Entretien avec Pascal Bine, Olivier Diaz et Grégoire Bertrou.
Les décisions très récentes de la commission des sanctions de l’AMF dans les dossiers Faurecia et Air France-KLM attirent l’attention sur le pilotage du consensus des analystes et la communication en matière d'objectif de résultat. La communication tardive au marché d'une prévision présentée comme définitive ou du caractère irrémédiablement compromis d'un objectif est ainsi sanctionnée par l'AMF.


Décideurs. Pourriez-vous rappeler les termes des deux décisions ?
Pascal Bine.
Dans ses décisions Faurecia  et Air France-KLM, l'AMF rappelle avec fermeté certains principes bien établis en matière de communication financière. Premier principe : le pilotage des analystes financiers ne doit pas avoir pour effet de leur communiquer une information privilégiée mais se limiter à les aider dans leur travail de compréhension et de valorisation de l'entreprise. Second principe : un objectif irrémédiablement compromis (Air France-KLM) ou un écart acté par les instances dirigeantes de la société entre les prévisions financières internes et celles initialement communiquées au marché (Faurecia), constituent une information privilégiée qui doit être immédiatement communiquée.

Décideurs. Un émetteur ne doit donc pas communiquer aux analystes financiers des éléments d'information complémentaires à ceux communiqués au marché ?
Grégoire Bertrou.
C'est bien cela. Faurecia a communiqué sur le fait que sa marge opérationnelle 2012 se situerait dans une  fourchette comprise entre 610 et 670 millions d'euros. Or, le même jour, son P-DG a indiqué à certains analystes financiers que la marge opérationnelle se situerait dans le bas de cette fourchette. La commission des sanctions considère à l'évidence qu'un tel procédé constitue une atteinte à l'égalité d'accès à l'information. Air France-KLM, qui était mise en cause pour des faits de même nature, n'est pas sanctionnée, car son communiqué de presse contenait toutes les informations utiles pour permettre au public de participer à la réunion des analystes et la réécouter sur le site Internet de l'émetteur.

Décideurs. Doit-on comprendre que le pilotage du consensus peut être sanctionné dès lors qu'il revient à porter atteinte à l'égalité d'accès à l'information ?
Olivier Diaz.
Tout à fait. Début juillet 2012, le directeur des relations investisseurs de Faurecia aurait informé certains analystes financiers du fait que la guidance communiquée en début d'année ne serait pas atteinte. L'objectif poursuivi, selon le texte de la décision, aurait été que les analystes abaissent leur objectif de marge opérationnelle pour l'année 2012, afin de faire « atterrir le cours de Bourse en douceur » et éviter un profit warning qui se serait traduit par la chute brutale du cours. En cohérence avec sa jurisprudence antérieure (décision du 10 décembre 2009), la commission des sanctions condamne un tel procédé.
Si, dans la pratique, les émetteurs peuvent avoir tendance à contacter les analystes financiers lorsque leurs résultats sont nettement supérieurs ou inférieurs aux objectifs initialement annoncés, afin que ces derniers puissent ajuster leurs estimations, un tel procédé est directement contraire aux règles [rappelées ci-dessous] s’il aboutit à communiquer des informations privilégiées.

Décideurs. Avez-vous le sentiment que la commission des sanctions a fait preuve d'une sévérité accrue ?
P. B. En effet, dans l'affaire Faurecia, elle a prononcé une amende de deux millions d'euros à l'égard de la société, ce qui correspond au montant requis par le collège, fait rare. Encore plus stricte est l'amende de 100 000 euros prononcée contre son président-directeur général, soit le double de celle requise par le collège. La décision à l'encontre d'Air France-KLM est également sévère, même si la commission des sanctions a prononcé des sanctions inférieures à celles demandées par le collège (un million d’euros à l'encontre de la société et 40 000 euros contre son directeur général). Ces décisions montrent que l'AMF semble déterminée à combattre toute forme de « pilotage » des analystes et tout retard de communication, ce qui porterait atteinte à la protection des investisseurs et au bon fonctionnement des marchés.

Décideurs. Comment caractériser une information privilégiée qui doit être immédiatement communiquée ?
G. B.
Selon la décision Faurecia, un écart « acté » par les instances dirigeantes de la société entre les prévisions financières internes et celles initialement transmises au marché constitue une information privilégiée qui doit être immédiatement communiquée. Faurecia a attendu la publication le 24 juillet 2012 de ses comptes semestriels avant d'informer le marché qu'elle n'atteindrait pas la guidance communiquée au marché le 8 février 2012. Cette information aurait été en sa possession dès les 25 juin 2012, lorsque son comité exécutif aurait « acté » l'existence d'un tel écart.
En pratique, il arrive fréquemment qu'un émetteur attende la prochaine échéance d'information périodique pour procéder à un ajustement de sa guidance. Or, la commission des sanctions estime que Faurecia n'aurait pas dû attendre un mois avant de publier cette information. Elle aurait dû diffuser un profit warning immédiatement.
De même pour Air France-KLM, l'impossibilité avérée pour la société d'atteindre des objectifs qu'elle avait annoncés au public, quand bien même les prévisions en cause n'auraient pas été portées à l'attention des instances dirigeantes, constitue une information privilégiée qui aurait dû être immédiatement communiquée.
Ces décisions s'inscrivent dans la continuité des décisions récentes de la commission des sanctions qui imposent la publication immédiate dans le cadre de l'obligation permanente, sans attendre l'information périodique (décisions du 1er décembre 2005, du 9 juin 2009 , du 1er octobre 2009 et du 31 mars 2011).

Décideurs. À quelle date une prévision financière devient suffisamment précise pour caractériser une information privilégiée qui doit être communiquée au marché ?
O. D.
En matière d'abus de marché, les juridictions ont une appréciation extensive du domaine de l'information privilégiée au nom de la transparence des marchés. Cela se traduit souvent en pratique par un dilemme cornélien pour les responsables de la communication financière. En effet, lorsqu'ils sont amenés à communiquer sur des prévisions financières qui, par nature, demeurent incertaines, les dirigeants se retrouvent face à deux impératifs contradictoires : communiquer les prévisions dès qu'elles sont suffisamment précises mais s'abstenir de communiquer sur des prévisions incertaines qui pourraient être critiquées a posteriori si elles s'avéraient inexactes ou trompeuses.
Afin de résoudre ce dilemme, les textes pourraient apprécier différemment l'information privilégiée, plus sévèrement lorsqu'est en cause l'obligation d'abstention d'utilisation ou de communication d'une information privilégiée, et plus souple en matière d'information financière, où la rapidité d'information doit se concilier avec l'obligation de donner une information complète et cohérente. Les juridictions ne se montrent pas assez sensibles aux difficultés créées par leur jurisprudence et le risque que soit communiquée au marché une information insuffisamment complète avec des effets erratiques plus dommageables qu'une information soigneusement vérifiée.

Décideurs. Finalement, qu'est-ce qui constitue un écart « susceptible d'avoir une incidence sur le cours » ?
P. B.
Cette appréciation doit être effectuée au cas par cas en fonction de l'importance de l'écart en valeur instantanée ou de son évolution récente. En l'espèce, pour Faurecia, il semble que ce soit le fait que le comité exécutif ait acté un écart qui ait rendu l'information privilégiée. Pour Air France-KLM, c'est le caractère irrémédiablement compromis de la situation (prévision interne de 44 millions d’euros comparés aux 300 millions communiqués au marché). À l'avenir, les émetteurs devront donc être vigilants à bien identifier comme provisoire des prévisions qui seraient en cours de construction, une prévision présentée comme définitive et non communiquée au marché pouvant alors servir de base à une possible sanction.

Rappel des principes applicables :
1. L'information permanente du public doit être « exacte, précise et sincère » (art. 223-1 du RGAMF).
2. Toute information privilégiée, définie à l'article 621-1 du RGAMF, qui concerne directement l'émetteur doit être portée à la connaissance du public dès que possible (art. 223-2 du RGAMF). Sa publication ne peut qu'être différée lorsqu'elle risque d'affecter des négociations en cours ou lorsque les décisions ou contrats passés par l'organe de direction sont assujettis à l'approbation par un deuxième organe et que celle-ci n'a pas encore été donnée.
3. Les émetteurs doivent assurer en France un accès égal et dans les mêmes délais aux sources et canaux d'information que les émetteurs mettent spécifiquement à la disposition des analystes financiers (art. 223-10-1 du RGAMF).


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