Bertrand Diard (Influans) : « Notre volonté est d’avoir, dès maintenant, un rayonnement global »
Décideurs. Le marketing personnalisé est au cœur de la promesse qu’Influans formule auprès de ses clients. Quelles opérations commerciales sont ici concernées ?
Bertrand Diard. L’univers du martech, c’est-à-dire des nouvelles technologies appliquées au marketing, est composé de deux grandes familles. Il y a d’abord l’advertising, où l’on retrouve la publicité digitale et les acteurs spécialisés comme Google Adwords ou Criteo. Cet univers, nous n’y intervenons pas. Il y a ensuite le marketing relationnel s’articulant entre la marque, le client final et l’offre. Les canaux traditionnels utilisés ici sont l’e-mailing, les coupons, les sms de promotion ou encore les catalogues envoyés dans les boîtes aux lettres. Le marketing direct et opérationnel, ce marché à cent milliards de dollars à travers le monde, c’est là notre terrain de jeu. La personnalisation que nous prônons n'est donc pas la même que celle d’un expert du retargeting à la Criteo.
Quel regard posez-vous sur les méthodes « traditionnelles » du marketing et leurs résultats ?
Dans les entreprises, le marketing est l’un des seuls départements avec des niveaux de performance inacceptables. Seuls 1,7 % des e-mails envoyés donnent lieu à une opération commerciale. Ce chiffre grimpe à 3 % pour les coupons. Toutes les marques disposent pourtant des informations nécessaires pour arrêter de « spammer » (NDLR : envoyer des e-mails indésirables) leurs clientèles. Sur cent e-mails reçus, seuls deux seraient susceptibles d’intéresser le prospect ou le client ? Ce ratio n’est plus acceptable avec la montagne de données que nous accumulons sur les goûts et les attentes de chacun. Ce qui manque à ces marques, c’est une visibilité normalisée sur les informations qu’elles détiennent déjà. Les bases de données hétérogènes qu’elles utilisent ne leur permettent pas d’avoir une vue unifiée de leurs clients. On se retrouve alors dans un schéma de mass marketing où une offre, supposée être séduisante, est envoyée à tous les clients, sans distinction de leurs besoins exprimés ou de leurs caractéristiques habituelles d’achat. Nous voulons lutter contre ça.
« Le marketing opérationnel représente un marché de cent milliards de dollars à travers le monde »
Quels sont les mauvais exemples à éviter ?
Être harcelé pour rien, il n’y a rien de plus agaçant pour un client final. Aux États-Unis, Groupon peut envoyer des e-mails contenant à la fois des offres de saut en parachute et des déambulateurs. Cela fait sourire mais c’est encore le quotidien de beaucoup d’internautes de recevoir de telles offres ! Les grandes marques doivent savoir quel est le centre d’intérêt de leur cible, si possible à un instant T. C’est ainsi qu’elles pourront sélectionner l’offre capable d’orienter le client vers l’acte d’achat désiré.
Quels sont les avantages offerts par votre produit ?
Nous avons été les pionniers dans l’intégration de données et le big data avec Talend. L’objectif est à présent de rassembler les données pertinentes pour ensuite faire tourner de l’intelligence artificielle et du machine learning. Les algorithmes déterminent alors une offre unique, fondée sur des critères qualifiés. Nous n’avons jamais d’offres similaires pour deux clients différents. Le plan d’action que nous soumettons à nos clients rassemble un canal de diffusion, un produit et un incentive spécifiques aux attentes identifées.
« Sur cent e-mails reçus, seuls deux seraient susceptibles d’intéresser le prospect ou le client ? Ce ratio n’est plus acceptable »
Avec quelles données ciblez-vous les internautes ?
Les données personnelles d’un individu n’ont aucun intérêt pour nous. Notre attention se concentre sur l’ensemble des data points qui gravitent autour des individus pour leur apporter l’offre qu’il leur faut. Qu’importe si la cible s’appelle Pierre, Paul ou Jacques. Le RGPD nous affecte peu puisque l’algorithme ne prend en considération que des nuages de points apparaissant sous forme de graphique. Afin d’affirmer notre position en la matière, nous procédons même à du data masking pour dissimuler toutes les informations personnelles qui peuvent l’être. L’anonymisation n’empêche pas la personnalisation. Notre travail consiste à créer les meilleures corrélations possibles entre les données, sans chercher à qui elles sont reliées.
Comment collectez-vous ces données ? La directive e-privacy sur l’utilisation des cookies peut-elle vous porter préjudice ?
Les cookies ne sont qu’une source de données parmi d’autres, et ils ne sont pas centraux à notre activité. Les données qui nous intéressent le plus, ce sont celles des entreprises : logiciels de relation client, catalogue de produits, informations issues des réseaux sociaux… On peut aussi faire intervenir des données publiques de l’open data, comme la météo par exemple. S’il fait beau, inutile de mettre en avant des vêtements imperméables et chauds… La vision à 360° d’un individu à travers ces données variées est aujourd’hui possible, et ce, malgré les silos apparents entre les sources disponibles. Ce travail n’entrave en rien notre intransigeance en matière de respect de la vie privée. Pour comprendre cela, il faut aussi savoir que nos clients s’adressent à des dizaines de millions de clients et prospects.
Votre modèle commercial est fondé sur une rémunération liée à l’apport de nouvelles affaires à vos clients. Comment cela peut-il fonctionner ?
C’est une nouveauté sur le marché. D’ordinaire, les solutions technologiques se rémunèrent à l’abonnement, à la licence ou au clic. Cela signifie, dans ce dernier cas, que même si l’offre proposée au client final est mauvaise et qu’elle n’aboutit pas à une transaction, le prestataire se satisfait que l’internaute ait cliqué sur le bandeau publicitaire. Avec Influans, nous ne voulons pas de promotions contre-productives qui représentent autant d’investissements inutiles pour les marques. Nous cherchons à diffuser la meilleure offre pour le consommateur comme pour le distributeur. Ainsi, nous ne nous rémunérons que sur la transaction réalisée grâce à notre offre. Un tel modèle ne pouvait exister auparavant. D’une part, la notion de mass marketing empêchait de viser l’hyper contextualisation comme nous le faisons et la rémunération précise qui en découle. Les progrès technologiques ont, d’autre part, été décisifs pour atteindre le niveau de sophistication de nos algorithmes.
« Nous voulons faire quelque chose de plus gros que Talend »
Vous avez levé mi-septembre la somme impressionnante de 6 millions d’euros en phase d’amorçage. Quels sont vos chantiers prioritaires pour tirer le meilleur de ces nouveaux moyens financiers ?
L’objectif est de continuer de travailler sur le produit. Nous voulons continuer d’améliorer nos solutions pour atteindre de très hauts niveaux de satisfaction. Dans ma précédente vie chez Talend, nous avions investi pendant trois ans sur la technologie, après deux levées de fonds de quatre millions d’euros. C’était assez inhabituel mais le succès rencontré nous pousse à suivre la même voie aujourd’hui. Consolider la brique technologique est décisif avant de se développer commercialement. Nous démarrons naturellement en France avec le marché du retail. Toutefois, notre volonté est d’avoir, dès maintenant, un rayonnement global et de faire quelque chose de plus gros que Talend. Cela explique pourquoi nos premiers beta customers sont américains.
Quand devrait avoir lieu le prochain tour de table ?
Nous avons douze mois devant nous pour valider notre première étape autour de l’optimisation de la performance du produit et des premiers retours d’expérience. Une levée de série A devrait suivre, avec pour objectif d’accélérer notre développement. Je n’ai pas de montant en tête mais après avoir levé six millions en amorçage, on ne lèvera certainement pas trois millions à l’étape suivante. Il faudra surtout réfléchir en matière de besoins pour donner à l’entreprise la configuration qui la tirera vers le haut. Depuis 2013, 93 % des sociétés introduites au Nasdaq ont levé plus de 100 millions d’euros. Pour disrupter un grand marché, il nous faudra de grandes capacités d’investissements.
Propos recueillis par Thomas Bastin