Vingt-quatre heures dans la vie du célèbre pénaliste.
Une journée particulière avec... Éric Dupond-Moretti
Les cigarettes s’enchaînent, couvrant la salle prêtée par l’hôtelier d’un nuage de fumée rappelant l’atmosphère d’un film noir. En ce 31 octobre 2013 à Nancy, Éric Dupond-Moretti et sa collaboratrice Alice Cohen-Sabban répètent inlassablement la reconstitution de la « scène du crime » qui se tiendra à l’audience le lendemain. À lui le rôle du meurtrier, à elle celui de la victime. Avec la précision d’un légiste, chaque geste et chaque positionnement des corps est étudié jusqu’à obtenir une reconstitution parfaite de la scène. Le dîner livré par le room-service rapidement expédié, l’homme aux cent vingt-deux acquittements continue de revoir les moindres détails de sa plaidoirie du lendemain. « Alice part se reposer pendant que je continue à travailler le fond du dossier », explique-t-il.
Son client ? Le docteur Jean-Louis Muller, condamné deux fois à vingt ans de prison par les cours de justice de Strasbourg et Colmar. La Cour de cassation a annulé le dernier verdict et renvoyé l’affaire à Nancy pour un troisième procès d’assises. Le médecin légiste est accusé d’avoir tué sa femme, Brigitte Muller, retrouvée morte au domicile familial, et d’avoir maquillé son crime en suicide. Sollicité, l’avocat est rapidement et intimement convaincu de son innocence. Pour lui, la femme de son client a simplement mis fin à ses jours. Lors des précédents procès, aucune reconstitution n’a été organisée. Peu importe. « Acquittator », comme le surnomment ses confrères, convoque le lieu du drame dans l’enceinte de la juridiction de Meurthe-et-Moselle.
Il est 5h30 et le doux soleil balaie la salle du petit déjeuner. Après une douche et une consommation massive et alternée de caféine et de nicotine, le pénaliste se livre avec sa collaboratrice à l’ultime répétition tout en affûtant une dernière fois son argumentaire.
L’audience approche. L’adrénaline monte. « Je suis dans ma bulle et fais les cent pas. Je tourne en rond. Mon téléphone est coupé et je ne parle plus. Je me répète ma plaidoirie de la première à la dernière phrase. Une dernière cigarette dans les couloirs du palais… »
Rebondissement. Un gendarme apporte un nouvel élément à l’enquête. Il témoigne devant les juges que l’accusé avait, au moment de sa déposition auprès des autorités, les cheveux mouillés, ce qui laisse à penser qu’il s’était lavé après avoir effacé toutes traces. Silence général. La tension est palpable. Parole à la défense. Devant les jurés et l’avocat général, Éric Dupond-Moretti fait venir la table en forme de « L » de la scène de crime et place quatre piquets représentant les coins de la pièce.
L’avocat commence à plaider de sa voix rauque. La silhouette d’ours au regard de faucon se meut. « Les expertises balistiques, la disposition de la pièce, les différentes mesures et la répétition des gestes du crime nous permettent de démolir la thèse de l’avocat général. Jean-Louis Muller n’a pas pu tirer à bout touchant sur sa femme. »
La plaidoirie est intense, physique… À la fin, il dégrafe sa robe, éreinté. Sa chemise et ses cheveux humides après l’effort, le pénaliste se tourne vers son client, sourire en coin, et lance : « Et pourtant je n’ai pas pris de douche. »
Deux heures de délibéré et un paquet de cigarettes plus tard, le verdict tombe : acquitté. « C’est un moment magique qui représente à lui seul ce que les avocats attendent ». À cet instant-là, les enfants du médecin se lèvent et, tentant de rejoindre leur père, tombent dans les bras de l’avocat. «?Ils éclatent en sanglot. Et moi, je suis vidé. Livide. Je ne sais plus où je suis. Je suis KO, dans le même état qu’un boxeur après un combat. Pourtant il faut encore saluer la cour, surtout un jour d’acquittement. »
Le soir venu, avec quelques confrères, Éric Dupond-Moretti «?convoque Bacchus?» pour accompagner un lièvre à la royale. «?Après une telle audience, j’ai envie de dormir, mais je n’y arrive pas. Trop de tensions se sont accumulées dans mon corps.?»
Camille Drieu
Son client ? Le docteur Jean-Louis Muller, condamné deux fois à vingt ans de prison par les cours de justice de Strasbourg et Colmar. La Cour de cassation a annulé le dernier verdict et renvoyé l’affaire à Nancy pour un troisième procès d’assises. Le médecin légiste est accusé d’avoir tué sa femme, Brigitte Muller, retrouvée morte au domicile familial, et d’avoir maquillé son crime en suicide. Sollicité, l’avocat est rapidement et intimement convaincu de son innocence. Pour lui, la femme de son client a simplement mis fin à ses jours. Lors des précédents procès, aucune reconstitution n’a été organisée. Peu importe. « Acquittator », comme le surnomment ses confrères, convoque le lieu du drame dans l’enceinte de la juridiction de Meurthe-et-Moselle.
Il est 5h30 et le doux soleil balaie la salle du petit déjeuner. Après une douche et une consommation massive et alternée de caféine et de nicotine, le pénaliste se livre avec sa collaboratrice à l’ultime répétition tout en affûtant une dernière fois son argumentaire.
L’audience approche. L’adrénaline monte. « Je suis dans ma bulle et fais les cent pas. Je tourne en rond. Mon téléphone est coupé et je ne parle plus. Je me répète ma plaidoirie de la première à la dernière phrase. Une dernière cigarette dans les couloirs du palais… »
Rebondissement. Un gendarme apporte un nouvel élément à l’enquête. Il témoigne devant les juges que l’accusé avait, au moment de sa déposition auprès des autorités, les cheveux mouillés, ce qui laisse à penser qu’il s’était lavé après avoir effacé toutes traces. Silence général. La tension est palpable. Parole à la défense. Devant les jurés et l’avocat général, Éric Dupond-Moretti fait venir la table en forme de « L » de la scène de crime et place quatre piquets représentant les coins de la pièce.
L’avocat commence à plaider de sa voix rauque. La silhouette d’ours au regard de faucon se meut. « Les expertises balistiques, la disposition de la pièce, les différentes mesures et la répétition des gestes du crime nous permettent de démolir la thèse de l’avocat général. Jean-Louis Muller n’a pas pu tirer à bout touchant sur sa femme. »
La plaidoirie est intense, physique… À la fin, il dégrafe sa robe, éreinté. Sa chemise et ses cheveux humides après l’effort, le pénaliste se tourne vers son client, sourire en coin, et lance : « Et pourtant je n’ai pas pris de douche. »
Deux heures de délibéré et un paquet de cigarettes plus tard, le verdict tombe : acquitté. « C’est un moment magique qui représente à lui seul ce que les avocats attendent ». À cet instant-là, les enfants du médecin se lèvent et, tentant de rejoindre leur père, tombent dans les bras de l’avocat. «?Ils éclatent en sanglot. Et moi, je suis vidé. Livide. Je ne sais plus où je suis. Je suis KO, dans le même état qu’un boxeur après un combat. Pourtant il faut encore saluer la cour, surtout un jour d’acquittement. »
Le soir venu, avec quelques confrères, Éric Dupond-Moretti «?convoque Bacchus?» pour accompagner un lièvre à la royale. «?Après une telle audience, j’ai envie de dormir, mais je n’y arrive pas. Trop de tensions se sont accumulées dans mon corps.?»
Camille Drieu
