Le nouveau Paquet Télécom réforme sensiblement le cadre applicable au secteur des communications électroniques et envisage la question - controversée - de la Net Neutrality. Tour d’horizon des principales évolutions attendues.

Après avoir été retardée de longs mois à cause du fameux amendement relatif aux conditions dans lesquelles l’accès à Internet peut être suspendu, l’adoption du troisième paquet télécom (« Paquet Télécom ») est enfin intervenue le 25 novembre 2009.
Le Paquet Télécom, composé d’un règlement et de deux directives devant être transposées avant juin 20111, (i) amende le processus de régulation, (ii) adapte le cadre réglementaire aux évolutions (notamment technologiques) du secteur et (iii) renforce les droits reconnus aux utilisateurs des services de communications électroniques.


Les principaux points de la réforme.

Vers une régulation plus cohérente.
Actuellement, il appartient à chaque autorité de régulation nationale (« ARN »), comme l’ARCEP par exemple, de délimiter, sur le territoire de son État, les marchés pertinents susceptibles d’être régulés. L’ARN doit ensuite identifier le ou les opérateurs disposant, le cas échéant, d’une influence significative sur ces marchés et leur imposer les obligations nécessaires et proportionnées afin de permettre l’émergence d’une situation véritablement concurrentielle. Ces obligations sont choisies par l’ARN parmi une liste de remèdes prévus par le cadre réglementaire actuel.
Ce processus de régulation est soumis au contrôle de la Commission, qui dispose d’un droit de veto sur la délimitation des marchés et la détermination des opérateurs puissants et du pouvoir d’émettre des commentaires sur les remèdes proposés par les ARN.
Afin de contribuer à une plus grande cohérence entre les remèdes adoptés par les ARN, le Paquet Télécom prévoit tout d’abord l’instauration d’une nouvelle instance communautaire, dénommée ORECE (pour Organe des Régulateurs Européens des Communications Electroniques). L’ORECE, composé de représentants de l’ensemble des ARN, a pour objet de faciliter les échanges entre ces dernières et la Commission. Elle émettra ainsi des décisions, à la majorité simple ou qualifiée selon les cas, sur les décisions susceptibles d’être adoptées par la Commission ou les ARN.
Par ailleurs, la Commission disposera désormais du pouvoir d’émettre des recommandations sollicitant le retrait ou l’amendement des remèdes envisagés par les ARN.
Ces deux mesures devraient contribuer à harmoniser les remèdes adoptés au sein de l’Union. Autre nouveauté, les ARN disposeront du pouvoir d’imposer aux opérateurs puissants et verticalement intégrés, en dernier recours quand les autres remèdes auront été inefficaces, une séparation fonctionnelle entre les réseaux de communications électroniques et la fourniture des services.

Une adaptation du cadre réglementaire aux développements du secteur.
Afin de faciliter le développement des réseaux d’accès de « nouvelle génération » (notamment de fibre optique), le Paquet Télécom permet aux ARN d’imposer aux opérateurs puissants un partage des infrastructures passives (y compris de génie civil), ainsi qu’une mutualisation de la partie terminale de la fibre entre opérateurs. Cette dernière mesure vient d’ailleurs d’être adoptée par l’ARCEP2.
Autre avancée significative, le spectre hertzien fera l’objet d’une gestion plus souple. Ainsi, alors que les bandes de fréquences sont dédiées à l’usage de services préalablement identifiés (situation qui empêche le déploiement de nouvelles technologies de transmission dans des bandes de fréquences ne prévoyant pas cet usage), le Paquet Télécom supprime cette rigidité et pose un principe de « neutralité des services ». Cette situation devrait faciliter l’utilisation des fréquences libérées dans le cadre de la fin de la diffusion de la télévision analogique (« dividende numérique ») pour favoriser le développement du haut débit mobile.

Vers un renforcement des droits des utilisateurs.
Le Paquet Télécom comporte également toute une série de mesures au profit des utilisateurs de services de communications électroniques.
Ainsi, la portabilité des numéros, fixes et mobiles, devra être possible en un jour ouvrable (contre 10 jours aujourd’hui en France). De nouvelles mesures s’appliqueront également à la protection des données personnelles des utilisateurs (les opérateurs étant notamment tenus de rendre publiques d’éventuelles atteintes à ces données).
S’agissant enfin de la question du droit d’accéder à Internet, l’accès des utilisateurs finaux aux réseaux de communications électroniques ne pourra être suspendu qu’à l’issue d’une « procédure préalable, équitable et impartiale [comprenant] le droit de la ou des personnes concernées d’être entendues ». Cette disposition n’impose donc pas le recours à un juge en tant que tel mais doit permettre à l’utilisateur visé par la mesure en question de faire valoir ses droits. Sur ce point, la censure par le Conseil constitutionnel de la loi dite « Hadopi I » avait déjà permis d’inciter le législateur à tenir compte de ces exigences dans le cadre de la loi dite « Hadopi II ».


La Net Neutrality en débat ?

Les mesures concernant la Net Neutrality méritent une attention particulière, compte tenu des enjeux de cette question. La Net Neutrality signifie l’absence de toute discrimination, de la part des fournisseurs d’accès à Internet (« FAI »), dans la gestion des flux de données auxquels accèdent leurs abonnés.
De manière schématique, deux conceptions s’opposent. Les FAI font valoir qu’il leur est indispensable de pouvoir procéder à une gestion différenciée des flux de données afin de préserver leur qualité de service en évitant les congestions et les saturations. Se pose également la question du financement des capacités de réseaux, les FAI considérant que les fournisseurs de contenus ne sauraient bénéficier du développement des réseaux pour proposer leurs services sans contribuer à leur financement.
Quant aux fournisseurs de contenus, ils avancent qu’Internet s’est développé sur la base d’un principe d’accès libre et non discriminatoire aux contenus et que permettre une telle gestion des flux reviendrait à constituer un Internet à « deux vitesses ». Ils mettent également en avant le risque que certains FAI opèrent une discrimination au profit de leurs propres contenus, en dégradant les flux correspondant à des contenus concurrents.

Le débat sur la neutralité des réseaux soulève ainsi des enjeux multiples, qui sont à la fois politiques (avec la question de la reconnaissance des droits des utilisateurs), concurrentiels mais aussi économiques.
Aux États-Unis, la Federal Communication Commission (« FCC ») a énoncé, dès 2005, un ensemble de principes destinés à préserver le caractère ouvert d’Internet et à protéger les droits des utilisateurs à accéder au contenu de leur choix, principes dont il a été fait application en 2008 dans la célèbre affaire Comcast3 . La FCC va d’ailleurs prochainement consolider ces principes.
Le Paquet Télécom adopte une approche plus mesurée de la question.
Ainsi, la directive « service universel » modifiée précise qu’elle « ne prescrit ni n’interdit les conditions imposées par les fournisseurs (…) pour limiter l’accès des utilisateurs finaux aux services et applications et / ou leur utilisation ». Rien n’interdit donc, sur la base de ce texte, la mise en œuvre par un FAI de mesures de priorisation de trafic.
Ensuite, le Paquet Télécom impose que les utilisateurs soient informés des conditions limitant l’accès aux contenus, des « niveaux minimaux de qualité des services offerts », ainsi que des mesures mises en place « pour mesurer et orienter le trafic ». Il s’agit de favoriser une très grande transparence pour permettre aux souscripteurs de réaliser un choix éclairé.
Enfin, le Paquet Télécom dispose que les ARN pourront contrôler la qualité de service effectivement fournie par les opérateurs, voire imposer des exigences minimales en matière de qualité de service « afin de prévenir la dégradation du service et l’obstruction ou le ralentissement du trafic sur les réseaux ». La possibilité de soumettre à l’ARN un différend entre fournisseur de contenus et FAI est, quant à elle, débattue.
C’est donc aux ARN qu’il reviendra, pour l’essentiel, de déterminer la portée qu’elles entendent donner au principe de Net Neutrality.

En France, si le cadre juridique actuel impose déjà aux opérateurs un principe de neutralité vis-à-vis des contenus transmis4, l’ARCEP sera prochainement amenée à prendre position sur ce sujet, après une consultation publique organisée au premier semestre 2010. Le gouvernement devrait également remettre au Parlement un rapport sur cette question, comme le prévoit la loi pour la lutte contre la fracture numérique très récemment adoptée5.
La neutralité devra alors probablement choisir son camp…


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