-Étienne Lorenceau. Le CEO du groupe Leaders League a très tôt identifié le potentiel hors norme du fondateur d’App Annie qu’il a brièvement embauché dans son entreprise.
CEO, COO, VP marketing, CTO… la lecture de son curriculum vitae donne le tournis. Mr. Schmitt est né sous les auspices d’un engouement obsessionnel pour la tech et d’une éducation bourgeoise à Neuilly-sur-Seine où il côtoie le milieu des affaires. Pour comprendre cet ADN binaire, il faut rembobiner le film. Passer en accéléré les premiers logiciels développés à l’âge de 11 ans, les télescopes bidouillés et les articles signés dans le magazine Pascalissime, dédié au langage de programmation Pascal. Remonter au-delà de l’époque Minitel où le jeune geek se rend toutes les semaines à Saint-Germain-des-Prés pour rencontrer les membres de communautés dédiées au mobile – à l’époque ce sont les calculatrices scientifiques techniques – avec qui, il échange des tips via des Bulletin Board Systems (BBS), précurseur de l’Internet. Faire un arrêt sur image en 1998, un an avant l’obtention de son diplôme d’ingénieur, quand il lance Arkadia, une SSII/web agency à l’avant-garde du WAP, qui développe des services mobiles pour les éditeurs BtoB et signe des partenariats avec les Nokia, Ericsson et autres Sagem. Oublier les années Wharton, où Mr. Schmitt nourrit son cerveau aux romans d’espionnage et à la science-fiction d’Isaac Asimov. Balayer les trente-deux mois passés chez Zadan, cette start-up focus sur les mobile multimedia services, où une première connexion avec le monde des analytics est établie. Sauter les étapes de la construction de la business line mobile de l’entreprise Gomez à Pékin pour revoir l’étonnant Mr. Schmitt de 32 ans attablé un jour d’été dans un restaurant italien de Beijing avec Bjørn Stabell, CEO d’Happylatte, qui découvrait «?un geek à l’esprit business aiguisé à Wharton et aux manières sophistiquées à la française.?» « Pendant le déjeuner, nous avons surtout parlé technologies et science-fiction avant de terminer par les perspectives futures de l’humanité?», se souvient son associé. À la confluence de plusieurs mondes, Mr. Schmitt est un caméléon touche-à-tout qui cultive un temps d’avance à l’échelle globale. iWatch oblige.
Obsédé par la road map produit
Très tôt, Mr. Schmitt s’est aperçu que les applications mobiles prenaient des allures de machines à cash. Le 6 janvier 2010, Apple annonce avoir dépassé les trois milliards de téléchargements d’applications iPhone. Deux mois plus tard, près de 150 000 apps créées par quelque 28 000 développeurs sont mondialement disponibles au téléchargement sur l’App Store. Le 7 juin 2010 lors d’une keynote, Steve Jobs confirme que 225 000 applications sont désormais accessibles. Cette année-là, Mr. Schmitt démissionne. Il a dans l’idée de se lancer dans les apps. «?Je ne savais pas exactement par où commencer?», confesse l’homme d’affaires. Ce «?pragmatique obsédé par la road map du produit?», aux dires de ses collaborateurs, s’interroge alors sur les pays les plus porteurs, les segments les plus intéressants, pour finalement constater qu’il n’existe aucun outil d’analyse de cette nouvelle économie des apps. C’est à Bjørn Stabell, son copain norvégien, CEO d’une start-up spécialisée dans l’IT et les jeux sur mobiles, que Mr. Schmitt confie sa découverte. «?J’ai adoré l’idée !?», se souvient le fondateur d’Happylatte. À cette époque, Stabell a dans le pipe un minimum viable product (MVP) baptisé App Nanie. Les deux hommes s’associent dans une structure indépendante finalement rebaptisée App Annie. «?Bertrand m’a impressionné : il avait une vision très claire du business modèle et du marché. Il a rapidement construit son équipe et insufflé une dynamique. Il y croyait, ça se sentait?», raconte son associé qui n’a jamais douté de son ami. Bien lui en a pris.
Les dernières études publiées par IDC/App Annie laissent entendre que les recettes des app stores des géants de l’informatique vont exploser dans les prochaines années. À l’horizon 2018, le chiffre d’affaires de l’Apple store pourrait atteindre vingt milliards de dollars, soit deux fois plus qu’en 2014. Sans compter l’arrivée des SmartWatch. Lors de la publication des résultats pour le Q2 2015 d’Apple, Tim Cook a annoncé que l’App Store de l’Apple Watch contenait déjà 3 500 apps, ce qui est beaucoup plus que les mille apps au démarrage de l’iPad et les 500 de l’App Store en 2008. De quoi réjouir Mr. Schmitt dont les concurrents directs ne sont pas légion. Quand on évoque Localytics qui a récemment levé trente-cinq millions de dollars, Flurry racheté par Yahoo en juillet dernier, Mixpanel évaluée à 865?millions de dollars ou SimilarWeb qui tracke les usages actuels, l’homme d’affaires répond : «?App Annie, c’est la Suisse du monde des applications. Nous travaillons avec tout le monde pour satisfaire les demandes de nos utilisateurs.?»
Des clients toujours plus friands d’analytics. Une aubaine pour Mr. Schmitt qui n’a pas l’intention de devenir un «?one-trick pony?». Avec ses équipes, il a lancé en décembre dernier un nouveau produit. Audience Intelligence dresse dans Demographics un portrait des consommateurs – âge, genre, revenu, éducation – et révèle, via Related Apps, les autres applications téléchargées par les utilisateurs d’une app en particulier. La start-up a sorti le 6 mai dernier un outil baptisé Usage intelligence visant à qualifier la satisfaction des usagers. Autant de datas pour lesquelles certains publishers sont prêts à débourser des centaines de millions de dollars. «?Sur les cent premiers éditeurs mondiaux d’apps, 95?% sont clients et neuf des dix plus importants sont abonnés à nos services payants?», précise encore Nicolas Beraudo.
Miser sur le vecteur émotionnel
Après Singapour, Mr. Schmitt ouvrira cette année un bureau App Annie à Paris puis à Berlin. L’homme ne cache pas sa joie de revenir au bercail. «?C’est sympa !?», s’exclame celui qui a déjà un pied dans sept pays répartis sur trois continents. Mr. Schmitt est cosmopolite. Son entreprise, il l’a créée en Chine en 2010 où il était expatrié depuis deux ans pour comprendre les rouages d’un business multipays. Quand il a débarqué à Pékin au sein de la filiale du groupe Gomez, il était selon ses mots «?le seul blanc dans une équipe de quatre-vingts Asiatiques?». Comble du comble, il ne parlait pas un mot de chinois. «?Ce n’était pas commun et ça n’a pas été facile?», reconnaît-il. À l’époque, peu lui importe. Plus que l’Amérique, l’Inde ou la Russie, la Chine le fascine. «?Il y a un vrai développement économique, une très grosse force de travail et un vrai marché intérieur?», martèle Mr. Schmitt qui, marié à une taiwanaise, a depuis appris à manier le chinois. S’il a quitté l’empire du Milieu pour rejoindre il y a un an la Mecque de la tech, le Français de souche a appris à ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Seulement 50?% du chiffre d’affaires d’App Annie est réalisé aux États-Unis, 35?% en Asie et 15?% en Europe. Plutôt atypique pour une boîte tech plébiscitée dans le monde des analytics. App Annie détonne. Son design graphique et personnifié, son nom fun et incarné, ont rapidement séduit les utilisateurs majoritairement issus de la génération Y. «?Notre marque a misé sur le vecteur émotionnel en créant un petit personnage amusant. Cela contraste avec nos concurrents dont les home pages sont saturées de graphiques?», se félicite Bjørn Stabell. Loin d’être anodin, cet engouement suscité par la start-up révèle les dessous des cartes d’un succès qui ne tient pas seulement à la sacro-sainte data.
Et quand il entend les publishers lui déclarer : «?Je suis fan d’App Annie?», Mr. Schmitt s’en étonne d’ailleurs toujours. «?Personne ne vous dira jamais : “je suis fan de Nielsen !”», s’amuse celui qui ne voulait pas passer sa vie à résoudre des problèmes techniques. Sûrement parce qu’il était fait pour les prévenir avec une bonne dose d’analyse.
Émilie Vidaud