Dans leur transformation digitale, les entreprises multiplient les POC ("Proofs of concept"). Mais à quelles fins ? Fabrice Asvazadourian, membre du comité exécutif de Sopra Steria et CEO de l’entité conseil Sopra Steria Next explique comment sortir de cette malédiction des POC.

Décideurs. En matière de transformation digitale, quels défis affrontent les grandes entreprises aujourd’hui ? 

Fabrice Asvazadourian. Aujourd’hui, les décideurs ont parfaitement conscience que les entreprises qu’ils dirigent doivent se transformer plus, et plus vite, pour faire face aux multiples disruptions. Pour créer une véritable accélération dans leur transformation, ils doivent aborder conjointement des sujets business et tech, avec des nouvelles technologies – l’IA, le cloud ou encore la blockchain – qui évoluent très vite en créant de nouvelles opportunités business.

Le premier défi à relever pour les grandes entreprises, c’est de tenir compte de leurs systèmes existants, et d’identifier les applications qui sont vouées à être hybridées, modernisées, ou même abandonnées. Nos consultants "architectes d’entreprise", qui conçoivent les systèmes d’information, aident nos grands clients à construire les ponts entre le "legacy", les systèmes d’information existants de l’entreprise, et le "new", ceux à déployer. Avec cette approche, ils démêlent la complexité liée à la sédimentation des couches technologiques successives.

"Il faut identifier les applications qui sont vouées à être hybridées, modernisées, ou même abandonnées"

Parmi vos éléments différenciateurs, vous parlez de consultants "business & tech". Qu’entendez-vous par ce terme ?

De plus en plus d’entreprises comprennent l’intérêt d’allier business et technologie dans leurs réflexions stratégiques. Les deux doivent se parler. La technologie crée des disruptions. Charge aux métiers de s’emparer pour saisir des opportunités business. En même temps, seul un raisonnement solide en termes de métier peut justifier un investissement dans de nouvelles solutions technologiques. On voit trop souvent encore des solutions technologiques déployées qui cherchent la valeur métier qu’elles sont supposées apporter.

Avec plus de 2 000 consultants business spécialisés par industrie et 1 000 consultants tech, les équipes Sopra Steria Next accompagnent nos clients sur de grands projets de transformation digitale. Cela nous amène souvent, à travers ce double regard, à fluidifier la communication entre tous les acteurs du projet. Ce positionnement, qui, dès son origine reposait sur l’équilibre entre business et tech, fait la force de notre cabinet. Ainsi, nos consultants, spécialistes métiers et business sont tous formés aux nouvelles technologies. A contrario, nos consultants tech sont formés aux grands enjeux métiers et aux processus clés de nos principaux secteurs d’activité.

Qu’appelez-vous la "malédiction des POC" ( "Proof of Concept") ? 

Les entreprises les plus avancées ont conscience de ne plus pouvoir se contenter de multiplier les POC, c’est-à-dire de multiplier les expérimentations pour démontrer les bénéfices d’un projet, avant de le déployer à l’échelle de toute l’entreprise. À la place, elles nous demandent comment sortir de la "POC-mania" et de la frustration qu’elle génère auprès des dirigeants. Elles doivent trouver le bon équilibre pour libérer la créativité des équipes et simultanément s’assurer que les POC démontrant une valeur business pourront passer à l’échelle sans écueil. Ainsi, les investissements seront rentabilisés. 

Il est indispensable de penser en amont le déploiement à l’échelle des POC. Dès les prémices du projet, nos consultants veillent à identifier et anticiper les exigences de ce passage à l’échelle, qu’elles soient techniques, déontologiques, de souveraineté ou encore relatives à l’acculturation et l’embarquement des collaborateurs. Cela doit être une dimension clé pour valider un POC.

Quelle est votre recommandation pour sortir de cette ornière ?

En matière de POC, les dirigeants gagneraient tout d’abord à créer une culture positive de l’échec. Dans ces démarches, le plus important est de savoir stopper ou réorienter le plus tôt possible. Une majorité des entreprises dépense tellement d’énergie à valider le lancement d’un nouveau POC qu’elles n’osent pas tout de suite admettre l’échec. C’est le rôle du dirigeant d’aider ses équipes à accepter, dès que c’est nécessaire, la suspension du POC. 

"Les dirigeants gagneraient à créer une culture positive de l’échec" 

Pour la minorité de POC validés, la phase d’industrialisation est particulièrement délicate. Trop souvent, les entreprises accordent moins de temps et d’énergie au passage de témoin destiné aux équipes de "run" des projets. Or, c’est un facteur clé de succès pour le déploiement des POC, dont plus de managers bénéficieraient à se saisir. Pour un dirigeant de grands groupes, rien n’existe tant que le déploiement et l’utilisation effectifs, par les clients ou les employés, ne sont pas sécurisés.

Selon vous, comment évolue l’engagement des dirigeants par rapport à la transformation digitale ?

Les dirigeants ont été habitués à penser à des horizons de 3 à 5 ans. Il est désormais indispensable de combiner le temps long et un temps plus court. Concernant leur transformation digitale, nos clients nous posent souvent la question : "Que dois-je avoir sécurisé d’ici à 12 mois pour gagner ou conserver mon coup d’avance ?" À la fin des douze mois, voire dix-huit, il convient de constater ce qui a été réellement accompli et recaler sa feuille de route.

"Il est désormais indispensable de combiner le temps long et un temps plus court"

Cela influe également sur le métier du consultant. Le consultant ne se cantonne plus à imaginer le futur. Il doit y participer, en définir les implications, dessiner la trajectoire opérationnelle, en ayant une idée précise de la façon dont l’existant doit évoluer, pour s’articuler au mieux avec les nouvelles infrastructures informatiques et technologiques. Le tout, en s’assurant que son client reste obsédé par la vitesse du déploiement à l’échelle.

Nous recommandons à nos clients de compléter leur vision budgétaire en projetant, pour l’année à venir, les grands jalons à atteindre dans leurs priorités (ESG, techno, …). D’une part, c’est davantage porteur de sens pour la transformation de l’entreprise que la vision budgétaire. D’autre part, cela permet de mieux piloter
le déploiement des ressources associées à chaque jalon.

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