Par Romain Thiesset, avocat associé, Capstan Avocats
Le décret du 8 juillet 2014, relatif au caractère collectif et obligatoire des garanties de protection sociale complémentaire : une nouvelle pierre à l’édifice…

Le déficit des régimes légaux d’assurances sociales, de 16 milliards d’euros en 2013, est un fait. Comme l’a relevé la Cour des comptes, les efforts de réduction de ce déficit « marquent le pas ».

La volonté des pouvoirs publics de reporter le désengagement de l’État sur les employeurs est un autre fait. Il suffit pour s’en convaincre d’énumérer les obligations des employeurs en matière de protection sociale des salariés, toujours plus nombreuses. En dernier lieu, la loi du 14 juin 2013 a consacré la généralisation de la couverture santé pour tous les salariés à effet, au plus tard, du 1er janvier 2016 (un décret ayant d’ailleurs été publié le 8 septembre 2014 afin de préciser le niveau de couverture minimale).

L’objet n’est pas de contester ou de critiquer le désengagement de l’État, ni la décision d’imposer aux employeurs de prendre son relais.

En revanche, une telle situation devrait obliger les pouvoirs publics à donner aux employeurs les moyens de faciliter cette transition et de participer à la mise en œuvre des nouveaux modes de financement de la protection sociale en France. Mieux, elle impose de concéder aux employeurs des contreparties, qui, exprimées simplement, doivent prendre la forme d’un régime social et fiscal de faveur.

Certes, ce régime social et fiscal de faveur existe : les contributions patronales au financement de ces régimes de protection sociale complémentaire peuvent être exonérées de cotisations de sécurité sociale et d’impôt sur le revenu.

Toutefois, ce régime est sérieusement remis en cause, ce dont a témoigné la décision du législateur, en décembre 2013, de réintégrer dans le revenu imposable des salariés la contribution patronale au financement des garanties frais de santé.

En outre, les limites et, surtout, les conditions d’exonération sont trop restrictives et trop nombreuses pour favoriser la mise en place des régimes. Pire, la modification incessante de ces conditions, parfois plusieurs fois au cours d’une même année, créent une insécurité juridique que les employeurs ne veulent pas supporter. Et on ne saurait leur donner tort, malheureusement, au regard de la multiplication des redressements notifiés en la matière par les organismes de recouvrement et qui ont représenté en 2013 pas moins de 45 millions d’euros (redressements parfois fondés sur des règles qui ne sont pourtant pas visées par la loi au titre des conditions d’exonération !).

En dernier lieu, un décret du 9 janvier 2012, qui aurait dû simplifier les règles applicables, avait au contraire suscité de nombreuses interrogations et incertitudes. Il y était ainsi apporté une nouvelle définition du caractère collectif du régime, et de nombreuses modifications au caractère obligatoire de celui-ci (deux des principales conditions d’exonération). C’est notamment s’agissant du caractère obligatoire que ce décret limitait l’accès à certaines dispenses d’adhésion, à cette occasion réaffirmées, aux conditions dans lesquelles le régime est mis en place (certaines dispenses d’adhésion ne pouvant pas être prévues en cas de mise en place du régime par décision unilatérale, qui constitue pourtant le mode de mise en place récurrent dans les petites et moyennes entreprises).

La situation était telle qu’une circulaire en date du 25 septembre 2013 avait déjà annoncé un nouveau décret qui devait, comme cela est régulièrement promis en la matière, apporter les éclaircissements nécessaires. En l’attente, cette circulaire avait apporté certaines précisions, tout en créant de nouvelles interrogations. Notamment, cette circulaire précisait que tous les cas de dispense d’adhésion pourraient être prévus dans le cadre d’un régime mis en place par décision unilatérale, à la condition toutefois qu’il s’agisse d’une couverture santé (n’étaient ainsi pas concernées la couverture des risques lourds (incapacité, invalidité, décès), ni la retraite supplémentaire) !

C’est dans ce contexte qu’un nouveau décret a été publié le 8 juillet 2014…

Les modifications une nouvelle fois entreprises n’appelleront, pour la plupart, aucun commentaire particulier et ne présentent pas, pour les employeurs, un grand intérêt.

En revanche, ce décret décide finalement d’ouvrir de nouveau l’ensemble des cas de dispense d’adhésion à tous les régimes de protection sociale complémentaire, quel que soit le mode de mise en place (tant pis si, entretemps, de nombreux employeurs ont déjà mis en conformité leurs régimes, le cas échéant en expliquant à leurs salariés, désormais contraints d’adhérer au régime, que ces dispenses d’adhésion ne pouvaient plus être maintenues) !

La nouvelle règle n’est toutefois pas si séduisante… En réécrivant le texte, le décret du 8 juillet 2014 a également précisé que tous ces cas de dispense d’adhésion ne peuvent être prévus que « dans l’acte qui met en place les garanties concernées ». Lue strictement, cette disposition conduirait à interdire à un employeur, sans risquer un redressement, de prévoir un cas de dispense d’adhésion pour la première fois à l’occasion d’une modification, même mineure, du régime. Cette interprétation pourrait être confirmée par les dispositions du décret du 9 janvier 2012 qui apportaient déjà un éclaircissement sur la notion de « mise en place du régime », en précisant qu’il s’agissait de la première mise en place de la couverture, quelles que soient ses modifications ultérieures (à l’exception de la modification ayant pour objet la remise en cause du financement intégral, par l’employeur, du régime). Interprétation qui, toutefois, conduirait à remettre en cause les exonérations dont bénéficient jusqu’alors de nombreux salariés et employeurs, alors que des cas de dispense d’adhésion ont été ajoutés à l’occasion de modifications des régimes concernés…

Il convient de préciser également que le décret du 8 juillet 2014 impose l’existence d’une mention, au sein du document par lequel le salarié a fait part de son refus d’adhérer au régime (ce refus devant en effet être formalisé, afin d’en produire le justificatif à l’occasion d’un contrôle…), selon laquelle le salarié a été informé par l’employeur des conséquences de son choix. Le défaut de cette mention constituera bien entendu un nouveau motif de redressement.

Sous couvert d’un simple toilettage, le décret du 8 juillet 2014 entretient par conséquent les doutes et inquiétudes qu’ont les employeurs à l’égard de leurs régimes de protection sociale complémentaire.

Cette situation ne devrait pas s’améliorer au regard de nouveaux projets de décret, dont l’un prévoirait, en matière de frais de santé, une couverture maximale !

En conclusion, il est urgent pour les employeurs de se (ré)approprier le sujet de la protection sociale de leurs salariés. Pour les uns, il s’agira de mettre en place, conformément aux obligations récentes, un régime dont les conditions devront respecter et même anticiper des règles strictes d’exonération (en tenant compte des objectifs poursuivis par les pouvoirs publics, notamment de couverture uniforme). Pour les autres, il s’agira de réaliser, en urgence, un état des lieux des régimes existants, afin de les mettre en conformité tout en préservant l’utilité et la perception qu’ont les salariés de ces dispositifs.

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