Propriété intellectuelle en pixels, les opportunités et défis des marques dans l’univers des métavers et NFT
Le terme "métavers" apparaît pour la première fois dans le roman de science-fiction "Snow Crash" de Neal Stephenson publié en 1992, mais les technologies numériques ne commencent véritablement à émerger que dans les années 2000 avec l’explosion d’Internet. Ce sont surtout les avancées techniques dans les domaines de la réalité virtuelle (VR) et de la réalité augmentée (AR) ces deux dernières années qui permettent de créer des environnements numériques plus immersifs et interactifs et de favoriser ainsi l’essor des métavers. En parallèle, l’émergence des NFT ajoute une dimension économique aux métavers.
Ces mondes virtuels en 3D offrent de nouvelles opportunités pour les marques. Les entreprises peuvent en effet utiliser les métavers comme plateformes de marketing pour promouvoir leurs marques, atteindre un public mondial sans les limitations géographiques d’une boutique physique et renforcer leur notoriété, tout en créant une expérience immersive et interactive unique qui engage les consommateurs d’une manière innovante. Cela permet également de collecter des données précieuses sur les préférences et les comportements des utilisateurs.
Plusieurs entreprises françaises, telles que LVMH, Renault, Adecco ou encore la Société générale, ont embrassé les opportunités offertes par les métavers. Ainsi que l’a affirmé à l’AFP, Eric Hazan, associé au sein de McKinsey, à l’occasion du salon Vivatech, dont l’édition 2022 était justement consacrée aux métavers: "Les entreprises sont en train de s’armer : les grands du jeu vidéo, les grands de la technologie mais aussi les grandes marques qui ne veulent pas rater ce train-là".
"Les entreprises doivent cependant relever un certain nombre de défis pour naviguer avec prudence dans ce nouvel eldorado numérique"
Les métavers étant des espaces ouverts, il existe un risque important d’utilisation non autorisée de droits de propriété intellectuelle par des tiers. La contrefaçon est une préoccupation croissante dans les espaces numériques en général, et il n’est pas surprenant qu’elle fleurisse également dans les métavers. Ces mondes virtuels ne doivent pas pour autant être considérés comme une "zone de non-droit" et il est essentiel que les entreprises, les créateurs et les propriétaires de marques restent vigilants et adoptent des mesures proactives pour surveiller et protéger leurs signes distinctifs et leurs créations dans les métavers. Pour se prémunir des atteintes, les entreprises peuvent développer leur propre présence dans les métavers afin de surveiller directement l’utilisation de leurs signes distinctifs et d’interagir avec les utilisateurs pour promouvoir et protéger leur image de marque.
Toutefois avant d’exploiter leurs marques dans les métavers, créer et vendre des NFT, les entreprises doivent s’assurer qu’elles disposent d’une protection adéquate de leurs signes distinctifs pour pouvoir évoluer dans ces univers virtuels et, à défaut, mettre en place une stratégie de dépôts complémentaires visant à couvrir les catégories de produits et services virtuels concernés. Plus concrètement, les entreprises ont tout intérêt à faire réaliser par leurs conseils en propriété industrielle un audit de leur portefeuille de marques pour vérifier que leur champ de protection couvre bien les classes de produits et services concernés, à savoir les classes 9 (produits virtuels téléchargeables), 35 (services de vente de produits virtuels) et 41 (services de divertissement destinés à être utilisés dans des environnements virtuels). Faute de protection, il conviendra d’étendre la protection à ces catégories de produits et/ou services par le biais de nouveaux dépôts de marques auprès des offices de propriété intellectuelle concernés, tels que, par exemple, l’INPI pour la France et/ou l’EUIPO pour l’UE.
Il est également conseillé aux titulaires de marques de mener une revue des contrats, et en particulier des contrats de licence de marque, pour s’assurer que l’usage autorisé de leurs marques est bien adapté au monde virtuel, et de prendre ces aspects en compte dans la rédaction des futurs contrats afin d’éviter que les usages de marque dans les métavers ne risquent d’être qualifiés de contrefaçon.
"La plateforme d’achat et de vente de NFT OpenSee estimait, en janvier 2022, que plus de 80 % des œuvres numériques créées gratuitement sur la plateforme étaient de la contrefaçon"
Pour lutter contre la contrefaçon, les entreprises peuvent établir des partenariats entre elles et/ou avec les exploitants des métavers pour mettre en place des mécanismes de signalement et de résolution des problèmes liés à l’utilisation de leurs marques. Ces partenariats peuvent permettre une action plus rapide et plus efficace en cas d’infraction. Par exemple, en s’associant, LVMH, Prada, Cartier et OTB Group ont créé le consortium "Aura Blockchain", une plateforme sécurisée qui assure une meilleure traçabilité des produits vendus. Ces marques historiquement concurrentes utilisent la même technologie NFT qui génère un certificat pour chaque produit, permettant de garantir son unicité et d’inscrire dans la Blockchain toutes les données relatives au produit. La technologie NFT est également
la méthode choisie par de nombreuses entreprises, pour protéger leurs produits et leurs investissements dans les métavers.
Les NFT et la technologie blockchain ne permettent pas pour autant d’échapper à la contrefaçon. En effet, lorsque les NFT sont offerts à la vente par les titulaires de marques et/ou créateurs eux-mêmes, ils offrent une forte garantie d’authenticité. Mais si le produit ou l’œuvre authentifiée par un NFT porte atteinte à des droits de propriété intellectuelle de tiers, le vendeur et/ou l’acquéreur s’exposent à des actions en contrefaçon.
Parmi les cas de contrefaçon les plus commentés, citons notamment l’affaire Métabirkin opposant l’artiste américain Mason Rotschild à la maison Hermès au terme de laquelle la Cour de District Sud de l’État de New York a caractérisé, par une décision très attendue du 8 février 2023, la contrefaçon de marque pour avoir créé et mis en vente une série de cent NFT reprenant le sac Birkin emblématique de la marque et a condamné l’artiste au paiement de 133000 dollars de dommages et intérêts sur le terrain de la contrefaçon et du cybersquatting, refusant de faire primer la liberté d’expression invoquée par l’artiste sur les droits de propriété intellectuelle. Ainsi que le relève le Journal du Luxe, si, aux débuts de l’affaire, Hermès avait évoqué le fait de ne pas avoir encore lancé ses propres NFT ni fait de ces derniers une priorité, "la griffe semble depuis avoir fait du chemin". Elle a d’ailleurs déposé une marque en classes 9, 35 et 41 auprès de l’office américain (USPTO) en vue du développement d’applications métavers et NFT.
Pour préserver leurs droits, les entreprises peuvent aussi avoir recours à des outils de surveillance développés spécifiquement pour détecter l’utilisation non autorisée de leurs signes distinctifs dans les métavers. Ces outils utilisent des technologies de reconnaissance d’image et de texte pour analyser les contenus et les interactions dans les métavers et signaler toute violation potentielle. Il est recommandé d’étendre cette surveillance aux marchés virtuels et aux échanges de NFT au travers d’outils de recherche de mots-clés et de suivi des ventes pour identifier les NFT contrefaits ou les produits virtuels portant atteinte aux marques.
Enfin, il est important que les entreprises veillent à sensibiliser les utilisateurs des métavers à l’importance du respect des droits de propriété intellectuelle, notamment par le biais de campagnes de sensibilisation, de guides de bonnes pratiques ou de règles d’utilisation claires. En attendant que les législations évoluent, les entreprises peuvent ainsi surveiller de plus près l’utilisation de leurs marques dans les métavers et prendre les mesures appropriées en cas d’infraction
SUR L’AUTEUR
Émilie Artuphel est conseil en propriété industrielle, spécialisée en marques et dessins & modèles. Elle a rejoint en janvier 2022 le cabinet Gevers & Ores, appartenant au groupe franco-belge Gevers, situé au cœur de l’Europe et qui intervient dans le domaine de la propriété intellectuelle depuis 125 ans. Après plus de 15 ans dans des cabinets de conseils et au sein de départements juridiques de grandes entreprises, Émilie Artuphel a développé une expertise dans les domaines de l’acquisition, la protection et la défense des droits de propriété intellectuelle, et en particulier des marques, avec un focus particulier dans le secteur du Luxe. Au sein du cabinet Gevers & Ores, elle conseille et accompagne ses clients sur les stratégies et litiges en matière de propriété intellectuelle et intervient également en matière contractuelle.