Le directeur comptable groupe d'Orange revient sur les tenants et aboutissants des fonctions comptables, portant sa vision jusqu'en 2045.
Christophe Eouzan (Orange) : «Le comptable de demain devra savoir s'adapter»
Décideurs. Pouvez-vous nous résumer votre rôle, votre fonction et votre périmètre chez Orange ?
Christophe Eouzan. Je suis directeur comptable groupe et je rapporte au directeur général adjoint en charge des finances et de la stratégie. Mon périmètre comprend des activités groupe avec la consolidation, les normes et les systèmes d’information qu’ils soient comptables ou de gestion. Je supervise également des activités françaises avec le centre de services partagés comptable France et le recouvrement contentieux. J’ai ainsi la responsabilité de 900 collaborateurs répartis sur une douzaine de sites en France. J’anime par ailleurs les directeurs comptables des principales filiales étrangères. Il y a 2 200 comptables en tout dans le groupe. La fonction s’est beaucoup transformée depuis le début des années 2000 avec des gains de productivité importants à la clé. L’organisation comptable se fait pays par pays avec des ERP locaux. Nous avons pour objectif de plus partager entre les pays et de nous doter d’un ERP commun.
Décideurs. Comment gérez-vous ces multiples composantes à la fois techniques, mais aussi culturelles ?
C. E. Même si nous avons des cultures différentes, nous disposons d’un système et d’un référentiel comptable à l’échelle groupe. Les référentiels locaux sont traduits dans le langage du groupe. Que ce soit la comptabilité ou le contrôle de gestion, nous arrivons à obtenir les mêmes chiffres. La comptabilité demeure un métier ancien avec des formations traditionnelles et des cultures proches. Par ailleurs, Orange peut s’appuyer sur une colonne vertébrale financière forte grâce à l’expérience de directeurs financiers qui ont beaucoup bougé en interne. Enfin, j’anime également une réunion de travail mensuelle avec les directeurs comptables des principales filiales dans le monde.
Décideurs. Comment expliqueriez-vous votre métier ?
C. E. Mon métier comporte deux aspects très différents. Le premier est lié aux chiffres avec les normes comptables et des grands enjeux de bilan. En effet, le total du bilan du groupe s’élève à un peu plus de 85 milliards d’euros et comprend 25 milliards d’euros d’écart d’acquisition. Il s’avère ainsi crucial de veiller à la meilleure traduction possible d’une opération financière dans nos comptes. Le deuxième aspect concerne l’organisation des activités transactionnelles. La production comptable tient à une chaîne importante d’hommes, mais repose aussi sur son système d’information. Un des enjeux de la fonction chez Orange est de simplifier et d’automatiser plus encore un certain nombre de processus. Nous nous rendons compte qu’au fur et à mesure de la construction du groupe, nous avons rajouté des strates dans l’organisation. Si on veut améliorer le résultat délivré, cela suppose de retravailler sur toute la chaîne, que ce soit avec les achats ou les systèmes de facturation par exemple. En 2012, nous avons lancé en France un chantier pour faire face au départ à la retraite de près de 30 % des collaborateurs à horizon 2017 avec un volet simplification et un volet évolution – changement de mentalité et culture. L’organisation se développe ainsi, ce qui suppose aussi un peu plus de polyvalence de la part de nos collaborateurs et une plus grande professionnalisation. Le centre de services partagés comptable France était organisé avec seize processus ; aujourd’hui nous l'avons à quatre pôles. Nous conservons tous nos sites géographiques, mais avec une simplification et une automatisation des processus à son maximum. Enfin, notre direction comptable est certifié ISO 9001. La qualité est et restera un objectif premier. Nous voulons être la direction comptable de référence en Franceen démontrant que l’on peut y produire ses comptes avec un haut niveau de qualité, tout en ayant un coût compétitif.
Décideurs. Comment réalisez-vous cette conduite du changement ?
C. E. C’est un vrai chantier. En 2012, nous avons identifié un certain nombre d’initiatives. Nous avons fait travailler les soixante principaux cadres de notre CSP sur ces sujets. En travaillant avec eux, en leur expliquant que nous allons devoir ne pas remplacer des départs, nous avons fait émerger des idées. Depuis 2012, 10 % des effectifs sont partis en retraite. Nous adaptons l’organisation. On communique beaucoup, on va au plus près des collaborateurs et nous prenons régulièrement la température grâce à un baromètre dans lequel nous leur demandons ce qu’ils ont compris du projet. Enfin, nous avons beaucoup insisté auprès de nos managers pour que ceux-ci communiquent avec leurs collaborateurs.
Décideurs. À quelle image associez-vous l’évolution de la profession comptable ?
C. E. On est loin de l’image de rond de cuir historique. Le métier s’est vraiment transformé. Il est devenu plus important du fait du passage aux IFRS notamment. L’expertise est reconnue et considérée comme essentielle par les directions générales. C’est beaucoup plus sophistiqué. Mais il est vrai que quand on parle aux comptables de la manière dont ils perçoivent leur image, on constate que la personne qui parle de chiffres, c’est plutôt le contrôle de gestion. Ça reste un métier passionnant, que ce soit sur l’aspect normatif ou organisationnel. C’est une fonction qui se transforme beaucoup et qui doit montrer l’exemple dans l’entreprise. Le rôle du comptable est primordial dans une économie de marché. Il doit appliquer les normes, rendre les transactions intelligibles. Les gens investissent dans des actions, l’information financière est donc capitale.
Décideurs. Quelles sont les principales évolutions de la profession comptable depuis le début du XXIe siècle ?
C. E. Il y a eu, tout d’abord, le passage aux IFRS. Les impacts, sur le plan opérationnel, sont assez limités, mais importants sur le haut de bilan. Dans les années qui viennent, avec l’arrivée de la norme IFRS 15, les conséquences seront colossales chez Orange. Plus précisément, dans le cadre de la « vente subventionnée » de terminaux mobiles, nous allons devoir distinguer dans le chiffre d’affaires de l’abonnement une composante service et une composante terminal. Cela va être une révolution sur les états financiers et sur la manière de produire les comptes et d'aller chercher l’information. Autre évolution, la mise en place de centres de services partagés. Chez Orange, l’idée est née en 2002. Nous avons mis en place des procédures qualités, nous avons réorganisé les effectifs et les sites et commencé à dématérialiser. Par ailleurs, les nouveaux ERP qui sont en train d’apparaître sur le marché vont être encore beaucoup plus collaboratifs et vont aller encore beaucoup plus loin que ce qui est proposé aujourd’hui. Les évolutions que la profession va connaître dans les cinq prochaines années seront beaucoup plus importantes que celles que nous avons connues au cours des quinze dernières. Et c’est vrai pour tous les comptables. Les nouveaux outils vont permettre plus d’ergonomie, plus de facilité et d’avoir une organisation moins en silo. Bref, les comptables seront sans doute parmi les plus concernés par la révolution digitale d’ici 2020.
Décideurs. Comment imaginez-vous la direction comptable de 2045 ?
C. E. Comme l’ont montré les travaux réalisés au sein de l’APDC, je pense que nous serons allés toujours plus loin par rapport à ce que l’on envisage aujourd’hui pour 2020 quant à la transformation des back-offices. Il y aura encore plus d’automatisation. En 2045, il n’y aura plus de personnel pour faire de l’enregistrement. Le comptable travaillera sur l’évolution de système d’information ou sur l’encadrement de processus. D'ici 2020, nous aurons de plus en plus de transactions directement enregistrées depuis un smartphone. On en voit déjà les prémices. Sur le plan normatif, on a déjà une révolution en cours avec les IFRS. Aura-t-on une convergence avec les US GAAP ? Ou bien une convergence fiscale ? Cela fait partie des scénarios possibles. En 2045, je pense qu’il y restera très peu de comptables transactionnels. On peut aussi se poser la question de l’outsourcing. Le devenir de la fonction en entreprise sera très différent selon que la société soit digital native ou non. Dans la première, la comptabilité y est ou y sera totalement automatisée et outsourcée. Je ne crois pas pour autant que dans des entreprises plus traditionnelles, la fonction comptable deviendra externalisée. Sauf si cet outsourcing concerne l’ensemble des services de back-office.
Décideurs. La machine finira-t-elle par remplacer l’homme ?
C.E. Remplacer, non. Par contre, là où on avait des fonctions labour intensive, elles le seront beaucoup moins. Mais on aura aussi le même phénomène pour le contrôle de gestion. Demain, on aura plutôt des gens d’expertise, avec une connaissance des systèmes d’information, une capacité à s’adapter, à évoluer, à communiquer et à gérer en mode projet. Sur la partie expertise, il y aura une connaissance de la norme, mais aussi une connaissance du business. Pour que la norme puisse bien s’appliquer, l’expert devra connaître le business. Pour caricaturer un peu le trait, je dirais qu’en 2045, la comptabilité ne comportera plus que des cadres. Les comptablesdevront savoir s'adapter.
Décideurs. Quelles vont être les compétences requises pour la profession ?
C. E. L’enjeu, pour moi, est avant tout comportemental. La question du savoir-faire demeurera, c’est sûr, mais il y a beaucoup de savoir être. La profession s’adapte à une vitesse grand V. Si le comptable n’e sait pas s'adapter, il va rater l’évolution de la profession. L’enjeu n’est pas d’avoir des théoriciens des normes mais de savoir dialoguer avec le business pour adapter la norme à celui-ci et faciliter les transactions. Le comptable devra toutefois veiller à ne pas se simplifier la vie en complexifiant celles des autres.
Propos recueillis par Mathieu Marcinkiewicz
Christophe Eouzan. Je suis directeur comptable groupe et je rapporte au directeur général adjoint en charge des finances et de la stratégie. Mon périmètre comprend des activités groupe avec la consolidation, les normes et les systèmes d’information qu’ils soient comptables ou de gestion. Je supervise également des activités françaises avec le centre de services partagés comptable France et le recouvrement contentieux. J’ai ainsi la responsabilité de 900 collaborateurs répartis sur une douzaine de sites en France. J’anime par ailleurs les directeurs comptables des principales filiales étrangères. Il y a 2 200 comptables en tout dans le groupe. La fonction s’est beaucoup transformée depuis le début des années 2000 avec des gains de productivité importants à la clé. L’organisation comptable se fait pays par pays avec des ERP locaux. Nous avons pour objectif de plus partager entre les pays et de nous doter d’un ERP commun.
Décideurs. Comment gérez-vous ces multiples composantes à la fois techniques, mais aussi culturelles ?
C. E. Même si nous avons des cultures différentes, nous disposons d’un système et d’un référentiel comptable à l’échelle groupe. Les référentiels locaux sont traduits dans le langage du groupe. Que ce soit la comptabilité ou le contrôle de gestion, nous arrivons à obtenir les mêmes chiffres. La comptabilité demeure un métier ancien avec des formations traditionnelles et des cultures proches. Par ailleurs, Orange peut s’appuyer sur une colonne vertébrale financière forte grâce à l’expérience de directeurs financiers qui ont beaucoup bougé en interne. Enfin, j’anime également une réunion de travail mensuelle avec les directeurs comptables des principales filiales dans le monde.
Décideurs. Comment expliqueriez-vous votre métier ?
C. E. Mon métier comporte deux aspects très différents. Le premier est lié aux chiffres avec les normes comptables et des grands enjeux de bilan. En effet, le total du bilan du groupe s’élève à un peu plus de 85 milliards d’euros et comprend 25 milliards d’euros d’écart d’acquisition. Il s’avère ainsi crucial de veiller à la meilleure traduction possible d’une opération financière dans nos comptes. Le deuxième aspect concerne l’organisation des activités transactionnelles. La production comptable tient à une chaîne importante d’hommes, mais repose aussi sur son système d’information. Un des enjeux de la fonction chez Orange est de simplifier et d’automatiser plus encore un certain nombre de processus. Nous nous rendons compte qu’au fur et à mesure de la construction du groupe, nous avons rajouté des strates dans l’organisation. Si on veut améliorer le résultat délivré, cela suppose de retravailler sur toute la chaîne, que ce soit avec les achats ou les systèmes de facturation par exemple. En 2012, nous avons lancé en France un chantier pour faire face au départ à la retraite de près de 30 % des collaborateurs à horizon 2017 avec un volet simplification et un volet évolution – changement de mentalité et culture. L’organisation se développe ainsi, ce qui suppose aussi un peu plus de polyvalence de la part de nos collaborateurs et une plus grande professionnalisation. Le centre de services partagés comptable France était organisé avec seize processus ; aujourd’hui nous l'avons à quatre pôles. Nous conservons tous nos sites géographiques, mais avec une simplification et une automatisation des processus à son maximum. Enfin, notre direction comptable est certifié ISO 9001. La qualité est et restera un objectif premier. Nous voulons être la direction comptable de référence en Franceen démontrant que l’on peut y produire ses comptes avec un haut niveau de qualité, tout en ayant un coût compétitif.
Décideurs. Comment réalisez-vous cette conduite du changement ?
C. E. C’est un vrai chantier. En 2012, nous avons identifié un certain nombre d’initiatives. Nous avons fait travailler les soixante principaux cadres de notre CSP sur ces sujets. En travaillant avec eux, en leur expliquant que nous allons devoir ne pas remplacer des départs, nous avons fait émerger des idées. Depuis 2012, 10 % des effectifs sont partis en retraite. Nous adaptons l’organisation. On communique beaucoup, on va au plus près des collaborateurs et nous prenons régulièrement la température grâce à un baromètre dans lequel nous leur demandons ce qu’ils ont compris du projet. Enfin, nous avons beaucoup insisté auprès de nos managers pour que ceux-ci communiquent avec leurs collaborateurs.
Décideurs. À quelle image associez-vous l’évolution de la profession comptable ?
C. E. On est loin de l’image de rond de cuir historique. Le métier s’est vraiment transformé. Il est devenu plus important du fait du passage aux IFRS notamment. L’expertise est reconnue et considérée comme essentielle par les directions générales. C’est beaucoup plus sophistiqué. Mais il est vrai que quand on parle aux comptables de la manière dont ils perçoivent leur image, on constate que la personne qui parle de chiffres, c’est plutôt le contrôle de gestion. Ça reste un métier passionnant, que ce soit sur l’aspect normatif ou organisationnel. C’est une fonction qui se transforme beaucoup et qui doit montrer l’exemple dans l’entreprise. Le rôle du comptable est primordial dans une économie de marché. Il doit appliquer les normes, rendre les transactions intelligibles. Les gens investissent dans des actions, l’information financière est donc capitale.
Décideurs. Quelles sont les principales évolutions de la profession comptable depuis le début du XXIe siècle ?
C. E. Il y a eu, tout d’abord, le passage aux IFRS. Les impacts, sur le plan opérationnel, sont assez limités, mais importants sur le haut de bilan. Dans les années qui viennent, avec l’arrivée de la norme IFRS 15, les conséquences seront colossales chez Orange. Plus précisément, dans le cadre de la « vente subventionnée » de terminaux mobiles, nous allons devoir distinguer dans le chiffre d’affaires de l’abonnement une composante service et une composante terminal. Cela va être une révolution sur les états financiers et sur la manière de produire les comptes et d'aller chercher l’information. Autre évolution, la mise en place de centres de services partagés. Chez Orange, l’idée est née en 2002. Nous avons mis en place des procédures qualités, nous avons réorganisé les effectifs et les sites et commencé à dématérialiser. Par ailleurs, les nouveaux ERP qui sont en train d’apparaître sur le marché vont être encore beaucoup plus collaboratifs et vont aller encore beaucoup plus loin que ce qui est proposé aujourd’hui. Les évolutions que la profession va connaître dans les cinq prochaines années seront beaucoup plus importantes que celles que nous avons connues au cours des quinze dernières. Et c’est vrai pour tous les comptables. Les nouveaux outils vont permettre plus d’ergonomie, plus de facilité et d’avoir une organisation moins en silo. Bref, les comptables seront sans doute parmi les plus concernés par la révolution digitale d’ici 2020.
Décideurs. Comment imaginez-vous la direction comptable de 2045 ?
C. E. Comme l’ont montré les travaux réalisés au sein de l’APDC, je pense que nous serons allés toujours plus loin par rapport à ce que l’on envisage aujourd’hui pour 2020 quant à la transformation des back-offices. Il y aura encore plus d’automatisation. En 2045, il n’y aura plus de personnel pour faire de l’enregistrement. Le comptable travaillera sur l’évolution de système d’information ou sur l’encadrement de processus. D'ici 2020, nous aurons de plus en plus de transactions directement enregistrées depuis un smartphone. On en voit déjà les prémices. Sur le plan normatif, on a déjà une révolution en cours avec les IFRS. Aura-t-on une convergence avec les US GAAP ? Ou bien une convergence fiscale ? Cela fait partie des scénarios possibles. En 2045, je pense qu’il y restera très peu de comptables transactionnels. On peut aussi se poser la question de l’outsourcing. Le devenir de la fonction en entreprise sera très différent selon que la société soit digital native ou non. Dans la première, la comptabilité y est ou y sera totalement automatisée et outsourcée. Je ne crois pas pour autant que dans des entreprises plus traditionnelles, la fonction comptable deviendra externalisée. Sauf si cet outsourcing concerne l’ensemble des services de back-office.
Décideurs. La machine finira-t-elle par remplacer l’homme ?
C.E. Remplacer, non. Par contre, là où on avait des fonctions labour intensive, elles le seront beaucoup moins. Mais on aura aussi le même phénomène pour le contrôle de gestion. Demain, on aura plutôt des gens d’expertise, avec une connaissance des systèmes d’information, une capacité à s’adapter, à évoluer, à communiquer et à gérer en mode projet. Sur la partie expertise, il y aura une connaissance de la norme, mais aussi une connaissance du business. Pour que la norme puisse bien s’appliquer, l’expert devra connaître le business. Pour caricaturer un peu le trait, je dirais qu’en 2045, la comptabilité ne comportera plus que des cadres. Les comptablesdevront savoir s'adapter.
Décideurs. Quelles vont être les compétences requises pour la profession ?
C. E. L’enjeu, pour moi, est avant tout comportemental. La question du savoir-faire demeurera, c’est sûr, mais il y a beaucoup de savoir être. La profession s’adapte à une vitesse grand V. Si le comptable n’e sait pas s'adapter, il va rater l’évolution de la profession. L’enjeu n’est pas d’avoir des théoriciens des normes mais de savoir dialoguer avec le business pour adapter la norme à celui-ci et faciliter les transactions. Le comptable devra toutefois veiller à ne pas se simplifier la vie en complexifiant celles des autres.
Propos recueillis par Mathieu Marcinkiewicz