Portée par une croissance éclair, la messagerie star des smartphones chinois a atteint le milliard d’utilisateurs cette année. Désormais, l’application regarde vers l’Asie, et bientôt vers l’Europe. Une arrivée qui pourrait transformer notre quotidien.

En moyenne, les utilisateurs de WeChat passe 90 minutes par jour sur l'application. C’est près de deux fois plus que le temps passé habituellement par les seuls internautes de Facebook, Instagram et Messenger réunis. Le rêve de tout développeur !

Pour comprendre le succès de cette application développée par le géant d’Internet chinois Tencent, il faut commencer par oublier ce que nous savons du modèle économique des Gafam. Facebook finance son développement grâce à la vente de données aux annonceurs, dans une logique BtoB. Les données de l’application chinoise restent, elles, au fond des smartphones des utilisateurs. « Il était possible de comparer WeChat à Facebook, Baidu à Google, Alibaba à Amazon…il y a dix ans. Aujourd'hui ce n’est plus possible » , explique Matthew Brennan, consultant et spécialiste de l’application. Le secret de cette messagerie, c’est d’être ouverte et de permettre ainsi d’installer d’autres applications. « WeChat ne monétise pas ses données, mais c’est un moteur de croissance pour les autres business du groupe. C’est un peu comme iOS, ou Android », résume Matthew Brennan.

Le succès de WeChat tient aux milliers d’applications disponibles à partir de cette messagerie. La plus répandue est son appli de paiement en ligne WeChat Pay. Alors que les Chinois sont longtemps restés attachés à l’argent liquide, ils ont migré en quelques années seulement vers le paiement en ligne. Avec ce service, il est possible de régler une note de restaurant en scannant un QR code ou de régler sa facture d’électricité… Même les fameuses hongbao, ces enveloppes rouges remplies de billets de banque que les Chinois offrent lors d’événements, ont été remplacées par l’application. Lors de la journée du nouvel an chinois en 2017, pas moins de 14 milliards de transactions ont été enregistrées en Chine.

Pur produit de l’agilité digitale chinoise

Tencent est le premier à profiter de ce business model. Il a développé très tôt ses propres applications. À côté de WeChat Pay, le groupe a notamment créé des jeux pour mobile, dans une logique foncièrement BtoC. Symbole de son succès, la capitalisation du géant a dépassé celle de Facebook fin 2017. L’entreprise est également entré dans le cercle très fermé des entreprises technologique valorisées au-dessus de 500 milliards de dollars, un groupe jusqu’ici réservé aux entreprises occidentales.

« Tencent a profité de ce que le secteur bancaire était peu développé en Chine » Matthew Brennan

L’application n’est pourtant pas seule sur son marché lors de son lancement en 2011. WhatsApp, Viber ou Messenger existent déjà, sans parler d’une infinité d’autres comme Kik, Line ou Miliao. Mais Tencent avait plusieurs atouts. Le géant dirigé par Ma Huateng peut d’abord capitaliser sur son expérience dans la messagerie. Il a lancé dès la fin des années 1990 sa première messagerie, “QQ”. Ce premier succès lui a permis de disposer d’un vivier de contacts déjà important lors du lancement de WeChat. Le groupe a également bénéficié d’un environnement favorable pour faire décoller son application de paiement mobile. « Tencent a profité de ce que le secteur bancaire était peu développé en Chine, et de ce que l’usage des cartes bancaires était peu courant », explique Matthew Brennan. Enfin, il a bénéficié du coup de pouce du gouvernement chinois, qui a très tôt interdit la présence de messageries étrangères sur son territoire.

Passage obligé pour les entreprises

Tencent surfe aujourd’hui sur le boom du e-commerce en Chine. L’achat sur Internet s’est tellement démocratisé que le pays est depuis plusieurs années le premier marché du e-commerce au monde. Il représente 14% des ventes au détail, contre 8% en France. Et WeChat est la plateforme sur laquelle les entreprises doivent être visibles pour profiter de cette dynamique. De plus en plus d’enseignes ont créé leur propre application pour organiser des événements ou encore des ventes. Pour les entreprises occidentales, c’est un changement culturel majeur à intégrer, alors qu’elles utilisent souvent les réseaux sociaux comme de simples vitrines en Europe ou aux États-Unis.

Une des sociétés à s’être particulièrement bien adaptée à cette logique est DHL. L’entreprise de livraison se sert de WeChat pour permettre aux utilisateurs de suivre leur colis. Le luxe commence à s’y mettre aussi. L’année dernière, Dior a lancé une vente de sac à main personnalisable en série limitée sur l’application pour la Saint-Valentin. D’autres acteurs ont décidé de miser sur les chatbots pour attirer ou fidéliser leur clientèle. Près de 12 millions de comptes appartenant à des entreprises ou des personnalités utilisent un programme d’intelligence artificielle intégré à leur profil WeChat pour permettre aux internautes de discuter en direct avec elles.

Les Gafam en sursis ?

Tencent incarne aujourd’hui le succès du numérique chinois. Avec Baidu, Alibaba et Xiaomi, l’entreprise forme même l'acronyme BATX, pendant asiatique des Gafam. Si ce nom a longtemps servi, vu d’Europe, à désigner les géants exotiques d’un marché peu connu et peu internationalisé, aujourd’hui ils constituent sont une vraie concurrence pour les géants de la technologie européenne et américaine. Car les BATX sont désormais en mesure de se comparer à leurs cousins de la Silicon Valley sur le plan de la technologie et du dynamisme. Alibaba, par exemple, a réussi à lever 25 milliards de dollars à Wall Street lors de sa cotation en 2014, une des plus importantes levées de fonds dans la tech de la décennie. Baidu, le Google chinois, peut se vanter, lui, d’être le quatrième site le plus visité au monde. Enfin Xiaomi, le dernier arrivé, est déjà le quatrième producteur de smartphones au monde.

Longtemps portés par l’importance de leur marché intérieur, ces entreprises sont en train de se muer en acteurs innovants internationaux, capables à terme de concurrencer leurs homologues occidentaux sur les technologies les plus futuristes. Dans une conférence récente, WeChat a annoncé le développement d’une technologie de réalité virtuelle. Et le groupe planche sur des services de reconnaissance faciale ou vocale grâce à l’intelligence artificielle.

Alors que les BATX ont commencé à lancer des offres sur le marché européen, il est temps de s’intéresser à ces nouveaux géants du numérique.

Florent Detroy (@florentdetroy)

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