Pour tout comprendre en deux minutes de la fusion avortée entre les deux géants de la pub.
Publicis Omnicom : récit d’un coup de pub
« Je suis extrêmement heureux de cette opération qui va donner naissance au premier groupe mondial », lance Maurice Lévy dans Le Point du 28 juillet 2013. « Ensemble, nous allons travailler mieux et plus vite, et au plus près des besoins des clients », renchérit John Wren. Aux commandes d’un des plus grands teasings planétaires, les deux magnats de la planète pub faisaient vibrer comme jamais le monde du M&A. Non sans raison. La fusion était évaluée à trente-cinq milliards de dollars pour une capitalisation boursière estimée à 26,5 milliards d'euros, et l'opération aurait dû dégager 377 millions d’euros de synergies. Mais tout ne s’est pas passé comme prévu pour les deux ambassadeurs des marques L’Oréal, Apple ou Coca-Cola. Le 9 mai dernier, un communiqué annonçait que le banquet n’aurait pas lieu pour les deux géants de la publicité et leurs 130 000 collaborateurs.
Officiellement, plusieurs raisons sont invoquées de part et d’autre de l’Atlantique. Tout d’abord les autorités chinoises et néerlandaises n’avaient pas donné leur feu vert. À cela s’ajoutait le doute sur celui qui aurait le beau rôle de l’acquéreur quand l’autre endosserait celui de la cible. Enfin, le flou autour de la nomination du directeur financier a achevé de compliquer une union déjà mal engagée.
Officieusement, circulait la rumeur du coup de foudre d’un des mariés pour Facebook. De quoi supposer que les deux géants n’ont jamais eu l’intention de fusionner. Alors quelles sont les sept raisons de l'échec ?
1- L’enjeu du numérique : un faux prétexte
Publicis avait-il vraiment besoin d’Omnicom pour contrer Google, Amazon, Facebook et Apple communément appelés les Gafa ? Apparemment non. Depuis le 19 mai, Maurice Lévy s’est associé à Marc Zuckerberg et Instagram afin d’avoir accès aux données des utilisateurs de ces réseaux. Objectif : permettre à la firme française de tester l’efficacité de ses campagnes publicitaires sur la Toile tout en mesurant le return on investment (ROI). Un accord au goût amer pour Omnicom qui comptait sur Publicis pour renforcer son volet digital. Ce dont Maurice Lévy, président du directoire et actionnaire de Publicis, était tout à fait conscient : « Nous sommes numéro un mondial sur le numérique. Nous apportions cela dans la corbeille de la mariée. »
2- Jouer l’effet de taille sur le marché du big data avait-il un sens ?
La publicité, qui tend vers un modèle 100 % digital, est en rupture avec le modèle classique. Un enjeu que Publicis a bien identifié en acquérant ces sept dernières années des sociétés telles que Digitas en 2006, Razorfish en 2009, Rosetta en 2011, LBI et Rokkan en 2012. Martin Sorell, patron de WPP, numéro un mondial de la publicité, qualifie dans Les Echos d'août 2013 cette fusion de « pas en arrière pour Publicis, qui avait su prendre une certaine avance dans le digital ». Alors, jouer l’effet de taille sur le marché du big data avait-il un sens ?
Pour concurrencer les Gafa, il ne s’agit pas d’un problème de taille mais de modèle. Henri de Bodinat, président de Time Equity Partners, déclarait ainsi à Stratégie en mai dernier que « ce n’est pas parce que deux dinosaures fusionnent qu’ils vont gagner en agilité ». Face aux nouveaux géants du Web, une méga-fusion ne pèse pas nécessairement plus lourd dans la balance. Quand on sait que Google accapare un tiers des dépenses publicitaires mondiales et que les adversaires sont IBM, Oracle et Accenture, dur de contre-attaquer.
3- La guerre des ego
La plupart des fusions entre égaux sont des échecs. Derrière l’aspect économique, se cache souvent l’ego des patrons. Martin Sorell avance dès août 2013, toujours dans les colonnes des Échos, que la fusion pourrait ne pas marcher. « Quand vous avez deux présidents ou deux codirecteurs généraux, vous n’êtes pas aussi agile ». Le P-DG de WPP ajoutait « qu’un deal 60 % - 40 % aurait été plus conforme [relativement] au poids de chacun ». Telle qu’envisagée, la fusion Publicis-Omnicom prévoyait le français comme legal acquirer avec 50,3% du capital du nouvel ensemble. Son partenaire devenait ainsi l’accounting acquirer. Pourtant, plus le temps passait, plus les deux colosses de la publicité semblaient se perdre dans des jeux de pouvoirs. Maurice Lévy s’en défend aujourd’hui et déclare avoir voulu « préserver l’âme de Publicis ».
4- Vous avez dit partager les budgets annonceurs ?
Parmi ceux qui auraient pu répondre par l’affirmative à l'ultime clause « si quelqu’un s’oppose à cette union, qu’il parle maintenant ou qu’il se taise à jamais », figurent en tête de liste les annonceurs des deux agences de publicité. Avoir comme clients Coca-Cola et Pepsi ou ATT et Verizon, conseillés par les deux agences jusqu’alors rivales, n'est pas chose aisée. Un « détail » qui cache un conflit budgétaire révélé par la Bank of America dès août 2013. Qui dit fusion dit en effet partage des budgets et mise en commun des concepts publicitaires. Et, dans ce mariage, le régime de la séparation des biens ne pouvait pas être envisagé. Quant à celui de la communauté, la banque Barclays précise que « le nouveau géant aurait pu perdre des clients car la fusion est une opportunité pour les groupes de faire le point avec leurs agences afin de renégocier un meilleur contrat ».
5- Les cordons de la bourse
Qui tiendra les cordons de la bourse ? Épineuse question relevée par le Wall Street Journal. Maurice Lévy et John Wren tentent chacun de leur côté d’imposer leur directeur financier à la tête du nouvel ensemble. Un détail qui a son importance et va provoquer une réaction immédiate sur les marchés boursiers avec l'annonce de conflits sur le choix des hommes clés, Publicis voyant chuter la valeur de ses titres.
6- Le coup de canif
C’est John Wren qui a le premier égratigné le contrat de fusion. L’accord prévoyait une coordination impérative sur toute communication concernant l’opération. Or le 22 avril 2014, le P-DG d’Omnicom évoque dans les médias un problème de taxe au Royaume-Uni sans avertir Maurice Lévy. Le patron français comprend que le mariage ne pourrait se faire qu'aux conditions de l’américain. L’homme d’influence est braqué, la fusion mal engagée. L’âme de Publicis n’est pas à vendre, la fusion se fait d’égal à égal ou ne se fait pas.
7- Le made in France à la rescousse
Aujourd’hui, s’il y a bien un recours pour les entreprises françaises en proie à la tentation du M&A : c’est le made in France. Inquiet, le gouvernement l’est à propos de la dilution du premier groupe publicitaire dans le gigantesque système de la mondialisation. À cette époque, Pierre Moscovici, alors ministre de l’Économie, appelle à la vigilance. Outre-Atlantique, si les autorités ont validé la méga-fusion en donnant leur feu vert en novembre 2013, cela n’a pas empêché la plainte d’un actionnaire d’Omnicom. Selon lui le mariage des numéros deux et trois mondiaux avantage les actionnaires du groupe français.
Au final ironise Martin Sorell « c'est un peu difficile de justifier pourquoi ils ont mis dix mois à réaliser qu'ils ne pouvaient pas se mettre ensemble et pourquoi ils ont dépensé quelques centaines de millions de dollars pour le comprendre »...
Camille Drieu
Officiellement, plusieurs raisons sont invoquées de part et d’autre de l’Atlantique. Tout d’abord les autorités chinoises et néerlandaises n’avaient pas donné leur feu vert. À cela s’ajoutait le doute sur celui qui aurait le beau rôle de l’acquéreur quand l’autre endosserait celui de la cible. Enfin, le flou autour de la nomination du directeur financier a achevé de compliquer une union déjà mal engagée.
Officieusement, circulait la rumeur du coup de foudre d’un des mariés pour Facebook. De quoi supposer que les deux géants n’ont jamais eu l’intention de fusionner. Alors quelles sont les sept raisons de l'échec ?
1- L’enjeu du numérique : un faux prétexte
Publicis avait-il vraiment besoin d’Omnicom pour contrer Google, Amazon, Facebook et Apple communément appelés les Gafa ? Apparemment non. Depuis le 19 mai, Maurice Lévy s’est associé à Marc Zuckerberg et Instagram afin d’avoir accès aux données des utilisateurs de ces réseaux. Objectif : permettre à la firme française de tester l’efficacité de ses campagnes publicitaires sur la Toile tout en mesurant le return on investment (ROI). Un accord au goût amer pour Omnicom qui comptait sur Publicis pour renforcer son volet digital. Ce dont Maurice Lévy, président du directoire et actionnaire de Publicis, était tout à fait conscient : « Nous sommes numéro un mondial sur le numérique. Nous apportions cela dans la corbeille de la mariée. »
2- Jouer l’effet de taille sur le marché du big data avait-il un sens ?
La publicité, qui tend vers un modèle 100 % digital, est en rupture avec le modèle classique. Un enjeu que Publicis a bien identifié en acquérant ces sept dernières années des sociétés telles que Digitas en 2006, Razorfish en 2009, Rosetta en 2011, LBI et Rokkan en 2012. Martin Sorell, patron de WPP, numéro un mondial de la publicité, qualifie dans Les Echos d'août 2013 cette fusion de « pas en arrière pour Publicis, qui avait su prendre une certaine avance dans le digital ». Alors, jouer l’effet de taille sur le marché du big data avait-il un sens ?
Pour concurrencer les Gafa, il ne s’agit pas d’un problème de taille mais de modèle. Henri de Bodinat, président de Time Equity Partners, déclarait ainsi à Stratégie en mai dernier que « ce n’est pas parce que deux dinosaures fusionnent qu’ils vont gagner en agilité ». Face aux nouveaux géants du Web, une méga-fusion ne pèse pas nécessairement plus lourd dans la balance. Quand on sait que Google accapare un tiers des dépenses publicitaires mondiales et que les adversaires sont IBM, Oracle et Accenture, dur de contre-attaquer.
3- La guerre des ego
La plupart des fusions entre égaux sont des échecs. Derrière l’aspect économique, se cache souvent l’ego des patrons. Martin Sorell avance dès août 2013, toujours dans les colonnes des Échos, que la fusion pourrait ne pas marcher. « Quand vous avez deux présidents ou deux codirecteurs généraux, vous n’êtes pas aussi agile ». Le P-DG de WPP ajoutait « qu’un deal 60 % - 40 % aurait été plus conforme [relativement] au poids de chacun ». Telle qu’envisagée, la fusion Publicis-Omnicom prévoyait le français comme legal acquirer avec 50,3% du capital du nouvel ensemble. Son partenaire devenait ainsi l’accounting acquirer. Pourtant, plus le temps passait, plus les deux colosses de la publicité semblaient se perdre dans des jeux de pouvoirs. Maurice Lévy s’en défend aujourd’hui et déclare avoir voulu « préserver l’âme de Publicis ».
4- Vous avez dit partager les budgets annonceurs ?
Parmi ceux qui auraient pu répondre par l’affirmative à l'ultime clause « si quelqu’un s’oppose à cette union, qu’il parle maintenant ou qu’il se taise à jamais », figurent en tête de liste les annonceurs des deux agences de publicité. Avoir comme clients Coca-Cola et Pepsi ou ATT et Verizon, conseillés par les deux agences jusqu’alors rivales, n'est pas chose aisée. Un « détail » qui cache un conflit budgétaire révélé par la Bank of America dès août 2013. Qui dit fusion dit en effet partage des budgets et mise en commun des concepts publicitaires. Et, dans ce mariage, le régime de la séparation des biens ne pouvait pas être envisagé. Quant à celui de la communauté, la banque Barclays précise que « le nouveau géant aurait pu perdre des clients car la fusion est une opportunité pour les groupes de faire le point avec leurs agences afin de renégocier un meilleur contrat ».
5- Les cordons de la bourse
Qui tiendra les cordons de la bourse ? Épineuse question relevée par le Wall Street Journal. Maurice Lévy et John Wren tentent chacun de leur côté d’imposer leur directeur financier à la tête du nouvel ensemble. Un détail qui a son importance et va provoquer une réaction immédiate sur les marchés boursiers avec l'annonce de conflits sur le choix des hommes clés, Publicis voyant chuter la valeur de ses titres.
6- Le coup de canif
C’est John Wren qui a le premier égratigné le contrat de fusion. L’accord prévoyait une coordination impérative sur toute communication concernant l’opération. Or le 22 avril 2014, le P-DG d’Omnicom évoque dans les médias un problème de taxe au Royaume-Uni sans avertir Maurice Lévy. Le patron français comprend que le mariage ne pourrait se faire qu'aux conditions de l’américain. L’homme d’influence est braqué, la fusion mal engagée. L’âme de Publicis n’est pas à vendre, la fusion se fait d’égal à égal ou ne se fait pas.
7- Le made in France à la rescousse
Aujourd’hui, s’il y a bien un recours pour les entreprises françaises en proie à la tentation du M&A : c’est le made in France. Inquiet, le gouvernement l’est à propos de la dilution du premier groupe publicitaire dans le gigantesque système de la mondialisation. À cette époque, Pierre Moscovici, alors ministre de l’Économie, appelle à la vigilance. Outre-Atlantique, si les autorités ont validé la méga-fusion en donnant leur feu vert en novembre 2013, cela n’a pas empêché la plainte d’un actionnaire d’Omnicom. Selon lui le mariage des numéros deux et trois mondiaux avantage les actionnaires du groupe français.
Au final ironise Martin Sorell « c'est un peu difficile de justifier pourquoi ils ont mis dix mois à réaliser qu'ils ne pouvaient pas se mettre ensemble et pourquoi ils ont dépensé quelques centaines de millions de dollars pour le comprendre »...
Camille Drieu