Par Blaise Philippe Chaumont, avocat associé, et Juliette Garcin, avocat. De Gaulle Fleurance & Associés
Management package, la nature d’un revenu peut-elle dépendre de son montant ?
Alors que le Conseil d’État vient de rendre un arrêt très attendu, validant requalification en salaire de gains réalisés par un dirigeant dans le cadre d’un mécanisme conventionnel dit de «?management package?», la question du mode d’emploi de ces dispositifs est à nouveau posée. Quelques principes simples méritent d’être rappelés.
La lecture de l’arrêt rendu par le Conseil d’État le 26?septembre dernier(1) a de quoi laisser songeur. La Haute Assemblée y confirme la requalification des gains réalisés par un dirigeant dans la catégorie des traitements et salaires au motif notamment que «?l’indemnité d’immobilisation, d’un montant inférieur à 1?% du gain retiré par Monsieur G de la cession des 35 719 actions de la société Hubert Finance avait un caractère modique?».
Cet arrêt, le premier rendu par le Conseil d’État sur ces mécanismes conventionnels de partage de la plus-value entre investisseurs financiers et managers d’une entreprise, paraît ainsi faire dépendre la nature du revenu de l’importance du gain réalisé, introduisant une forme de jugement moral : au-delà d’un certain multiple de l’investissement initial, la plus-value perdrait sa nature, fiscalement plus avantageuse, pour être soumise à un traitement fiscal et social bien plus rigoureux en tant que salaire.
En poussant ce curieux raisonnement à son paroxysme, on pourrait aussi considérer qu’un employé d’Apple, ayant acquis des titres de cette entreprise sur ses économies lors de son introduction en Bourse pourrait réaliser, s’il revend au cours actuel, un gain assimilé à un salaire par le seul fait du succès colossal de l’entreprise.
Tout cela ne fait pas grand sens évidemment. Peut-être ne faut-il pas chercher à donner à la remarque somme toute factuelle du Conseil d’État une portée qu’elle n’a pas nécessairement.
En revenir aux fondamentaux de la distinction travail-capital
Construire un management package en se préservant raisonnablement du risque de requalification du gain des managers en salaire paraît toujours possible, à condition d’en revenir aux éléments fondamentaux qui distinguent, pour le manager, le salaire du gain en capital.
À notre sens, la circonstance que dans l’arrêt rendu par le Conseil d’État l’option d’achat soit consentie en raison de la qualité de dirigeant du bénéficiaire, ne semble pas être un critère déterminant, susceptible à lui seul de commander une requalification. Si les considérants de la décision font mention de cette qualité, c’est simplement qu’a contrario on voit mal comment des tiers associés au capital de l’entreprise pourraient voir leur gain requalifié en salaire en l’absence de participation directe à l’activité. Le lien à l’entreprise est une condition nécessaire mais non suffisante de la requalification.
Le manager doit être uni à l’entreprise pour le meilleur comme pour le pire
Il paraît en revanche essentiel que la communauté d’intérêts entre les investisseurs financiers et le management, qui est fondamentalement l’objectif recherché des managements packages, soit clairement établie. Autrement dit, le management, en échange d’une participation à la plus-value future éventuelle, doit également être prêt à assumer les pertes éventuelles. Pour prétendre être traités fiscalement comme des capitalistes, les managers doivent donc être de véritables actionnaires, dont le destin est uni à celui de l’entreprise pour le meilleur comme pour le pire.
Dans l’affaire précitée, la cour administrative d’appel (2) avait ainsi estimé que le dirigeant n’avait «?supporté aucun risque en capital compte tenu du caractère modique, dans les circonstances de l’espèce, de l’indemnité d’immobilisation de 15 030?euros qui était due y compris en l’absence de levée d’option par l’intéressé?». Cette notion de «?risque d’entrepreneur?» se retrouve en toile de fond de tous les jugements et les avis récents rendus par le Comité de l’abus de droit (3) au sujet des managements packages.
L’exigence d’un risque financier pour les managers paraît ainsi être la condition sine qua non de la taxation en plus-value des gains réalisés lors du débouclage.
Comment matérialiser ce risque ? Pour se donner un cadre, il paraît raisonnable d’estimer qu’un risque d’un montant supérieur ou égal à six mois de salaire devrait permettre de caractériser une prise de risque réelle du manager. Il faut toutefois adapter cette règle au vu des circonstances de l’espèce : le patrimoine du manager, l’importance de sa rémunération par rapport aux «?standards?» du marché seront également des références utiles pour apprécier l’existence d’un risque financier significatif.
Miser gros ne suffit pas : le risque encouru doit être réel
Prendre un risque ne suppose pas seulement de miser gros : encore faut-il que la perspective de gain ou de perte soit aléatoire. Le manager ne doit pas souscrire que des tickets gagnants. Un mécanisme contractuel par lequel un dirigeant actionnaire aura en toutes circonstances la possibilité de récupérer sa mise de départ risque une requalification.
Cette notion de risque comprend également la nécessité de valoriser les instruments financiers mis à disposition des managers (options, actions, actions de préférence etc..) à leur juste prix : où est l’aléa si on acquiert un titre au quart ou au dixième de sa valeur de marché ?
Ainsi, un schéma dans lequel, un dirigeant a investi dès l’origine un montant même modeste représentant une partie substantielle de ses revenus, au moyen de ses deniers propres, tout en conservant un risque de perte, devrait être éligible au régime d’imposition des plus-values6, et ce quelle que soit in fine l’importance du gain.
Si le Comité de l’abus de droit et les juges du Palais-Royal semblent vouloir traiter ces questions «?dans les circonstances de l’espèce5?», il n’est pas impossible cependant de fixer quelques règles simples pour minimiser, à défaut de pouvoir jamais totalement l’éliminer, le risque d'une requalification.
1. CE, 3e et 8 ss-sect., 26 septembre 2014, n°365573, concl. E Cortot-Bouchet.
2. CAA Paris 2e ch., 28 nov. 2012 n°11PA03464 min. c/M. Bonny et CAA Paris 2e ch., 28 nov. 2012 n°11PA04246 min. c/M. et Mme Gaillochet.
3. CAD, séances 23?mai 2013, CADF/AC n°3/2013 ; aff. n°2013-10 ; 2013-11 ; Avis 2013-14 ; 2013-15 séances 13?juin 2013 ; CAD, séance du 29 nov. 2013, aff. n°2013-36 ; CAD, séances du 7?novembre 2014 aff n°2014-16 à 23 ; pour le comité de l’abus de droit, le risque semble caractérisé lorsque le dirigeant est susceptible de perdre sa mise de départ si le TRI de l’entreprise n’atteint pas les 12%. On notera que l’administration fiscale a décidé de ne pas se ranger à l’avis du comité.
4. CAD, séances 23 mai 2013, CADF/AC n°3/2013 ; aff. n°2013-10 ; 2013-11 ; Avis 2013-14 ; 2013-15 séances 13?juin 2013 ; CAD, séances du 7?novembre 2014 aff n°2014-16 à 23 ;
5. CAA Paris 2e ch., 28 nov. 2012 n°11PA03464 min. c/M. Bonny et CAA Paris 2e ch., 28 nov. 2012 n°11PA04246 min. c/M. et Mme Gaillochet.
La lecture de l’arrêt rendu par le Conseil d’État le 26?septembre dernier(1) a de quoi laisser songeur. La Haute Assemblée y confirme la requalification des gains réalisés par un dirigeant dans la catégorie des traitements et salaires au motif notamment que «?l’indemnité d’immobilisation, d’un montant inférieur à 1?% du gain retiré par Monsieur G de la cession des 35 719 actions de la société Hubert Finance avait un caractère modique?».
Cet arrêt, le premier rendu par le Conseil d’État sur ces mécanismes conventionnels de partage de la plus-value entre investisseurs financiers et managers d’une entreprise, paraît ainsi faire dépendre la nature du revenu de l’importance du gain réalisé, introduisant une forme de jugement moral : au-delà d’un certain multiple de l’investissement initial, la plus-value perdrait sa nature, fiscalement plus avantageuse, pour être soumise à un traitement fiscal et social bien plus rigoureux en tant que salaire.
En poussant ce curieux raisonnement à son paroxysme, on pourrait aussi considérer qu’un employé d’Apple, ayant acquis des titres de cette entreprise sur ses économies lors de son introduction en Bourse pourrait réaliser, s’il revend au cours actuel, un gain assimilé à un salaire par le seul fait du succès colossal de l’entreprise.
Tout cela ne fait pas grand sens évidemment. Peut-être ne faut-il pas chercher à donner à la remarque somme toute factuelle du Conseil d’État une portée qu’elle n’a pas nécessairement.
En revenir aux fondamentaux de la distinction travail-capital
Construire un management package en se préservant raisonnablement du risque de requalification du gain des managers en salaire paraît toujours possible, à condition d’en revenir aux éléments fondamentaux qui distinguent, pour le manager, le salaire du gain en capital.
À notre sens, la circonstance que dans l’arrêt rendu par le Conseil d’État l’option d’achat soit consentie en raison de la qualité de dirigeant du bénéficiaire, ne semble pas être un critère déterminant, susceptible à lui seul de commander une requalification. Si les considérants de la décision font mention de cette qualité, c’est simplement qu’a contrario on voit mal comment des tiers associés au capital de l’entreprise pourraient voir leur gain requalifié en salaire en l’absence de participation directe à l’activité. Le lien à l’entreprise est une condition nécessaire mais non suffisante de la requalification.
Le manager doit être uni à l’entreprise pour le meilleur comme pour le pire
Il paraît en revanche essentiel que la communauté d’intérêts entre les investisseurs financiers et le management, qui est fondamentalement l’objectif recherché des managements packages, soit clairement établie. Autrement dit, le management, en échange d’une participation à la plus-value future éventuelle, doit également être prêt à assumer les pertes éventuelles. Pour prétendre être traités fiscalement comme des capitalistes, les managers doivent donc être de véritables actionnaires, dont le destin est uni à celui de l’entreprise pour le meilleur comme pour le pire.
Dans l’affaire précitée, la cour administrative d’appel (2) avait ainsi estimé que le dirigeant n’avait «?supporté aucun risque en capital compte tenu du caractère modique, dans les circonstances de l’espèce, de l’indemnité d’immobilisation de 15 030?euros qui était due y compris en l’absence de levée d’option par l’intéressé?». Cette notion de «?risque d’entrepreneur?» se retrouve en toile de fond de tous les jugements et les avis récents rendus par le Comité de l’abus de droit (3) au sujet des managements packages.
L’exigence d’un risque financier pour les managers paraît ainsi être la condition sine qua non de la taxation en plus-value des gains réalisés lors du débouclage.
Comment matérialiser ce risque ? Pour se donner un cadre, il paraît raisonnable d’estimer qu’un risque d’un montant supérieur ou égal à six mois de salaire devrait permettre de caractériser une prise de risque réelle du manager. Il faut toutefois adapter cette règle au vu des circonstances de l’espèce : le patrimoine du manager, l’importance de sa rémunération par rapport aux «?standards?» du marché seront également des références utiles pour apprécier l’existence d’un risque financier significatif.
Miser gros ne suffit pas : le risque encouru doit être réel
Prendre un risque ne suppose pas seulement de miser gros : encore faut-il que la perspective de gain ou de perte soit aléatoire. Le manager ne doit pas souscrire que des tickets gagnants. Un mécanisme contractuel par lequel un dirigeant actionnaire aura en toutes circonstances la possibilité de récupérer sa mise de départ risque une requalification.
Cette notion de risque comprend également la nécessité de valoriser les instruments financiers mis à disposition des managers (options, actions, actions de préférence etc..) à leur juste prix : où est l’aléa si on acquiert un titre au quart ou au dixième de sa valeur de marché ?
Ainsi, un schéma dans lequel, un dirigeant a investi dès l’origine un montant même modeste représentant une partie substantielle de ses revenus, au moyen de ses deniers propres, tout en conservant un risque de perte, devrait être éligible au régime d’imposition des plus-values6, et ce quelle que soit in fine l’importance du gain.
Si le Comité de l’abus de droit et les juges du Palais-Royal semblent vouloir traiter ces questions «?dans les circonstances de l’espèce5?», il n’est pas impossible cependant de fixer quelques règles simples pour minimiser, à défaut de pouvoir jamais totalement l’éliminer, le risque d'une requalification.
1. CE, 3e et 8 ss-sect., 26 septembre 2014, n°365573, concl. E Cortot-Bouchet.
2. CAA Paris 2e ch., 28 nov. 2012 n°11PA03464 min. c/M. Bonny et CAA Paris 2e ch., 28 nov. 2012 n°11PA04246 min. c/M. et Mme Gaillochet.
3. CAD, séances 23?mai 2013, CADF/AC n°3/2013 ; aff. n°2013-10 ; 2013-11 ; Avis 2013-14 ; 2013-15 séances 13?juin 2013 ; CAD, séance du 29 nov. 2013, aff. n°2013-36 ; CAD, séances du 7?novembre 2014 aff n°2014-16 à 23 ; pour le comité de l’abus de droit, le risque semble caractérisé lorsque le dirigeant est susceptible de perdre sa mise de départ si le TRI de l’entreprise n’atteint pas les 12%. On notera que l’administration fiscale a décidé de ne pas se ranger à l’avis du comité.
4. CAD, séances 23 mai 2013, CADF/AC n°3/2013 ; aff. n°2013-10 ; 2013-11 ; Avis 2013-14 ; 2013-15 séances 13?juin 2013 ; CAD, séances du 7?novembre 2014 aff n°2014-16 à 23 ;
5. CAA Paris 2e ch., 28 nov. 2012 n°11PA03464 min. c/M. Bonny et CAA Paris 2e ch., 28 nov. 2012 n°11PA04246 min. c/M. et Mme Gaillochet.