L’édition 2018/2019 de la prestigieuse Ligue des Champions en est encore à ses prémices et va susciter enthousiasme et déception chez les supporters des grands clubs européens. Sur le papier, ces derniers partent tous avec les mêmes chances et le fair-play financier de l’UEFA y veille. Mais dans les faits et en particulier juridiquement qu’en est-il ?

Portée par Michel Platini, la loi sur le fair-play financier a été adoptée en 2010 à l’unanimité par les membres du comité exécutif de l’Union des associations européennes de football (UEFA). Et pour cause, la règle est simplissime et frappée au coin du bon sens lorsqu’on l’énonce : les clubs ne doivent pas dépenser plus d’argent qu’ils n’en gagnent.

Au nom de l’équité

Au départ, la volonté de l’UEFA était d’éviter les spirales inflationnistes alimentées par certains clubs, dans le cadre de transferts de joueurs. Ces formations mettaient en péril leur équilibre financier et créaient un décalage sportif important avec leurs concurrents en s’offrant les meilleurs joueurs de la planète, leur accordant des salaires sur lesquels il était impossible de s’aligner.

Dès lors, tous les clubs européens se devaient de remplir quatre critères : la possibilité financière de poursuivre son activité, l’absence de fonds propres négatifs, l’équilibre financier et l’absence de dettes envers d’autres clubs, des joueurs ou l’administration fiscale. Dans le cas contraire, ils devaient présenter un plan détaillé des mesures envisagées pour rétablir la situation.
« Ce n’est ni plus ni moins qu’une règle qui visait, à l’origine, à assurer une réglementation économique harmonieuse entre les clubs participant aux compétitions européennes et visant à favoriser l’équité sportive. Chaque club est soumis à un corpus de règles communes. » nous explique Romain Soiron, avocat spécialiste en droit du sport, associé du cabinet Joffe & Associés.

Le vœu était pieux, la morale sauve, l’équité rétablie. Pourtant, tout n’est pas si simple. Dans les faits, la règle, qui se veut égale pour tous, favorise les clubs « historiques », ceux qui prennent part de longue date aux compétitions de l’UEFA.

Chaque année, l’UEFA récompense le parcours des participants aux coupes européennes en attribuant des points à la ligue de son pays d’origine. Pour chacun des pays, ces points déterminent le nombre d’équipes qualifiées la saison suivante aux coupes d’Europe et en particulier pour la plus prestigieuse et la plus rémunératrice d’entre elles : la Ligue des Champions. Logiquement, plus le club s’y qualifie depuis longtemps, plus il cumule de points, plus sa ligue qualifie de concurrents pour l’édition suivante, plus il reçoit de ressources économiques de l’UEFA, plus il est autorisé à dépenser et plus il est renforcé sportivement. C’est un cercle sans fin, générateur d’inégalités.

Les risques de l’entente


Le défi juridique est de taille. « La Cour européenne de justice a déterminé que le football est un secteur économique à part entière et que les associations (l’UEFA en est une) et fédérations sont des entreprises à part entière. Des entreprises qui, dans le cadre d’une association, s’entendent sur ce que peut être un investissement financier, sur les dépenses et les recettes, ce qui est complètement prohibé », nous déclare Thierry Granturco, avocat spécialiste du droit du sport, et associé du cabinet DS Avocats. « Les recettes des clubs sont tirées pour partie des compétitions de l’UEFA. C’est donc un cercle vicieux. Les clubs bien établis gagnent plus. On retrouve économiquement les conséquences juridiques d’une entente », poursuit-il.

Le fair-play financier interfère donc sur l’équité sportive, à l’opposé même de son intention initiale

Dans ce secteur, plus un acteur est ancien, plus il possède d’actifs. Il dispose donc d’une plus grande marge de manœuvre sur le marché des transferts qu’un club concurrent qui voit ses investissements bridés, même si ses ressources sont garanties. « Si demain, Facebook veut acquérir le club londonien de Tottenham et veut investir les sommes nécessaires pour concurrencer le Real Madrid [NDLR : club historique, recordman des victoires dans la compétition], il en sera empêché car il ne pourra pas investir plus que le chiffre d’affaires », nous livre Thierry Granturco pour illustrer le propos. Inexorablement, plus un club illustre est autorisé à dépenser, plus il conclut de contrats avec les joueurs sportivement plus performants. La notion même de fair-play financier interfère donc sur l’équité sportive, à l’opposé même de son intention initiale.
« C’est même une entrave injustifiée au principe de libre circulation des capitaux en vigueur au sein de l’Union européenne et une entorse au droit de la concurrence. Cela n’existe dans aucun autre secteur économique. C’est atypique et ubuesque. », confirme Romain Boiron.

Des règles pourtant bien établies

Les équipes françaises sont soumises à une règle nationale, bien plus contraignante que dans les pays voisins, qui s’ajoute à celle de l’instance européenne. La Ligue de football professionnel (LFP) a mis en place une Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG), un organisme indépendant et stable qui audite deux fois par an les clubs professionnels et valide leurs résultats financiers.

Là encore, l’intention est louable et la règle claire : les actifs doivent être supérieurs aux passifs pour poursuivre l’activité sans être sanctionné sportivement. Cette instance, bien antérieure au fair-play financier de l’UEFA, a donc régulé, et maîtrise encore, la croissance des équipes de l’Hexagone quelle que soit leur dynamique du moment. Pourtant, dans le même temps, leurs concurrents d’autres pays s’autorisaient des dérives financières qui, aujourd’hui encore, les servent puisqu’elles n’ont jamais été sanctionnées. A contrario, celles-ci participent de leur réussite sportive, donc de l’acquisition d’actifs qui les place en position favorable aux yeux du fair-play financier. « Ils ont coupé le foot en deux. D’un côté, ceux déjà en haut de la montagne avant la mise en place du fair-play financier et de l’autre ceux qu’on empêche de la gravir. Et cela n’a pas endigué le montant des transferts comme tout le monde peut le constater », conclut Thierry Granturco.

On est loin du « Fair-play » définit par le Larousse : une « pratique du sport dans le respect des règles et de l’esprit du jeu et de l’adversaire ». En l’espèce, l’UEFA a revu les règles sans en respecter forcément l’esprit. Le financier l’a emporté sur le fair-play. Et n’a plus rien à voir avec les velléités vertueuses dans la genèse de la règle. In fine, la seule solution pour que tous les concurrents soient sur un pied d’égalité sur la ligne de départ serait de remettre les compteurs à zéro. Chiche ?

Philipe Labrunie

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