Co-fondateur d'Allociné, proche de Xavier Niel, aujourd'hui directeur de Canalplay, Patrick Holzman ne cesse de réinventer le monde de l'entertainment. Rencontre.
Décideurs. Qu’est-ce qui vous a attiré dans le monde du cinéma ?

Patrick Holzman. D’abord, le hasard. Mais surtout les histoires et les K7 VHS d’un propriétaire de vidéoclub qui a occupé toutes mes après-midi, entre 14 et 17 ans – un gentil monsieur que j’ai recroisé à Neuilly trente ans plus tard et qui, sans le savoir, a certainement influencé ma trajectoire… Puis c’est une rencontre improbable, comme le sont toutes les belles rencontres, avec Jean-David Blanc. Il avait une idée, j’avais une tactique. En 1993, Allociné est né, l’aventure a commencé et duré sept ans… Sept ans de confiance, de loyauté, d’amitié et de succès.

Décideurs. Et après ces sept ans à développer la plate-forme, vous décidez de rejoindre Xavier Niel ?

P. H. Ma deuxième histoire avec le cinéma arrive en 2005, encore une fois par hasard. Un ami d’enfance qui réapparaît, qui me présente « un ami à lui ». Cet ami, c’est Xavier Niel qui a alors une obsession : faire de sa box l’objet le plus pratique, le plus simple et le moins cher pour voir et recevoir la télé. Sauf que très vite, la télé (les chaînes) ne lui suffisait pas. Cet homme a un secret pour obtenir de vous le meilleur. Il lui suffit de dire : « J’imagine que c’est impossible à faire » pour qu’immédiatement, la personne à qui il s‘adresse (moi en l’occurrence) s’acharne, s’obstine à lui livrer ce qu’il demande. C’est malin, parce que ça marche. Très « naïvement », il me confie son chéquier et me demande d’aller ramasser tous les droits VOD disponibles aux US. Je lui rends assez vite son portefeuille, lui conseillant de nous concentrer sur la Freebox et de trouver le meilleur partenaire de contenus. C’est là que me vient l’idée de signer un partenariat exclusif avec Canalplay (et oui). Les meilleurs contenus dans la meilleure box. Ça marche, ça marche même très bien. C’est peut-être la seule fois où j’ai réussi à surprendre Xavier. Il attendait des centaines de locations, j’en ai livré des milliers et très vite, des dizaines de milliers, en quelques semaines.

Décideurs. Free se lance alors dans la téléphonie mobile et vous quittez le navire ?

P. H. J’ai surtout suivi mon « bébé », Free Home Video. Le premier service de SVOD que j’ai lancé en France en 2006 sur Freebox. Avec des milliers de films, de dessins animés et des intégrales de séries issus des plus grands catalogues de la Warner, Sony, CBS, Disney, etc., le tout pour moins de dix euros, et surtout sans engagement.
Quand le groupe Canal+ me propose les commandes de Canalplay et arrive à me convaincre que les ambitions et les budgets sont au rendez-vous, je signe. Après tout, c’est le métier de Canal+ de donner envie aux gens de regarder du cinéma et des séries. Côté Free, on s’excitait au même moment pour donner envie aux gens de téléphoner. Pas exactement le même challenge. Aujourd’hui, les choses évoluent, les écrans aussi.

Décideurs. Aujourd’hui Canalplay, malgré sa position de leader sur le marché français, est menacé par l’arrivée de Netflix…

P. H. Je ne pense pas que Netflix représente une menace pour Canalplay. Au contraire, nous n’avons jamais recruté autant d’abonnés.
Plus sérieusement, j’ai la conviction que les efforts que nous avons engagés il y a deux ans commencent à porter leurs fruits. Cela passe, notamment, par un souci constant sur l’éditorialisation, l’expérience utilisateurs, l’accès rapide et simple aux contenus et par un enrichissement permanent de l’offre, que cela soit au travers d’accords d’envergure, comme récemment avec HBO, ou par la création de nouveaux formats inédits avec nos séries digitales. Notre succès s’explique aussi par notre agilité et notre capacité à déployer rapidement Canalplay sur tous les écrans, notamment sur la télé grâce à une présence sur l’ensemble des box de nos partenaires FAI.

Décideurs. Certains annoncent la mort de la télévision. Que leur répondez-vous ?

P. H. Il faut réinventer la télévision de demain. J’ai quatre garçons qui grandissent avec un écran (des petits écrans ou des plus grands). Je veux inventer les programmes et les usages avec lesquels ils vont évoluer. Je veux leur expliquer la valeur des choses et la valeur du temps, le « tout-gratuit » et le « tout, tout de suite » étant un leurre sans avenir. Je veux enfin et avant tout continuer à les séduire.

Décideurs. Pour beaucoup, la télé de demain c’est la télévision connectée…

P. H. On n’a pas attendu les téléviseurs connectés pour faire de la télévision connectée. Les box de Free, d’Orange, de SFR ou de Bouygues, c’est quoi sinon de la télé connectée ?
La France est en avance dans le domaine de l’IPTV, il faut s’en féliciter. À nous de continuer à inventer les offres et les usages qui vont avec. Individuel ou en famille, à la maison ou en mobilité, tout est possible. Mais attention, pour moi la télé est et doit rester avant tout une envie de passer un bon moment, d’être étonné, émerveillé.
J’aime et j’adhère au concept de la télé « personnalisée » mais je reste attaché à la télé « surprenante ». L’ultra-personnalisation, la course effrénée à la recommandation peut très vite, et à force, réduire le champ des choix et des possibles. Ce n’est pas ce que je souhaite pour les amateurs de Canalplay.

Décideurs. Canal + a lancé un incubateur de start-up, Canalstart, en décembre 2013. Bilan ?

P. H. Mon idée est d’attirer les talents chez Canal+. Pas seulement les talents d’écriture (ils ne m’ont pas attendu), mais les innovateurs, les « inventeurs-fous »… Au fond, d’incarner dans une grande maison comme Canal+ un « espace » pour que ces jeunes entrepreneurs puissent déposer leurs idées, leurs projets, leurs rêves. Pour qu’ils nous aident aussi à inventer la télé de demain. C’est ma vision, ma démarche que je veux à la fois modeste et ambitieuse. Accepter de penser que les grandes idées peuvent naître au sein de Canal+ ou à l’extérieur.
Plus concrètement, Canalstart propose un écosystème favorable autour du Groupe Canal au sein duquel les jeunes entrepreneurs peuvent tester et évaluer leurs inventions auprès des abonnés, soit des millions de bêta-testeurs (le rêve pour une start-up qui cherche à lever des fonds). Cinq ou six projets ont déjà été accompagnés et se sont concrétisés pour certains sous forme de partenariats comme Showbox, un site israélien de production de vidéos ou Wildmoka, une start-up française spécialisée dans l’enrichissement et le partage des contenus télévisuels sur les réseaux sociaux.
Le groupe Canal+ sait détecter, faire émerger et s’entourer de talents dans les contenus et l’écriture et doit savoir faire la même chose avec l’innovation.

Décideurs. Quelles sont vos perspectives de développement pour Canalplay ?

P. H. Plus d’abonnés, et encore plus de (bons) programmes en France…. Et aussi à l’étranger ! La globalisation des acteurs nous oblige à nous développer au-delà de notre territoire naturel et donc de nous tourner vers des pays tels que le Japon, la Russie, l’Inde ou le Canada. Les productions originales de Canal+ sont largement capables de rivaliser avec ce qui se fait de mieux sur tout ce qui touche les contenus et l'entertainment. On va donc les faire « voyager » et les faire découvrir au plus grand nombre.


Propos recueillis par Jennifer Lormier

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