Guillaume Avrin, nouveau coordinateur de la stratégie nationale pour l’intelligence artificielle, a repris le flambeau en janvier 2023. Selon lui, la compétitivité française rime avec confiance, frugalité et formation de professionnels de l’IA.

Décideurs. Depuis 2018, la stratégie en matière d’IA s’attache à déployer la collaboration inter-acteurs de l’écosystème et la mise en place d’infrastructures techniques. Quel est votre mot d’ordre ?

Guillaume Avrin. Ma prise de poste en janvier a lieu quelques mois après le lancement de la deuxième phase de la stratégie nationale en matière d’IA. Ses priorités reposent sur la formation à l’IA et la diffusion de l’IA dans l’économie. La politique industrielle que nous menons se soucie autant de l’offre que de la demande. Les solutions d’IA développées en France ont vocation à être exportées mais aussi à répondre au besoin d’automatisation de notre économie et société.

Plusieurs dispositifs de financement soutiennent le tissu industriel. Nous attachons une attention particulière aux consortiums porteurs de technologies d’IA embarquée et de confiance, c’est-à-dire fiables, robustes, résilientes, sécurisées, et même explicables lorsque cela est nécessaire. Il est également essentiel de favoriser la frugalité de ces technologies, et donc, d’assurer leur sobriété énergétique et en données.

"Développer de l’IA pour de l’IA n’a pas de sens"

Nous accompagnons aussi bien des leaders de marché comme Thales, EDF ou Valéo, que des pépites, ETI et PME qui se concentrent sur des briques spécifiques d’IA. Il est à noter que nous disposons déjà de PME positionnées sur les différents axes de la stratégie nationale en IA. Pour ne donner que quelques exemples, nous pouvons citer Datakalab pour l’IA embarquée, Kereval ou Giskard pour l’IA de confiance, et MyDataModels pour l’IA frugale. Développer de l’IA pour de l’IA n’a pas de sens. L’objectif est de répondre à une demande, à un besoin d’automatisation, afin d’accompagner, par exemple, avocats et médecins dans leurs tâches.

Par quels moyens accompagnez-vous le tissu industriel ?

Sur le volet dit « deep tech » de la stratégie nationale en IA, les dispositifs se répartissent selon les trois caractéristiques de l’IA : embarquée, frugale, de confiance. En matière d’IA embarquée, l’appel à projets "Maturation technologique et démonstration de solutions d’IA embarquée" est déjà ouvert et vise à faire monter en gamme l’offre française sur les cas d’usage les plus prometteurs. Pour ce qui est de l’IA de confiance, un "Grand défi" dédié au sujet développe notamment une chaîne outillée pour le développement sûr des systèmes d’IA. L’enjeu est à présent de démontrer notre capacité à mettre au point des systèmes fonctionnels critiques intégrant de l’IA de confiance, ce qui fera l’objet d’annonces prochaines.

Enfin, le volet "Démonstrateurs d’intelligence artificielle dans les territoires" de l’appel à projets "Territoires intelligents et durables" vise à développer et mettre en oeuvre pour la transition écologique des territoires des applications de science des données et d’IA frugales.

Dans la lignée des objectifs de France 2030, des subsides de 700 millions d’euros soutiendront la formation à travers des appels à manifestation d’intérêt "Compétences et métiers d’avenir" opérés par la Caisse des dépôts et l’Agence nationale de la recherche. Institutions, écoles et autres centres d’excellence pourront proposer de nouvelles formations pour massifier l’offre en IA.

"Dans la lignée des objectifs de France 2030, des subsides de 700 millions d’euros soutiendront la formation à l’IA"

Concrètement, quels seraient les fruits de cet effort de formation ?

À horizon 2030, l’IA pourrait jouer un rôle dans la plupart des métiers. Dès maintenant, il faut inculquer un impératif de frugalité et former, en plus des futurs experts se consacrant au développement des IA, ce qu’on appelle les "IA + X", où, en l’occurrence, le "X" correspond au métier dont le quotidien s’appuiera sur des applicatifs d’IA. On pourra alors envisager, par exemple, des médecins déjà formés au double diagnostic en complément d’une IA. Et mieux préparer nos forces vives aux métiers d’avenir qui se dessinent dès à présent.

Le règlement européen AI Act entrera en vigueur début 2025. Quels effets aura-til sur la compétitivité française ?

Les plus pessimistes redoutent une perte de compétitivité. C’est un écueil possible lors de toute complexification du cadre législatif. Cependant, ce n’est pas ma vision, ni celles des industriels avec lesquels j’ai pu échanger. Ces derniers savent qu’ils gagnent à s’intégrer à un cadre de confiance.

Prenons un exemple dans le domaine de la santé : les dispositifs médicaux avec de l’IA embarquée sont concernés par l’AI Act, la future réglementation européenne sur les IA à haut risque. En cas de problème avec le dispositif, si une certification réglementaire n’enlève pas toute responsabilité du développeur, elle constitue une circonstance atténuante devant un juge. Elle prouve que le développeur a rempli une obligation de moyen dans le cadre de la commercialisation de son produit. Aujourd’hui, parce que nous avons accumulé une expertise sur l’IA de confiance, la France est bien positionnée en matière de capacité d’évaluation. Cette expertise favorise la montée en compétences des acteurs traditionnels de l’évaluation de conformité afin qu’ils puissent couvrir les nouvelles exigences associées à l’IA.

Propos recueillis par Alexandra Bui

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