À la recherche de la bulle perdue
Attentisme et prudence ont été les maîtres mots du capital-risqueur, victime collatérale du marasme financier international, à compter du 4e trimestre 2008. Les financements s’assèchent, les possibilités de reprises diminuent, les besoins en cash des sociétés détenues s’amplifient… L’aversion au risque augmente. Pourtant, l’après-crise se prépare, et certains secteurs attirent d’ores et déjà la convoitise des fonds. La prochaine bulle sera verte, mais l’IT et les biotechs réservent, eux aussi, leur lot de bonnes surprises.
Le premier semestre 2009 a vu les levées de fonds de capital-risque par les entreprises de croissance diminuer de près de 40 %. Premières victimes de cette baisse, les biotechnologies, qui n’attirent plus que 15 % des capitaux, contre 24 % en moyenne sur l’année 2008. Les cleantech souffrent également : leurs investissements ont diminué de 50 % en début d’année 2009. Moins touchés, l’Internet et les logiciels reviennent sur l’avant de la scène, notamment parce qu’une grande partie des sociétés détenues par les fonds dans ce secteur a dû être recapitalisée au premier semestre 2009.
Évolution conjoncturelle ou tendance de fond ? La réponse dépend
du secteur…
Biotech & santé : crise ou renouveau du modèle ?
Depuis 2002, le domaine des biotechnologies et de la santé a le vent en poupe et jouit d’investissements conséquents et réguliers de la part des acteurs du capital-risque, avec des pointes aux seconds semestres 2002 et 2007. Depuis, l’engouement s’est nettement refroidi.
Cette situation n’est pas spécifique à la France. Elle est observable au niveau européen, notamment en Allemagne, en Suisse et au Royaume-Uni, les trois pays leaders en termes de financement aux sociétés du secteur.
Malgré un environnement en forte détérioration, un nombre restreint d’entreprises a réussi à lever des fonds. Sur les dix plus gros deals au niveau européen, on distinguera tout particulièrement Albireo et Vantia Therapeutics. Ils ont su lever respectivement 25 et 24 millions d’euros en Suède et au Royaume-Uni en premier round en 2008. En France, la levée de 20 millions d’euros de SuperSonic Imagine en novembre 2008 en 2e tour fait référence.
L’appétit réduit du risque mène l’ensemble des fonds à s’intéresser davantage aux portefeuilles de molécules existants et testés qu’aux startups. Ils cherchent une visibilité maximale sur les retours sur investissement. La forte diminution du nombre de financements en seed et premier round devrait être un signe précurseur du changement de dynamique du marché. Ce signal est aujourd’hui brouillé par la prudence des fonds d’investissement. La situation est assez semblable à ce qui a pu être observé, au niveau européen, en 2004 et 2006. Ces années précédaient un boom relatif des investissements.
Le secteur de la santé et des biotechs n’est pas épargné par la crise. Nombre d’entreprises ont annoncé des restructurations, à l’image de BioAlliancePharma en France, GPC Biotech en Allemagne ou encore York Pharma au Royaume-Uni. Si les grands groupes souffrent, les petites et moyennes structures se voient obligées de
geler une partie des programmes de
recherche et de se concentrer sur les produits les plus avancés.
Au-delà de la restructuration, la concentration du marché s’est accélérée. Les flux de cash d’acteurs confirmés vers les jeunes entreprises restent relativement stables. Mais, là aussi, les investisseurs s’assagissent, dans une dynamique qui accentuera le phénomène de contraction des financements.
Dans l’ensemble des pays européens, l’État vient en soutien au secteur. En France, Oséo est par exemple intervenu dans le financement de Genfit (7,1 millions d’euros), Genomic Vision (1,1 million d’euros) ou encore Cellectis (7,2 millions d’euros).
Les challenges du financement des biotechs peuvent mener à une évolution du modèle vers des cycles plus courts et des rapprochements plus fréquents entre les grands groupes de pharma et les entreprises du biotech, afin d’assurer des financements plus réguliers que ceux observables aujourd’hui du fait des levées de capital successives. La meilleure viabilité de l’industrie ainsi assurée, ferait également les affaires des investisseurs. Le secteur des biotechs et de la santé restera donc probablement essentiel pour le capital risque et le capital investissement.
Cleantech : une bulle peut en cacher une autre
Eldorado naissant, les cleantechs recouvrent un grand nombre de secteurs dont les moins connus ne sont pas les moins attractifs.
En 2008 les capital–risqueurs se sont précipités sur le solaire. Cette technologie a bénéficié des plus importantes levées de fonds, à l’image des 20 millions d’euros levés par Solaire Direct en second tour à la mi-novembre 2008*. Mais, l’effondrement du marché espagnol et la surcapacité de production mondiale devraient quelque peu calmer les ardeurs. Les espoirs reposent aujourd’hui sur le photovoltaïque à couche mince (thin-film photovoltaics - TFPV). Il permet des applications beaucoup plus variées et donne enfin les possibilités de production de masse nécessaires au marché du particulier. De 2,4 milliards de dollars en 2008 au niveau mondial, il pourrait passer à plus de 22 milliards de dollars
d’ici à 2015. « Le photovoltaïque n’en est qu’aux premiers balbutiements, face aux besoins d’énergie monumentaux au niveau mondial », résume Jean-Francois Fourt, cofondateur et general partner de Truffle Capital.
L’éolien, qui a connu un développement exponentiel dans les pays nordiques est bloqué en France du fait d’un lobbyisme assez efficace. La technologie est pratiquement arrivée à maturité. Les investissements dans les grands parcs éoliens attirent peu les investisseurs.
Les dispositifs de stockage d’énergie font par contre l’objet d’un renouveau certain. Dans le marathon à la voiture verte, le Japon et la Chine semblent aujourd’hui avoir une longueur d’avance sur les pays européens. La France en particulier souffre d’une incapacité à industrialiser les innovations faites en laboratoire. Dans ce gap s’engouffrent aujourd’hui les premiers entrepreneurs et capital-risqueurs.
Que ce soit l’énergie solaire, l’éolien ou les technologies de haute qualité énergétique, tous profitent de l’engouement public pour le « clean ». Boosté par un revirement idéologique aux États-Unis et le désir européen d’un leadership incontesté en la matière, les cleantechs sont aujourd’hui considérées comme les technologies de la croissance durable en sortie de crise.
Les oubliés du grand rush de l’or vert sont ,
paradoxalement, les technologies auxquelles on prédit l’avenir de croissance le plus glorieux. Il s’agit avant tout des
technologies de recyclage et de traitement des eaux. Elles offrent des perspectives non négligeables en Europe, mais surtout dans des pays comme la Chine ou l’Inde.
La Chambre de commerce et de l’industrie de Paris prévoit un marché de 75 milliards d’euros en 2012, soit deux fois celui du solaire… Mais l’investissement n’a pas réellement démarré dans ce domaine à ce jour. Les réglementations communautaires (notamment la directive 91/271/CEE sur le traitement des eaux urbaines résiduaires) ne sont que partiellement appliquées. La France a ainsi été condamnée à une amende de 380 millions d’euros par la Commission européenne en 2007.
Autre pierre d’achoppement : les services et technologies offertes (purification bactérienne de l’eau par exemple) sont destinés à des industriels encore peu enclins à faire de gros investissements, alors qu’ils ne subissent aucune pression de la part des autorités à ce sujet. La mise en place d’un principe pollueur payeur dans ce domaine pourrait revitaliser le secteur du
traitement des eaux.
Pour ce qui est du recyclage, ses marges dépendent largement des cours de matières premières. Relativement volatils ces derniers temps, ils découragent entrepreneurs et capital-risqueurs.
Internet et logiciels : plus que l’opportunité de la crise
Avec une croissance des revenus presque trois fois supérieure à celle du PIB en moyenne entre 2000 et 2009, l’édition de logiciels reste un investissement fortement attractif. Sur les 3 200 éditeurs installés sur le territoire français, 74 % ont moins de 10 salariés.
Le marché foisonne de PME et de startups
fortement innovantes. L’émergence des nouveaux business models favorise un renouveau constant des acteurs et l’intérêt des entreprises établies pour la reprise de plus petits acteurs
en forte croissance.
La crise représente une double opportunité pour les jeunes pousses. D’une part, le cost-cutting généralisé favorise l’utilisation de logiciels : 67 % des éditeurs estiment que l’utilisation plus intense de logiciels contribuerait à abaisser les coûts des entreprises selon une étude Syntec.
D’autre part, les grands groupes préfèrent acheter des logiciels prometteurs en acquérant l’entreprise innovante, plutôt que de renforcer des budgets R&D largement remis en question par la crise.
Au-delà de l’opportunité conjoncturelle, les bonnes recettes sont connues : SaaS (Software as a Service), cloud computing et open-source continuent à faire bouger les lignes. Dans ce marché, où innovation technologique et innovation du merchandising vont de pair, le capital-risque trouve des opportunités plus fréquentes et moins contraignantes qu’en biotech ou cleantech. La consolidation des acteurs ouvre des opportunités de sortie plus fréquentes.
Internet connaît ainsi une deuxième jeunesse depuis le second semestre 2006, due aussi à l’avènement des réseaux sociaux. « Il reste énormément de choses à faire dans le domaine des TIC »,
souligne Éric Harlé, managing partner d’I-Source. Si le Web 2.0 n’attire plus autant qu’il y a deux ans, le support portable fait une première percée. Derrière le leader Apple, les smart-phones se multiplient. Ils offrent de nouvelles possibilités de développement pour une technologie qui a connu une réelle traversée du désert entre 2001 et 2004.
Ce n’est plus l’ « Internet à tout prix » des années 2000, mais une approche assagie qui cherche avant tout de réelles innovations en termes de contenus. Que ce soient les sites de jeux en ligne, ou les applications portables, le capital-risque est prêt à soutenir ce secteur dans lequel le retour du marché est beaucoup plus rapide.
Mais l’évolution du support et le décloisonnement du monde virtuel par les autorités ne sont pas comparables aux révolutions industrielles que pourraient apporter les cleantechs ou la robotique. En termes d’investissement, Internet devrait rester l’un des quatre premiers secteurs pendant encore de nombreuses années.
Robotique : au-delà de l’utopie
La robotique, de son côté, s’est largement développée en tant qu’application industrielle. Elle reste un secteur assez réduit, fortement spécialisé et capitalistique. Depuis trois ou quatre ans seulement, les technologies nécessaires à la fabrication de robots vaguement humanoïdes existent. Les financements sont lourds, les technologies coûteuses ou inexistantes, mais les premiers résultats prometteurs. « C’est le Mac II d’il y a 30 ans », explique Éric Harlé, managing partner d’I-Source.
Fortement portée par le Japon, qui ressent le besoin de plus en plus urgent de pouvoir s’appuyer sur des aides non-humaines face à une population vieillissante, la robotique n’est guère une spécialité européenne, même si quelques précurseurs se sont lancés dans l’aventure. Ainsi, Aldebaran, jeune entreprise française, a construit un robot humanoïde de 58 centimètres. Ils devrait être disponible au grand public fin 2009.
Pourtant, les capital-risqueurs ne sont pas opposés à ce type de projets : ce sont les projets qui manquent. Ici encore, le gouffre entre recherche et industrialisation se fait douloureusement remarquer. Si la volonté entrepreneuriale existe, la robotique pourrait devenir l’un des secteurs privilégiés
du capital-investissement.