Par Nadia Ripert et Gilles Bazaille, avocats associés. Aklea
C’est dans un contexte fiscal agité, alors que la Cour des comptes vient de publier un rapport sur les pistes d’amélioration des services de l’État dans la lutte contre la fraude fiscale, que le Parlement a voté la loi concernant la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière. Cette loi dont le projet était déjà très discuté par les praticiens, marque une étape significative vers la pénalisation de la loi fiscale.

L’Administration fiscale dispose de procédures coercitives pour assurer sa mission de contrôle, mais les nouvelles dispositions (1) marquent une étape plus répressive encore, tant au regard de la sanction que de la poursuite de la fraude, au point que la Cour des comptes, s’interroge sur l’opportunité de mettre un terme au monopole de cette administration au profit de l’autorité judiciaire, lors du déclenchement des poursuites. À ce jour, indépendamment du contrôle fiscal classique, les services peuvent notamment recourir à la procédure d’enquête fiscale, à la procédure d’enquête judiciaire fiscale, aux perquisitions pénales, ou à l’assistance des services de Tracfin. Enfin la loi du 14?mars 2012 a considérablement alourdi la répression du délit de fraude fiscale, dont l’amende a été portée de 37 500?euros à 500 000?euros, voire 1 000 000?euros, lorsque la fraude présente un lien avec un État non coopératif. Ce dispositif est encore renforcé.

La fraude plus sévèrement sanctionnée
Des circonstances aggravantes au délit de fraude fiscale sont instaurées, portant les peines encourues à 2 000 000?d’euros et à sept ans d’emprisonnement si, les faits ont été réalisés ou facilités par des comptes ouverts ou des contrats souscrits auprès d’établissements établis à l’étranger, l’interposition de personnes physiques ou morales ou tout organisme établis à l’étranger, l’usage d’une fausse identité ou de faux documents ou de toute autre falsification, une domiciliation fiscale fictive ou artificielle à l’étranger ou de tout autre acte fictif ou artificiel ou de l’interposition d’une entité fictive ou artificielle ou si les faits ont été commis en bande organisée (2). Dans ces cas, les peines encourues seront portées à 2 000 000 d’euros et à sept ans d’emprisonnement. La notion de «?bande organisée?» en matière fiscale, a été soumise au contrôle du Conseil constitutionnel.

Renforcement des pouvoirs d’investigation du fisc
Le délai au cours duquel l’administration fiscale peut déposer une plainte pour fraude fiscale est porté de trois à six ans. La procédure d’enquête judiciaire fiscale, (surveillance, infiltration, écoutes, perquisitions, garde à vue de quatre jours) déjà prévue en cas de présomption de fraude grave et complexe (utilisation de comptes ou contrats ou interposition de personnes physiques ou morales, dans les pays non coopératifs ou coopératifs depuis moins de trois ans) est désormais applicable, qu’il s’agisse d’États coopératifs ou pas. De plus, elle est étendue au blanchiment de fraude fiscale (3). L’utilisation par l’administration fiscale de tout document, quelle que soit son origine, est autorisée, notamment pour fonder des procédures d’enquête et de saisie, si elle est proportionnée à l’objectif de recherche et de répression des infractions prévues par le CGI. Cette source d’information, condamnée par la Cour de cassation dans l’affaire HSBC, soulève de légitimes inquiétudes car il serait discutable que les moyens mis en œuvre pour lutter contre la fraude fiscale soient aussi critiquables que la fraude elle-même. Le législateur met en place, le régime des repentis fiscaux et exempte de peine privative de liberté les auteurs d’une tentative de fraude fiscale lorsque leur dénonciation a permis d’éviter la réalisation de l’infraction et d’identifier les auteurs ou complices. De plus, la peine privative de liberté pourra être réduite de moitié lorsque la dénonciation permet de faire cesser l’infraction ou d’identifier les autres auteurs ou complices. À noter que ces dispositions ne visent pas les «?aviseurs?», ce qui permet d’espérer qu’il n’est pas prévu de «?récompense?» pour ceux qui ne sont pas parties à la fraude. Il n’est pas souhaitable en effet, que la délation, soit érigée en vertu parce qu’elle est destinée à combattre la fraude fiscale…

Création d’un parquet financier à compétence nationale
Pour faciliter la circulation de l’information, permettre une meilleure réactivité, et une plus grande homogénéité du traitement des infractions, il est créé un parquet financier à compétence nationale chargé d’étudier les affaires d’une grande complexité. Sont visés notamment, la fraude fiscale en bande organisée, les comportements frauduleux prévus par l’article L 228 du LPF, les infractions qui regroupent un grand nombre d’auteurs, de complices ou de victimes ou qui dépendent de ressorts géographiques étendus, et le blanchiment de cette fraude.

Renforcement de l’autorité judiciaire
Ce durcissement vise non seulement la sanction mais aussi la poursuite de la fraude fiscale. La Cour des comptes remet même en cause, le monopole de l’administration fiscale quant à l’initiative des poursuites. Si le gouvernement ne souhaite pas faire sauter le contrôle de Bercy sur ce point, ces nouvelles mesures prouvent que l’autorité judiciaire est de plus en plus présente dans la poursuite de la fraude fiscale.

Un nouveau type de contrôle se profile
Cela n’est pas sans incidence pour les contribuables et il est essentiel que les praticiens se familiarisent à la procédure pénale. L’action publique peut se révéler très coercitive. Une perquisition fiscale, si invasive soit-elle, n’égale pas une perquisition judiciaire qui peut déboucher sur une garde à vue, voire sur une perquisition du cabinet de l’avocat. Compte tenu du principe de l’autonomie du droit fiscal et du droit pénal, il n’existe pas d’autorité de la chose jugée d’une décision administrative sur une juridiction pénale, il n’est pas rare qu’un redressement sanctionné par le juge administratif, n’ait aucune incidence sur la poursuite de la procédure pénale.
De plus, le principe du cumul des amendes pénales et des pénalités fiscales est admis par les juges. Cette mutation a vocation à répondre à la grande délinquance financière. Or, le recours à l’action publique n’est conditionné par aucun seuil d’application. La fraude fiscale existe, dès le premier euro détourné ou presque, si bien qu’initialement réservées à une certaine population fiscale, ces dispositions sont potentiellement applicables à tous…

1- Loi du 5/11/13
2- Art 137-71 CP bande organisée : groupement formé ou entente établie en vue de la préparation d’une ou plusieurs infractions.
3- 324-1 CP : faciliter la justification mensongère de l’origine des biens, des revenus de l’auteur d’un crime ou d’un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect. Apporter son concours à une opération de placement de dissimulation ou de conversion du produit d’un crime ou d’un délit.



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