Plus important salon professionnel du cinéma au monde, le Marché du Film, tenu en parallèle du 68e prestigieux festival de Cannes, a attiré plus de 12 000 participants dont 5000 producteurs. Rencontre avec Jérôme Paillard,  directeur général délégué de l'évènement. 
Décideurs. Le Marché du film adossé au festival de Cannes est le plus fréquenté du monde, sur quoi repose son succès ?
Jérôme Paillard.
Le Marché du film est le plus important salon professionnel du cinéma depuis plus de quinze ans, très loin devant l’American Film Market à Los Angeles ou les marchés de Berlin ou Hongkong. Tous les acteurs de l’industrie s’y rencontrent : vendeurs internationaux, distributeurs, exploitants de salles, acheteurs VOD, chaînes de télévision… L’espace achat-vente est l’activité traditionnelle du Marché. L’autre spécificité de Cannes est qu’il est l’un des rares moments où les producteurs peuvent se rencontrer. Lorsqu’un film nécessite un budget significatif, il est difficile de compter sur le financement d’un seul pays y compris lorsque le projet est américain. Plus on a de partenaires dans des pays différents, plus il est facile de trouver des investisseurs. Le film ayant la nationalité de chaque pays coproducteur, il bénéficiera des avantages réservés aux nationaux. Le cercle vertueux de la formule fait de la coproduction le modèle de référence des films internationaux. C’est pourquoi nous avons créé des programmes permettant aux maisons de production d’élargir leurs sources de projets et de financement. Plus de 5 000 producteurs étaient présents sur le marché cette année.

Décideurs. À combien s’élève le volume d’affaires du salon ?
J. P.
Il n’y a pas de déclaration officielle, les sociétés veulent conserver la confidentialité sur les chiffres mais on l’estime cette année à environ 700?millions de dollars – monnaie dominante des transactions. On observe globalement une stabilisation du marché à la fois dans les prix de vente et le nombre de contrats.

Décideurs. Quel est l’impact de l’arrivée des géants Amazon et Netflix sur l’industrie du film ?
J. P.
Ted Sarandos s’est livré de façon assez honnête lors de son intervention, même si son discours n’est pas forcément le message que l’industrie a envie d’entendre. Il est clair que la diffusion en ligne va segmenter la filière du cinéma. Pour les films à gros budgets, la distribution conservera un modèle traditionnel. Parallèlement, les films ciblés suivront un circuit plus direct et plus court et leur commercialisation reposera sur des intervenants différents. Exclusivement diffusés en ligne, ces films existeront avant tout grâce au marketing viral et aux festivals. Le cinéma a toujours été une industrie de prototype. Aujourd’hui, le marché doit se réinventer pour recréer à chaque fois une stratégie inventive et créer l’adhésion des réseaux sociaux et communautés virales autour des projets. Les outils existent, aux acteurs de l’industrie de s’en emparer.

Décideurs. La chronologie des médias n’a aucun sens avec cette nouvelle segmentation ?
J. P.
Le débat est franco-français. Pour les films dont l’existence en salle est éphémère et ne dépasse pas deux semaines, la réglementation de la chronologie des médias n’a pas de sens. Elle empêche par exemple des films remarqués lors de festivals de sortir en salles ou en ligne au moment où les médias leur offrent un pic de visibilité. Pour certains films présents à Cannes, il me semble dramatique qu’ils sortent parfois un an après le festival.

Décideurs. Quelles sont les conséquences d’une sélection en compétition sur le potentiel commercial des films ?
J. P.
L’impact commercial en B to B est déterminant. Les acheteurs internationaux se jettent en priorité sur les films de la sélection. Tout est question de stratégie. Certains préfèrent acheter avant les réactions de la première projection pour éviter une surenchère à la suite de retours positifs, d’autres attendent au contraire les réactions pour acheter. Les contrats prévoient parfois un bonus si le film remporte la Palme d’or. Mais, en général, les films en sélection sont vendus avant même d’avoir été sélectionnés. Quant à l’impact commercial final, il est différent selon les pays. Quasiment tous les films en sélection à Cannes sortent en salle. Ce n’est pas le cas pour ceux présentés dans les autres festivals. L’impact positif est indiscutable et c’est d’autant plus vrai depuis ces dix dernières années, grâce au travail de Thierry Frémaux pour valoriser la Palme d’or. Aux États-Unis, la réalité n’est pas la même. Je suis souvent choqué de voir que les affiches des films qui étaient en sélection n’en font parfois aucune mention. L’effet Cannes ne traverse pas toujours l’Atlantique.

Propos recueillis par Alexandra Cauchard

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