« L’action de groupe “à la française“, qui sera instaurée prochainement, est en réalité très éloignée des “class actions“ »
Entretien avec Bruno Lasserre, président de l’Autorité de la concurrence
Décideurs. Ces dernières années l'Autorité de la concurrence a durci ses sanctions. Quelle est la place laissée à la transaction ?
Bruno Lasserre. Les sanctions prononcées par l’Autorité de la concurrence obéissent à une triple exigence légale de dissuasion, de proportionnalité et d’individualisation, ce qui ne lui ôte pas la possibilité de se montrer pragmatique en ayant recours à l’ensemble des flexibilités offertes par son communiqué sur les sanctions, par exemple au regard de la faible capacité contributive d’une entreprise – 19 demandes de réduction accueillies à ce titre depuis 2012.
Dans le même temps, c’est bien le risque de sanction qui crée les incitations, pour les entreprises, à chercher une voie négociée, en amont par le jeu de la procédure d’engagements ou en aval, en renonçant à contester les griefs.
Les engagements obtenus l’année passée et visant à restaurer la concurrence dans les secteurs du fret maritime ou des cartes de paiement démontrent que le pouvoir de sanction ne s’exerce pas au détriment des solutions négociées. C’est le cas également de la procédure de non-contestation des griefs, qui demeure attractive : elle a été mise en œuvre dans quatre affaires en 2013 – sur huit décisions de sanction antitrust.
Décideurs. Quel sera l'impact de l'instauration des class actions sur l'activité de l'Autorité de la concurrence ?
B. L. L’action de groupe « à la française », qui sera instaurée prochainement, est en réalité très éloignée des « class actions ». Elle reflète, d’une part, un équilibre entre l’accès à la justice et la prévention des actions abusives, le dispositif étant assorti de précautions utiles et bienvenues, en particulier via un mécanisme d’ « opt in ». Elle prend appui, d’autre part, sur les décisions de l’Autorité de la concurrence, ce qui offre des avantages pour l’ensemble des acteurs de la procédure, en termes de sécurité juridique et d’allègement de la charge de la preuve.
C’est une avancée importante pour les consommateurs, que le Conseil de la concurrence avait soutenue dès 2006. Elle participe de l’effectivité du droit à réparation, objectif distinct et complémentaire de la mission de l’Autorité qui relève de la protection de l’ordre public économique.
Décideurs. Comment intervenir sur les pratiques verticales, parfois coutumières, et les sanctionner sans trop affecter les filières ?
B. L. L’analyse du contexte économique est inhérente à l’application des règles de concurrence et les décisions de l’Autorité, loin d’être dogmatiques, s’appuient sur une appréciation nuancée, au cas par cas, des pratiques à l’œuvre. Pour autant, il importe également d’identifier les lignes rouges qu’il convient en principe de ne pas franchir, de manière à orienter les comportements des entreprises pour l’avenir.
En matière de restrictions verticales, la pratique de l’Autorité relative à la vente en ligne dans le cadre d’un réseau de distribution sélective illustre cette recherche d’un point d’équilibre. En l’espèce, il a fallu concilier la liberté d’organisation, par la tête de réseau, de la distribution de ses produits ou services, d’une part, et le maintien d’une concurrence effective entre distributeurs, d’autre part. En termes concrets, si l’interdiction générale et absolue de la vente sur internet est une ligne à ne pas franchir, conditionner l’agrément d’un distributeur à la détention d’un point de vente physique constitue en principe une pratique légitime.
Décideurs. 2013 a été marquée par la bataille sur la commercialisation du médicament. Quels sont les grands chantiers à venir ?
B. L. 2014 verra tout d’abord l’aboutissement de l’enquête sectorielle sur le transport par autocars : notre avis fera fruit des contributions reçues dans le cadre de la consultation publique initiée en novembre dernier, de manière à affiner, le cas échéant, nos recommandations portant sur le cadre réglementaire. La santé restera également au cœur de nos préoccupations, notamment sur la question des entraves à l’entrée des génériques sur le marché.
Il en est de même du secteur des télécommunications. Nous avons rendu un avis important sur la mutualisation des infrastructures et l'itinérance mobile en mars 2013 et nous restons attentifs à ce que les démarches des opérateurs s'inscrivent dans ces lignes directrices.
Enfin, l’Autorité a lancé il y a quelques jours une nouvelle enquête sectorielle sur la normalisation et la certification, afin d’évaluer les restrictions possibles résultant de la norme elle-même, de son processus d’élaboration mais également, à l’aval, des conditions de la certification.
Bruno Lasserre. Les sanctions prononcées par l’Autorité de la concurrence obéissent à une triple exigence légale de dissuasion, de proportionnalité et d’individualisation, ce qui ne lui ôte pas la possibilité de se montrer pragmatique en ayant recours à l’ensemble des flexibilités offertes par son communiqué sur les sanctions, par exemple au regard de la faible capacité contributive d’une entreprise – 19 demandes de réduction accueillies à ce titre depuis 2012.
Dans le même temps, c’est bien le risque de sanction qui crée les incitations, pour les entreprises, à chercher une voie négociée, en amont par le jeu de la procédure d’engagements ou en aval, en renonçant à contester les griefs.
Les engagements obtenus l’année passée et visant à restaurer la concurrence dans les secteurs du fret maritime ou des cartes de paiement démontrent que le pouvoir de sanction ne s’exerce pas au détriment des solutions négociées. C’est le cas également de la procédure de non-contestation des griefs, qui demeure attractive : elle a été mise en œuvre dans quatre affaires en 2013 – sur huit décisions de sanction antitrust.
Décideurs. Quel sera l'impact de l'instauration des class actions sur l'activité de l'Autorité de la concurrence ?
B. L. L’action de groupe « à la française », qui sera instaurée prochainement, est en réalité très éloignée des « class actions ». Elle reflète, d’une part, un équilibre entre l’accès à la justice et la prévention des actions abusives, le dispositif étant assorti de précautions utiles et bienvenues, en particulier via un mécanisme d’ « opt in ». Elle prend appui, d’autre part, sur les décisions de l’Autorité de la concurrence, ce qui offre des avantages pour l’ensemble des acteurs de la procédure, en termes de sécurité juridique et d’allègement de la charge de la preuve.
C’est une avancée importante pour les consommateurs, que le Conseil de la concurrence avait soutenue dès 2006. Elle participe de l’effectivité du droit à réparation, objectif distinct et complémentaire de la mission de l’Autorité qui relève de la protection de l’ordre public économique.
Décideurs. Comment intervenir sur les pratiques verticales, parfois coutumières, et les sanctionner sans trop affecter les filières ?
B. L. L’analyse du contexte économique est inhérente à l’application des règles de concurrence et les décisions de l’Autorité, loin d’être dogmatiques, s’appuient sur une appréciation nuancée, au cas par cas, des pratiques à l’œuvre. Pour autant, il importe également d’identifier les lignes rouges qu’il convient en principe de ne pas franchir, de manière à orienter les comportements des entreprises pour l’avenir.
En matière de restrictions verticales, la pratique de l’Autorité relative à la vente en ligne dans le cadre d’un réseau de distribution sélective illustre cette recherche d’un point d’équilibre. En l’espèce, il a fallu concilier la liberté d’organisation, par la tête de réseau, de la distribution de ses produits ou services, d’une part, et le maintien d’une concurrence effective entre distributeurs, d’autre part. En termes concrets, si l’interdiction générale et absolue de la vente sur internet est une ligne à ne pas franchir, conditionner l’agrément d’un distributeur à la détention d’un point de vente physique constitue en principe une pratique légitime.
Décideurs. 2013 a été marquée par la bataille sur la commercialisation du médicament. Quels sont les grands chantiers à venir ?
B. L. 2014 verra tout d’abord l’aboutissement de l’enquête sectorielle sur le transport par autocars : notre avis fera fruit des contributions reçues dans le cadre de la consultation publique initiée en novembre dernier, de manière à affiner, le cas échéant, nos recommandations portant sur le cadre réglementaire. La santé restera également au cœur de nos préoccupations, notamment sur la question des entraves à l’entrée des génériques sur le marché.
Il en est de même du secteur des télécommunications. Nous avons rendu un avis important sur la mutualisation des infrastructures et l'itinérance mobile en mars 2013 et nous restons attentifs à ce que les démarches des opérateurs s'inscrivent dans ces lignes directrices.
Enfin, l’Autorité a lancé il y a quelques jours une nouvelle enquête sectorielle sur la normalisation et la certification, afin d’évaluer les restrictions possibles résultant de la norme elle-même, de son processus d’élaboration mais également, à l’aval, des conditions de la certification.