À la tête de la Mission French Tech, Clara Chappaz est aux premières loges pour constater que le monde des startups est majoritairement masculin. Si certaines initiatives féminisent le secteur, la parité reste encore un horizon lointain, notamment chez les CEO.

Décideurs. Si trois femmes dirigent un groupe du CAC40, aucune n’est à la tête des 40 plus gros groupes de tech en France. Comment l’expliquer ?

Clara Chappaz. La grande majorité des dirigeants de start-up possèdent un profil d’ingénieur, de développeur, de financier. Soit des domaines dans lesquels les femmes sont sous-représentées. Les plus gros groupes de tech se distinguent par leur capacité à lever des fonds et l’univers du capital-risque est, lui aussi, encore majoritairement masculin. Le profil académique et l’accès aux fonds constituent de fait des freins qui conduisent les femmes à s’autocensurer. Ajoutons que le monde de la tech est en mutation constante. Les équipes, les business models, les technologies changent à toute vitesse, ce qui peut pénaliser les femmes lorsqu’elles prennent leur congé parental. Tous ces facteurs créent des biais inconscients qui empêchent de nombreuses femmes de percer. Je tiens tout de même à préciser qu’il n’y a pas forcément à se féliciter que moins de 10 % des PDG du CAC40 soient des femmes.

Pour changer les choses, la Mission French Tech a mis en place un Pacte Parité. Que contient-il ?

Ce pacte signé l’an dernier par plus de la moitié des entreprises du French Tech 120 prévoit plusieurs mesures concrètes : atteindre un seuil de 40 % de femmes dans les boards à l’horizon 2028, mieux accompagner les retours de congé parental, former tous les managers à la question de la diversité. Enfin, le pacte garantit que toutes les fiches de postes soient rédigées de manière à ce qu’elles s’adressent autant à un public féminin que masculin. Cela peut paraître cosmétique mais voir écrit "développeur" ou "codeur" sur une annonce de recherche d’emploi amène des biais qui contribuent à ce que moins de femmes postulent.

"Si les choses changent lentement, elles vont tout de même dans le bon sens"

Êtes-vous optimiste pour la suite ?

Oui. Si les choses changent lentement, elles vont tout de même dans le bon sens. Les femmes sont de plus en plus nombreuses à se lancer dans l’aventure de CEO. Une étude menée par le BCG et Sista montre qu’en 2020 la part de startup fondées par des équipes féminines ou mixtes est de 21 %, ce qui est certes peu mais représente une hausse de quatre points en un an. Le secteur des fonds, lui aussi, se féminise à vitesse grand V, permettant par ricochet, aux femmes de réaliser des tours de table de plus en plus importants, ce qui devrait donner la possibilité à certaines de diriger de grands groupes à moyen terme. Parmi les levées "féminines" importantes, je songe notamment à Éléonore Crespo, cofondatrice et co-CEO de Pigment qui a récolté 60 millions d’euros en deux tours ou à Quitterie Mathelin-Moreaux et Emmanuelle Fauchier-Magnan de Skello qui ont levé 40 millions d’euros en 2021.

En somme, les femmes ont elles aussi des role models…

Tout à fait, aussi bien dans les CEO, dans le capital investissement, le droit des affaires. Une jeune fille peut désormais observer que les femmes sont capables de faire preuve d’innovation, d’esprit d’entreprise, d’audace, de maîtrise technologique, autant de valeurs qui ne sont pas l’apanage de l’homme. Elles ont également tendance à être solidaires. Ce phénomène est mondial et, dans certains pays comme le Maroc, l’Inde, la Malaisie, il existe déjà une parité chez les jeunes qui étudient la tech.

Propos recueillis par Lucas Jakubowicz

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