Empire des vins et spiritueux, Pernod Ricard intègre en son sein quelque 240 marques. Du petit jaune au champagne Mumm en passant par le rhum Havana Club, les stratégies de visibilité sont aussi multiples que le nombre d’enseignes. Zoom avec Antoine Genot, directeur monde de l'efficacité marketing du groupe.
Antoine Genot (Pernod Ricard) : "La data science booste la créativité"
Décideurs. De quelle façon l’IA et les outils de collecte et d’analyse de données vous permettent-ils de maximiser votre modèle de vente ?
Antoine Genot. Il y a trois ans, nous avons mis en place un modèle complètement internalisé de marketing mix modeling (MMM) [méthode d’évaluation du retour sur investissement (ROI) des actions marketing et média en vue de leur optimisation, Ndlr]. Les outils classiques de MMM sont relativement manuels. Les data analyst vérifient les meilleurs modèles et courbes en fonction des clients et marchés. Pour aller plus loin, notre programme de traitement de données baptisé Matrix se fonde sur du machine learning afin de simuler dans un temps record des scénarios d’optimisation des plans média. Une méthode précieuse pour recueillir des données fiables, faciles à scaler et à déployer sur plusieurs territoires.
Si notre large portefeuille de marques constitue un avantage compétitif sur le marché, élargir leur notoriété sur la durée et déclencher l’achat représente un défi de taille. Des États-Unis à la Chine, les habitudes des consommateurs, les stratégies de go-to-market et les spécificités légales diffèrent. Nos proof of concept, déjà lancées au Japon et en Allemagne, seront ainsi progressivement adaptées à douze autres pays.
Concrètement, comment la plus-value de ces outils se traduit-elle ?
Par exemple, au moment des recrudescences de contaminations à la Covid-19 en Chine, les confinements inopinés rendaient les affichages dans les rues superflus. Les plans marketing ont alors été touchés par l’obsolescence programmée. Autre exemple aux États-Unis, où le whiskey Jameson constitue notre deuxième business en marque marché. Pour récupérer des parts de marché au Texas ou en Floride où la marque était challenger, Matrix a permis de simuler l’effet d’un investissement supplémentaire en communication télévisée. Après le recalibrage de nos publicités, des résultats concrets en termes de ventes additionnelles et de ROI ont été constatés.
"La data nous offre une finesse dans la compréhension de nos cibles"
En parallèle, notre outil Extract recueille de la donnée en continu pour renforcer le patrimoine de Pernod Ricard. Cela nous permet d’être moins dépendant des agences avec lesquelles nous travaillons et d’avoir un bien meilleur partage d’information en interne tout en gardant un historique.
Comment s’assurer d’employer des méthodes marketing dans l’air du temps ?
L’histoire de Pernod Ricard s’est construite avec une première génération de marketeurs très créatifs, innovants et intuitifs tels que Paul Ricard qui allait à la rencontre des professionnels dans les cafés, bars et restaurants. Puis, il y a eu une deuxième révolution du marketing via le digital et la data. Aujourd’hui, la troisième génération de marketeurs associe performance et créativité, ce qui la motive à casser les mythes au quotidien. Ainsi, nous avons tendance à penser que la génération Z ne regarde plus la télé. En réalité, ils le font autant mais consomment toujours plus de médias avec l’essor du digital. La pondération entre médias, digital et traditionnel, constitue donc une clé. La data nous offre cette finesse dans la compréhension de nos cibles, ce qui permet aux marketeurs d’être plus agiles et créatifs.
Quelles sont les clés pour garantir une performance marketing sur le long terme selon vous ?
L’adoption de différents outils par le marketeur est un vrai sujet. Pour certains, le MMM est une opportunité, pour d’autres, une menace. À mon sens, la data science booste la créativité. La formule E = mc2, pour "effectiveness = MMM multiplié par la créativité au carré", est un véritable crédo. L’un des enjeux vise à former des marketeurs beaucoup plus critiques. Pour cela, il faut leur prouver l’aide conférée par la donnée, notamment utile pour comprendre finement le succès ou l’échec de certaines ventes et campagnes publicitaires. Pour le reste, il s’agit de faire le tri entre ce que l’algorithme propose, en se basant notamment sur les recettes passées, et les informations que détient le marketeur sur l’activité de la concurrence et les supports qu’il va développer sur sa marque. En somme, tenir compte de ce qui est factuel et a fonctionné par le passé tout en ayant une vision stratégique et critique sur le futur.
Par ailleurs, la création in house de nos algorithmes nous permet d’expliquer leur fonctionnement de manière transparente et pédagogique à un haut niveau de granularité. En plus de pouvoir proposer de nouvelles fonctionnalités pour simplifier et transformer notre organisation, cela nourrit les ambitions de croissance du groupe. Ce one-stop-shop pour la prise de décision assure ainsi la pérennité du business model de l’entreprise.
Propos recueillis par Léa Pierre-Joseph