Au bord de la faillite en 2008 et 2012, la société française d’effets spéciaux et de box Internet a réussi à redresser la barre. Après trois ans de gestion rigoureuse s’accompagnant de coupes multiples, elle repasse à l’offensive en signant cinq acquisitions en moins de douze mois.

Une véritable renaissance après deux faillites évitées de justesse et de sévères restructurations. En 2013, le groupe français, qui réalise un chiffre d’affaires de 3,3?milliards d’euros, affichait encore une perte de 92?millions d’euros. Fin 2014, les résultats financiers de Technicolor repassaient dans le vert avec un résultat net de 128?millions d’euros. Une performance rendue possible grâce à son flux de trésorerie qui s’est envolé à 230?millions d’euros et une rentabilité portée par ses brevets?: au premier semestre 2015, ils ont généré 78?% de l’Ebitda alors même qu’ils ne génèrent que 16?% du chiffre d’affaires total du groupe.

 

Temporiser ou passer à l’offensive

 

Ces bons chiffres ont permis de faire passer la dette de 2,1?milliards d’euros en 2009 à 618?millions d’euros aujourd’hui. Le groupe a même versé un dividende de cinq centimes d’euros à ses actionnaires. Une première depuis dix ans. Quant à son cours de Bourse, il a progressé de 30?% au cours des six derniers mois. Ce sauvetage ne s’est bien sûr pas fait sans sacrifices. Technicolor a vendu toutes ses activités ne générant pas de cash et a ouvert son capital au prix d’une forte dilution pour ses actionnaires historiques. Les effectifs ont été également réduits, passant de 25?000 en 2008 à 14?000 en 2014. En France, 1?200 emplois ont été supprimés.

 

En 2014, en avance d’un an sur son plan Amplify 2015, Technicolor est alors confronté à un choix?: temporiser ou passer à l’offensive. Pour Frédéric Rose, le dirigeant à l’origine de ce renouveau, il ne fait aucun doute qu’il faut réaliser des acquisitions pour gagner des parts de marché?: le seul moyen selon lui pour assurer la rentabilité à moyen terme. Problème, Vector Capital, le principal actionnaire, ne partage pas son avis. Le fonds d’investissement est plutôt favorable à une scission des activités afin d’améliorer un peu plus encore la rentabilité. La tension monte jusqu’à connaître une phase judiciaire, mais les deux protagonistes réussiront finalement à se mettre d’accord. Début avril?2015, lors de l’assemblée générale, David Fishman, président de Vector Capital, soutient donc officiellement le plan stratégique Drive 2020. Libéré, Frédéric Rose peut enfin mettre en place sa stratégie d’acquisitions qu’il travaille discrètement depuis le deuxième trimestre 2014. Un plan agressif mais réfléchi. «?Nous avons été très prudents dans la réalisation de ces acquisitions. Dans toutes nos décisions, nous regardions si cela ne mettait pas en péril la notation du groupe?», précise Esther Gaide, directrice financière et bras droit du P-DG.

 

La plus grande opération concerne la branche maison connectée. Pour 550?millions d’euros, Technicolor acquiert l’américain Cisco Connected Devices. «?Les rapprochements entre sociétés américaines et françaises sont de plus en plus fréquents, mais cette opération se démarque des autres car cette fois-ci c’est une entreprise tricolore qui prend les commandes?», analyse Anne Tolila, avocate associée chez Gide et conseil du cédant sur les aspects hexagonaux de l’opération. Un deal que le groupe français a en tête depuis deux ans mais que sa condition financière ne lui permet pas de réaliser. Quelques mois plus tôt, l’annonce du rapprochement entre Harris et Pace lui met la pression?: si le français ne veut pas se faire distancer définitivement, il doit conclure vite. Commencées en mai avec Cisco, les négociations s’achèvent en juillet et l’opération en novembre. Avant même celle de Harris et de Pace qui a été ralentie par les autorités de concurrence et qui se trouve confrontée à des doublons synonymes de perte de chiffre d’affaires?: 500?millions de dollars pour la nouvelle entité.

 

Partenariat stratégique

 

Tout le contraire du rapprochement entre Technicolor et Cisco. Géographiquement, les deux se complètent?: le premier est plus développé en Europe, le second aux États-Unis. Niveau produits, Technicolor est spécialisé dans le câble, Cisco dans le satellite. En clair, aucune des deux sociétés n’a de clients en commun. Technicolor estime les synergies de cette opération à au moins cent millions d’euros. Seule ombre au tableau, le chiffre d’affaires de Cisco Connected Devices a reculé de 18?% à 1,8?milliard de dollars. Mais cette acquisition permettra au français d’afficher près de trois milliards de revenus annuels sur sa division maison connectée/box. Le groupe est ainsi propulsé à la deuxième place des fabricants de?box?avec 15?% de part de marché mondiale, derrière Harris-Pace qui en possède 25?%. Technicolor creuse surtout l’écart face à ses poursuivants Huawei (7?%) et Samsung (5?%).

 

L’opération a été financée par 413?millions d’euros en numéraire et pour 137?millions en actions, Cisco prenant 5?% du capital du français pour une période minimum de dix-huit mois. «?Du fait de la rémunération mixte sous forme de titres et de cash, l’opération soulevait des questions intéressantes en droit français?: quelles procédures mettre en œuvre dans le cadre de l’apport?? Quelles obligations en matière d’information financière???», précise Antoine Tézenas du Montcel, avocat associé chez Gide. «?Des enjeux que les conseils américains n’avaient pas intégrés dans leur montage, complète Anne Tolila. Pour eux, la crainte était alors de repartir dans des négociations.?» Écueil évité. En parallèle du rachat, les deux groupes signent un partenariat stratégique. Pour sceller ce rapprochement, Hilton Romanski, le directeur de la stratégie de Cisco, rejoint le conseil d’administration du groupe français.

 

Comme une SSII

 

Sur son activité entertainment services, Technicolor mène quatre opérations. Sur la partie DVD, qui représente encore 30?% de son chiffre d’affaires, il rachète des actifs relatifs à la fabrication et la distribution des disques auprès de son confrère canadien Cinram Group pour quarante millions d’euros financés sur sa trésorerie. Avec la reprise des contrats de réplication et de distribution de DVD et de Blu-ray de deux de ses clients outre-Atlantique, le groupe français sécurise une partie de sa production. Grâce à ces opérations, Technicolor consolide sa place de leader mondial du secteur avec 1,3?milliard de copies produites en 2014.

 

Les trois autres opérations ont été réalisées sur le marché porteur des effets spéciaux où le français se classe numéro trois mondial. Après l’acquisition d’OuiDo Productions, Technicolor a racheté Mikros Image, une société de production spécialisée dans les films d’animation et dans les publicités qui réalise un chiffre d’affaires de quarante-quatre millions d’euros (2014). Plus récemment, il a finalisé l’acquisition de The Mill, entreprise opérant dans les effets visuels pour les agences de publicité et les marques, pour 259?millions d’euros sans reprise de dette. Si l’activité est séparée en deux, entre le secteur de productions de films et le marché publicitaire, les synergies sont nombreuses. Le groupe duplique les technologies utilisées dans les films sur le marché publicitaire. Une stratégie qui permet de lisser la différence de rythme entre les deux entités, environ dix-huit mois pour le cinéma contre seulement quelques mois pour un film publicitaire. «?Nous fonctionnons comme une SSII, témoigne un employé de Technicolor. Nous disposons d’un back-office de 2?000 personnes à Bangalore.

 

Selon la direction, ces opérations vont permettre à la société d’atteindre dès 2017 son objectif d’au moins 500?millions d’euros d’Ebitda ajusté fixé dans le cadre de son plan stratégique Drive 2020. «?En prenant en compte ces opérations sur une base pro forma, nous avons franchi la barre des cinq milliards d’euros de chiffre d’affaires?», ajoute Esther Gaide. Désormais, le groupe souhaite consolider : 2016 sera moins mouvementée en matière d’acquisitions. Pas question en effet de refaire les erreurs du passé. Avant de frôler la faillite, le groupe avait réalisé pas moins de cinquante-deux acquisitions en sept ans. 

 

V. P.

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