A. Gressier (La Redoute) : "Une transformation digitale, ce n’est jamais terminé"
Décideurs. Quel est votre rôle au sein de La Redoute ?
Ambroise Gressier. J’ai rejoint le groupe en 2014. À l’époque il était déjà engagé dans une réflexion pour transformer le VADiste, une entreprise de vente à distance centrée autour du catalogue, en une véritable entreprise de e-commerce. La transformation reposait sur trois piliers : D’abord, il fallait rompre avec le catalogue, qui figeait l’offre autour de deux publications par an. Il y avait également un enjeu financier au-delà de cette rupture, car le catalogue coûtait de l’argent. Une importante mutation des équipes marketing s’imposait, pour qu’elles travaillent davantage sur le site, qu’elles l’animent, puissent y créer du contenu...il s’agissait de l’aspect le plus profond de cette transformation. Ensuite, il a fallu fluidifier l’offre du site. Nous avons créé par exemple des “capsules produits”, qui permettent de renouveler l’offre en cours de saison. Nous avons également fait de notre site une market place, une plateforme de e-commerce où d’autres vendeurs peuvent publier leurs offres. Enfin, nous avons travaillé sur la qualité des services proposés à nos clients, notamment sur la logistique. L’objectif était de produire les livraisons le plus rapidement possible, pour livrer les commandes quasiment au fil de l’eau.
La reprise en 2014 du groupe par ses dirigeants a-t-elle constitué une rupture dans cette transformation en un site de e-commerce ?
Le site internet était déjà en place en 2014, et générait déjà la majorité des commandes. Mais à partir de 2014, le site est effectivement devenu central dans la stratégie du groupe. Les métiers du marketing ont évolué, d’une logique d’animation autour du catalogue à une logique de création de trafic sur notre site e-commerce, et d’optimisation de l’expérience client. Notre virage numérique a demandé de faire appels à de nouveaux métiers, comme celui de traffic manager, ou de web analystes. Il a fallu nous équiper et former les équipes pour mesurer et analyser les parcours des clients sur notre site, et comprendre ce qui les amenait à passer une commande ou, au contraire, à interrompre leur navigation.
"Notre virage numérique a demandé de faire appels à de nouveaux métiers, comme celui de traffic manager, ou de web analystes"
Comment la stratégie du groupe a-t-elle orienté le choix des nouveaux outils informatiques ?
Historiquement, la Redoute était assez décentralisée, et plusieurs sites e-commerce cohabitaient. Un des projets a été d’unifier les sites e-commerce sur une plate-forme unique, plus performante et plus évolutive. Puis nous avons intégré des outils externes comme Dynatrace ou Omniture, qui permettent de mesurer le trafic ou le taux de conversion. Ces outils nous permettent également de piloter la performance technique de nos pages, par exemple les temps de chargement.
Comment la stratégie du groupe a-t-elle orienté le choix de l’ERP ?
Le choix de l’ERP a été guidé par l’héritage technologique très obsolète du groupe. Le groupe fonctionnait avec un mainframe central, qui hébergeait pratiquement toutes les fonctions et applications. Ce n’était pas adapté, l'infrastructure devenait de plus en plus lourde et coûtait cher à exploiter et à maintenir. Depuis 2014, nous en avons développé une nouvelle. Nous avons choisi quelques progiciels, avec Nodhos de SEI par exemple pour la gestion de notre offre produits. Nous avons aussi choisi de développer nos propres solutions pour certaines de nos briques applicatives. Il a surtout fallu être pragmatique, et décider sur quelles applications nous voulions être totalement libres de nos mouvements. C’est bien de notre site web en particulier.
Quel bilan dressez-vous aujourd’hui de la transformation digitale lancée depuis 2014 ?
Une transformation digitale, ce n’est jamais terminé. Nous sommes encore en train de nous débarrasser de nos systèmes historiques. La prochaine étape importante, ce sera l’arrêt du mainframe. C’est une question de mois. Une autre grande étape sera le passage de notre site sur le cloud. Cela devrait arriver d’ici 18 mois. L’objectif de cette migration est de nous permettre de nous focaliser sur l’applicatif, tout en réduisant les coûts d’exploitation, grâce au modèle économique du Cloud. Cela nous apportera de l’agilité et de la souplesse. Il faudra également apprendre à tirer le meilleur parti des autres fonctionnalités offertes par le Cloud, comme la scalabilité, en adaptant nos applications.
Est-ce que vous réfléchissez déjà à une nouvelle phase de votre transformation, et quelles nouvelles solutions contiendrait-elle ?
Nous connaissons déjà certaines briques technologiques que nous voulons développer. Nous étudions la mise en place progressive d’une architecture orientée événements, qui permet de développer des micro-services. L'intérêt de ces micro-services, c’est qu’il est possible de les faire évoluer de manière presque indépendante, donc en réduisant les risques d’impact sur d’autres composants, et donc en réduisant la charge de tests de non-régression. Cela nous assure une certaine flexibilité. Nous utiliserons notamment des outils comme Kubernetes et Kafka.
Avez-vous développé en parallèle une stratégie data ?
Nous avons un CDO depuis 3 ans. Il occupe une place très importante chez nous, et est directement rattaché à la direction générale du groupe. Mais nous partions de loin, car nous avions peu de culture data. Il a fallu intégrer de nouveaux outils, comme Google Cloud BigQuery, et donner un large accès à la data, avec l’utilisation de Power BI. Nous avons ainsi constitué des datasets (jeux de données) à partir des différentes applications métiers. Cette transformation nous a permis de changer profondément la culture et l’organisation de plusieurs équipes, en leur permettant de s’appuyer sur des données tangibles pour le pilotage de leur activité. Nous avons également mis en place une cellule “promesse client”, chargée de vérifier que les commandes des clients sont correctement traitées jusqu’au bout. L’équipe a ainsi recueilli toutes les informations produites par le système, de la commande jusqu’à la livraison, afin de veiller à ce que tout se passe bien et à intervenir en cas de problème. Pour utiliser de manière plus efficace encore la donnée, nous nous sommes associés avec différentes start-up par exemple pour améliorer la personnalisation du parcours client, avec entre autres des recommandations de produits liées au profil du client.
"Nous partions de loin, car nous avions peu de culture data"
DSI et CDO travaillent-ils ensemble ?
Le rôle de chacun a évolué avec le temps. Pendant longtemps, une partie des équipes de la DSI travaillait aussi sur la donnée. Cet équilibre a évolué depuis, notamment avec l’arrivée du CDO. L’enjeu principal aujourd'hui, c’est que les métiers continuent à s’approprier les questions digitales, que l’IT et la data ne soient pas uniquement gérées par les équipes spécifiques. Il faut que les métiers comprennent que l’IT et la data sont au cœur de leur activité, et que nous les aidions à les utiliser et à les maîtriser.
Quelle est la prochaine étape pour augmenter l’agilité du groupe ?
Nous avons mis en place des “feature teams”, des équipes en charge de domaines spécifiques, comme la navigation sur le site qui sont composées de 8 à 10 personnes, issues de métiers transverses, afin que chacun comprenne les contraintes techniques de l’autre et que l’équipe puisse avancer rapidement sur son terrain de jeu. Nous avons des équipes dédiées sur le check-out, sur l’application mobile. Ces équipes établissent leur propre roadmap, et fonctionnent en mode agile pour livrer des évolutions de manière continue sur leur périmètre.
Propos recueillis par Florent Detroy