Le destin mouvementé des retail tech
Loin, très loin des gigantesques partenariats entre les leaders de la distribution (Casino, Auchan, Carrefour…) et les mastodontes du e-commerce (Alibaba, Amazon, JD.com...), les retail tech tentent elles aussi de se frayer un chemin jusqu’à la chaîne de valeur du commerce de détail. Ces jeunes sociétés innovantes misent sur leur valeur ajoutée technologique pour incarner le pilier de la transformation digitale des enseignes physiques. Parmi les spécialités de ces acteurs, citons l’analyse de données brutes pour en tirer des informations clés destinées aux vendeurs (in-store analytics), les outils numériques en magasin (avec les robots-vendeurs ou les terminaux offrant un accès au catalogue des stocks), la personnalisation de la relation entre le consommateur et l’enseigne… De la logistique à la gestion des magasins, en passant par la fidélisation, tout le parcours client est ainsi susceptible d’être optimisé grâce à la créativité d’entrepreneurs talentueux, flairant les nouveaux besoins des commerçants.
Le marché porteur du commerce en ligne
Entre 2005 et 2017, le chiffre d’affaires du e-commerce en B to C est passé de 8,4 milliards d’euros à 72 milliards d’euros en France*. La progression du marché pris dans sa globalité et la volonté des enseignes de se distinguer de leurs concurrents ont été à l’origine d’un environnement propice aux lancements de prestataires dédiés. Depuis 2010, plus d’un millier de retail tech ont été créées, d’après l’étude « Les RetailTech à l’horizon 2020 », publiée par le cabinet Xerfi. Pour grandir, ces nombreuses start-up s’appuient sur le soutien financier de fonds d’investissements, attirés par les plus-values potentielles à la revente. Entre 2010 et mars 2018, les 175 entreprises les plus visibles de cet univers, qui ont constitué l’échantillon de l’étude Xerfi, ont levé près de 500 millions d’euros. Notons que 90 % de cette somme a été collectée depuis 2015 et que les ambitions de ces sociétés se développent en parallèle des ressources financières amassées. Parmi les plus remarquables, ContentSquare (49,9 millions d’euros, répartis entre les séries A et B), iAdvize (46 millions d’euros, séries B et C), Mirakl (20,8 millions d’euros, répartis entre les série A et B), Alkemics (25 millions, série A et B confondues) se sont déjà fait un nom à l’international. Le retail est, par ailleurs, l’un des neufs secteurs majeurs retenus pour structurer l’action de mobilisation et de communication de la French Tech, créée en 2013.
Les distributeurs participent aussi à ce mouvement et investissent dans ces start-up pour réinventer leur métier. Mis sous pression au niveau tarifaire par les pure players et les e-commerçants généralistes comme Amazon, ils souhaitent redéfinir au plus vite l’expérience client pour que les boutiques physiques continuent d’attirer les chalands et que leurs marques restent des références de leurs secteurs. La mode est aux stratégies omnicanal et au « phygital », qui réunit le meilleur des deux mondes selon les principales enseignes : l’étendue de la gamme et l’instantanéité proposée sur le Net d’un côté, et les conseils en magasin de vendeurs spécialisés ainsi que la possibilité de toucher et d’essayer le produit de l’autre. La digitalisation des points de vente apparaît comme une priorité stratégique pour nombre de sociétés menacées d’être dépassées par leurs concurrents en ligne. Les start-up agiles ne s’y sont pas trompées et ont construit leurs discours marketing sur cette soif stratégique d’innovation. L’engouement autour du big data et de l’intelligence artificielle, deux domaines d’activité que ne maîtrisent pas en interne les grands distributeurs, sont là encore, autant d’opportunités pour les retail tech de se faire une place au soleil. « La première des difficultés pour Denis Vanbeselaere, directeur de l’innovation d’Auchan retail interrogé par LSA-Conso, consiste à choisir car cela signifie renoncer à certains projets. »
Les retail tech : des trajectoires variables
Pourtant, malgré tous les signaux positifs envoyés par le marché, les places sont chères. Au total, le taux de défaillance de ces jeunes pousses serait proche de 90 % selon l’accélérateur Spring Invest, cité par Xerfi et Le Journal du Net. Au-delà de leur recherche déterminante de financements, ces start-up doivent peaufiner en permanence leurs solutions technologiques inédites, malgré leurs moyens limités et leur notoriété en construction. Pas si simple lorsque l’on est mis à l’épreuve par une clientèle exigeante. De fait, pour séparer le bon grain de l’ivraie, les distributeurs confient une partie de leur R&D à cette kyrielle d’acteurs et analysent les résultats des « POC » [Proof of concept, ou démonstration de faisabilité en français] avant de décider d’étendre ou non les dispositifs passés au grill. Les retail tech doivent d’abord démontrer leur valeur ajoutée avant de s’intégrer dans les stratégies d’accélération des enseignes traditionnelles. Ce positionnement se résume parfois à un numéro d’équilibriste, et certaines sociétés tombent de haut, malgré l’excellence de leurs produits.
« C’est vrai qu’on voit beaucoup de start-up se lancer en France, mais combien dépasseront le cadre du simple tréteau sur un salon ? » s’interroge Jean-Bernard Della Chiesa, directeur digital et innovation d’Etam, dans les colonnes de LSA-Conso. Ainsi, malgré la médiatisation des technologies de réalité virtuelle et augmentée, les retail tech spécialisées sur ce segment n’ont levé que 2,4 % des fonds investis dans le secteur depuis 2010. Au contraire, la part du financement des sociétés expertes en data marketing atteint 23,8 %. Le bon produit adressé au bon moment et à la bonne personne : les retail tech doivent sans doute réviser les fondamentaux du commerce pour espérer s’installer durablement dans l’univers de la distribution.
*Selon le rapport gouvernemental « Les chiffres clés du numérique »
Thomas Bastin (@ThBastin)