Entretien avec François Kopf, avocat associé. Dethomas Peltier Kopf Juvigny
« La fiducie va continuer à se développer dans les opérations de restructuration »
Décideurs. La restructuration de la société Ascometal fut l’une des plus médiatisées de l’année. Pouvez-vous revenir sur les particularités de ce dossier ?
François Kopf. Le dossier Ascometal trouve son origine dans un financement bridge to high yield, c’est-à-dire un financement temporaire qui devait être refinancé ensuite par une émission obligataire sur le marché. Ce financement relais avait été structuré, comme c’est souvent le cas, avec un taux d’intérêt augmentant au fil du temps afin d’inciter à ce qu’il soit refinancé aussi rapidement que possible. Le marché du high yield s’est refermé en même temps que la société a commencé à affronter un climat concurrentiel plus difficile, ce qui n’a pas permis de concrétiser le refinancement prévu. Il s’est ensuivi une restructuration «?classique?» d’une société sous LBO, à ceci près qu’il n’y avait que deux créanciers bancaires. Alors que seule la société holding rencontrait des difficultés au départ, la dégradation de l’environnement économique et du marché a placé également la société opérationnelle en difficulté. Le centre de gravité du dossier a ainsi évolué et, début 2014, Ascometal a été contrainte de se placer sous la protection du tribunal de commerce à travers l’ouverture d’une procédure collective. La reprise à la barre a eu lieu dans le cadre d’un plan de cession, et non d’un plan de continuation, en raison d’une dette devenue trop importante par rapport aux facultés contributrice du groupe.
Décideurs. Quel fut le déroulement de la procédure ?
F.?K. Deux phases doivent être distinguées.
La phase amiable a concerné le traitement du financement temporaire qui demeurait entre les mains de deux établissements financiers. Lors de ces discussions, les banques furent très actives et ont proposé différentes solutions pour permettre à la holding de retrouver de l’air. Si l’arrivée, aux côtés de l’actionnaire principal, d’un fonds d’investissement a pu être discutée, cette opération n’a finalement pas eu lieu. La dégradation de la société opérationnelle fut telle qu’elle a obligé Ascometal à déposer le bilan. À partir de ce moment-là, une deuxième phase, judiciaire, a débuté. Le jugement d’ouverture de la procédure collective a été le point de départ d’une course contre la montre pour les différents acteurs au dossier.
Décideurs. Quelle décision a alors pris le tribunal de Nanterre ?
F.?K. Le savoir-faire d’Ascometal, fleuron technologique dans le domaine des aciers spéciaux, a suscité beaucoup d’intérêts. Intérêts exprimés à la fois par ses concurrents mais également par des fonds d’investissement. Finalement, le tribunal a choisi le plan de reprise présenté par Frank Supplisson, lequel avait fédéré autour de lui un consortium constitué de fonds et d’industriels du secteur.
Décideurs. Il était dès lors vital pour Ascometal de faire émerger une solution très rapidement. Comment avez-vous pu raccourcir les délais ?
F.?K. L’ouverture d’une procédure collective crée une période d’incertitude qui est dommageable pour la société. Cette période est anxiogène pour les salariés mais également pour les clients et les fournisseurs. Le risque de démobilisation des équipes et de départ des talents de l’entreprise est réel. Les organes de la procédure et le tribunal se sont donc mobilisés pour raccourcir le calendrier. La période d’observation n’a duré que quelques semaines à peine. Les candidats repreneurs se sont également fortement investis pour être en mesure de présenter une offre très rapidement. Cela a permis de réduire au maximum cette période d’incertitude.
Décideurs. Autre dossier fort, celui de la reprise de La Redoute par son management.
F.?K. La Redoute appartenait à un grand groupe international, le groupe Kering (ex-PPR). L’actionnaire a décidé de revoir sa stratégie et son orientation. Pour Kering, La Redoute n’était pas une filiale comme les autres. Ce lien fort et historique a conduit ses actionnaires à trouver une solution de reprise différente de celle que l’on peut rencontrer habituellement sur le marché. Ils ont ainsi apporté leur soutien au projet de reprise présenté par les managers. Cette solution interne s’est structurée progressivement et donne une dimension particulière au dossier. Le choix de Kering s’est également doublé par une volonté de donner à La Redoute des moyens très significatifs pour assurer la réussite du projet et la pérennité de la société.
Décideurs. Un dossier d’autant plus difficile que les enjeux économiques et sociaux étaient très forts.
F.?K. Effectivement, il s’agissait pour La Redoute de faire évoluer son business model pour demeurer compétitif dans un environnement complexe avec des acteurs puissants, rapides et flexibles. Ce redémarrage n’est toutefois pas une création ex nihilo. La société est forte de sa marque et du savoir-faire dont elle dispose. Il s’agit pour elle de s’appuyer sur les compétences existantes pour faire perdurer la firme dans un monde où les repères changent très vite. Il y a trente ans, leur engagement de livrer en «?48?heures chrono?» symbolisait une véritable révolution. Aujourd’hui, les clients attendent une livraison du jour pour le lendemain. Le projet est ambitieux et les dirigeants ont su faire preuve de pédagogie pour expliquer la pertinence de leur projet et la nécessité de mettre en œuvre un plan de sauvegarde de l’emploi. L’actionnaire s’est également impliqué pour proposer des mesures d’accompagnement tout à fait conséquentes.
Décideurs. La fiducie présente de nombreux avantages, notamment pour les entreprises en difficulté. Dans quel cadre y avez-vous eu recours ?
F.?K. En matière d’entreprise en difficulté, la fiducie s’avère être un outil particulièrement efficace, en particulier lorsqu’il s’agit de sécuriser le financement d’un plan de sauvegarde de l’emploi. L’idée est de mettre en place un patrimoine distinct qui n’est pas susceptible d’être affecté par d’éventuelles difficultés ultérieures. Le financement des mesures est ainsi assuré quoi qu’il advienne. La fiducie avait notamment été utilisée lors du dossier Petroplus dont les enjeux sociaux étaient très importants. Elle est la démonstration que le droit français a su évoluer pour proposer aux entreprises des outils juridiques très efficaces et adaptés à leurs besoins. Aujourd’hui, on peut affirmer que son utilisation est entrée dans les mœurs et n’apparaît pas comme une mécanique trop complexe à structurer. Les fiduciaires, qu’ils soient des avocats ou des sociétés spécialisées, se sont professionnalisés et sont parfaitement bien organisés. La documentation s’est en outre standardisée. Cette standardisation est une excellente nouvelle car elle fait disparaître les derniers freins à son utilisation. La tendance est donc clairement à son développement.
Décideurs. Un an après son adoption, quel regard portez-vous sur l’ordonnance mettant en œuvre la réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives ?
F.?K. Les dispositions prises dans le cadre de cette ordonnance démontrent que le législateur demeure à l’écoute de la pratique. Il a su, à mon sens, faire preuve de pragmatisme sans pour autant s’inscrire dans une surenchère législative et réglementaire – comme on peut le voir en matière de droit du travail par exemple. Dans un domaine comme celui du droit des entreprises en difficulté, les minutes comptent comme des heures. Il est essentiel que l’attention soit portée au terrain. La création de la sauvegarde financière, notamment récemment utilisée par le tribunal de commerce de Nanterre dans une importante restructuration, en est la parfaite illustration. L’instauration d’une procédure de prépack-cession va également dans le bon sens. Cette dernière apporte une réponse aux difficultés que l’on rencontre lorsque l’on rentre dans une procédure collective. Il est de l’intérêt des entreprises que l’on veut sauver de limiter le temps de la procédure collective. L’idéal, même si cela n’est pas toujours possible, est de parvenir à anticiper suffisamment les choses pour être en mesure, au moment même où la procédure collective est annoncée, d’expliquer les solutions qui ont été trouvées ou qui devraient être mises en œuvre. Il est essentiel de ne pas rentrer en procédure sans avoir une idée de la manière dont on va en sortir.
François Kopf. Le dossier Ascometal trouve son origine dans un financement bridge to high yield, c’est-à-dire un financement temporaire qui devait être refinancé ensuite par une émission obligataire sur le marché. Ce financement relais avait été structuré, comme c’est souvent le cas, avec un taux d’intérêt augmentant au fil du temps afin d’inciter à ce qu’il soit refinancé aussi rapidement que possible. Le marché du high yield s’est refermé en même temps que la société a commencé à affronter un climat concurrentiel plus difficile, ce qui n’a pas permis de concrétiser le refinancement prévu. Il s’est ensuivi une restructuration «?classique?» d’une société sous LBO, à ceci près qu’il n’y avait que deux créanciers bancaires. Alors que seule la société holding rencontrait des difficultés au départ, la dégradation de l’environnement économique et du marché a placé également la société opérationnelle en difficulté. Le centre de gravité du dossier a ainsi évolué et, début 2014, Ascometal a été contrainte de se placer sous la protection du tribunal de commerce à travers l’ouverture d’une procédure collective. La reprise à la barre a eu lieu dans le cadre d’un plan de cession, et non d’un plan de continuation, en raison d’une dette devenue trop importante par rapport aux facultés contributrice du groupe.
Décideurs. Quel fut le déroulement de la procédure ?
F.?K. Deux phases doivent être distinguées.
La phase amiable a concerné le traitement du financement temporaire qui demeurait entre les mains de deux établissements financiers. Lors de ces discussions, les banques furent très actives et ont proposé différentes solutions pour permettre à la holding de retrouver de l’air. Si l’arrivée, aux côtés de l’actionnaire principal, d’un fonds d’investissement a pu être discutée, cette opération n’a finalement pas eu lieu. La dégradation de la société opérationnelle fut telle qu’elle a obligé Ascometal à déposer le bilan. À partir de ce moment-là, une deuxième phase, judiciaire, a débuté. Le jugement d’ouverture de la procédure collective a été le point de départ d’une course contre la montre pour les différents acteurs au dossier.
Décideurs. Quelle décision a alors pris le tribunal de Nanterre ?
F.?K. Le savoir-faire d’Ascometal, fleuron technologique dans le domaine des aciers spéciaux, a suscité beaucoup d’intérêts. Intérêts exprimés à la fois par ses concurrents mais également par des fonds d’investissement. Finalement, le tribunal a choisi le plan de reprise présenté par Frank Supplisson, lequel avait fédéré autour de lui un consortium constitué de fonds et d’industriels du secteur.
Décideurs. Il était dès lors vital pour Ascometal de faire émerger une solution très rapidement. Comment avez-vous pu raccourcir les délais ?
F.?K. L’ouverture d’une procédure collective crée une période d’incertitude qui est dommageable pour la société. Cette période est anxiogène pour les salariés mais également pour les clients et les fournisseurs. Le risque de démobilisation des équipes et de départ des talents de l’entreprise est réel. Les organes de la procédure et le tribunal se sont donc mobilisés pour raccourcir le calendrier. La période d’observation n’a duré que quelques semaines à peine. Les candidats repreneurs se sont également fortement investis pour être en mesure de présenter une offre très rapidement. Cela a permis de réduire au maximum cette période d’incertitude.
Décideurs. Autre dossier fort, celui de la reprise de La Redoute par son management.
F.?K. La Redoute appartenait à un grand groupe international, le groupe Kering (ex-PPR). L’actionnaire a décidé de revoir sa stratégie et son orientation. Pour Kering, La Redoute n’était pas une filiale comme les autres. Ce lien fort et historique a conduit ses actionnaires à trouver une solution de reprise différente de celle que l’on peut rencontrer habituellement sur le marché. Ils ont ainsi apporté leur soutien au projet de reprise présenté par les managers. Cette solution interne s’est structurée progressivement et donne une dimension particulière au dossier. Le choix de Kering s’est également doublé par une volonté de donner à La Redoute des moyens très significatifs pour assurer la réussite du projet et la pérennité de la société.
Décideurs. Un dossier d’autant plus difficile que les enjeux économiques et sociaux étaient très forts.
F.?K. Effectivement, il s’agissait pour La Redoute de faire évoluer son business model pour demeurer compétitif dans un environnement complexe avec des acteurs puissants, rapides et flexibles. Ce redémarrage n’est toutefois pas une création ex nihilo. La société est forte de sa marque et du savoir-faire dont elle dispose. Il s’agit pour elle de s’appuyer sur les compétences existantes pour faire perdurer la firme dans un monde où les repères changent très vite. Il y a trente ans, leur engagement de livrer en «?48?heures chrono?» symbolisait une véritable révolution. Aujourd’hui, les clients attendent une livraison du jour pour le lendemain. Le projet est ambitieux et les dirigeants ont su faire preuve de pédagogie pour expliquer la pertinence de leur projet et la nécessité de mettre en œuvre un plan de sauvegarde de l’emploi. L’actionnaire s’est également impliqué pour proposer des mesures d’accompagnement tout à fait conséquentes.
Décideurs. La fiducie présente de nombreux avantages, notamment pour les entreprises en difficulté. Dans quel cadre y avez-vous eu recours ?
F.?K. En matière d’entreprise en difficulté, la fiducie s’avère être un outil particulièrement efficace, en particulier lorsqu’il s’agit de sécuriser le financement d’un plan de sauvegarde de l’emploi. L’idée est de mettre en place un patrimoine distinct qui n’est pas susceptible d’être affecté par d’éventuelles difficultés ultérieures. Le financement des mesures est ainsi assuré quoi qu’il advienne. La fiducie avait notamment été utilisée lors du dossier Petroplus dont les enjeux sociaux étaient très importants. Elle est la démonstration que le droit français a su évoluer pour proposer aux entreprises des outils juridiques très efficaces et adaptés à leurs besoins. Aujourd’hui, on peut affirmer que son utilisation est entrée dans les mœurs et n’apparaît pas comme une mécanique trop complexe à structurer. Les fiduciaires, qu’ils soient des avocats ou des sociétés spécialisées, se sont professionnalisés et sont parfaitement bien organisés. La documentation s’est en outre standardisée. Cette standardisation est une excellente nouvelle car elle fait disparaître les derniers freins à son utilisation. La tendance est donc clairement à son développement.
Décideurs. Un an après son adoption, quel regard portez-vous sur l’ordonnance mettant en œuvre la réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives ?
F.?K. Les dispositions prises dans le cadre de cette ordonnance démontrent que le législateur demeure à l’écoute de la pratique. Il a su, à mon sens, faire preuve de pragmatisme sans pour autant s’inscrire dans une surenchère législative et réglementaire – comme on peut le voir en matière de droit du travail par exemple. Dans un domaine comme celui du droit des entreprises en difficulté, les minutes comptent comme des heures. Il est essentiel que l’attention soit portée au terrain. La création de la sauvegarde financière, notamment récemment utilisée par le tribunal de commerce de Nanterre dans une importante restructuration, en est la parfaite illustration. L’instauration d’une procédure de prépack-cession va également dans le bon sens. Cette dernière apporte une réponse aux difficultés que l’on rencontre lorsque l’on rentre dans une procédure collective. Il est de l’intérêt des entreprises que l’on veut sauver de limiter le temps de la procédure collective. L’idéal, même si cela n’est pas toujours possible, est de parvenir à anticiper suffisamment les choses pour être en mesure, au moment même où la procédure collective est annoncée, d’expliquer les solutions qui ont été trouvées ou qui devraient être mises en œuvre. Il est essentiel de ne pas rentrer en procédure sans avoir une idée de la manière dont on va en sortir.