Le débat entre les quatre finalistes à l’élection du bâtonnat 2015 est à l’image de la campagne : des oppositions de personnalités pour un ralliement sur le fond.
Bref rappel des profils qui s’affrontent. David Gordon-Krief est avocat fondateur du cabinet SBKG & Associés, structure indépendante multiservice qui se démarque notamment de ses concurrents par une belle mixité homme/femme au sein des associés (quatre femmes parmi les dix associés). C’est le cas également dans le cabinet d’Hubert Flichy – Flichy Grangé & Associés –, un des plus importants cabinets de niche en droit social, onze des vingt associés sont des femmes.
Frédéric Sicard est lui aussi un avocat spécialisé en droit du travail. Associé dans le cabinet de l’ancien bâtonnier Dominique de La Garanderie, il a exercé en solo durant vingt-huit ans. Il forme un binôme avec Dominique Attias, qui exerce, elle, toujours en indépendante. Son engagement dans la profession a été remarqué par plusieurs mandats au CNB et au Conseil de l’Ordre.

Une variété des profils qui a offert aux téléspectateurs quelques affrontements ouverts lors du débat d’hier. Sur la réforme du code du travail tout d’abord, puisque Frédéric Sicard y travaille depuis le début de sa campagne lancée il y a six mois. Tandis qu’Hubert Flichy, avec son flegme légendaire, s’appuie sur ses dix années d’engagement doctrinal. Sur la diminution du budget de l’Ordre ensuite, lorsque Frédéric Sicard annonce vouloir diminuer de 10 % la somme allouée à son fonctionnement. David Gordon-Krief ne manque pas de le renvoyer dans les cordes avec une ambition d’économies bien plus grande par la création d‘un observatoire pour évaluer chaque dépense et son impact pour les avocats. La tension est palpable, la fatigue se fait ressentir mais les phrases cinglantes fusent, les rires nerveux se font entendre, pour finalement laisser la place au fond.

Sur les sujets plus généraux, les candidats s’accordent pour que les questions de droit soient traitées à la Chancellerie et non à Bercy ! Consensus également sur la réforme des mineurs jugée nécessaire. Il en va de même pour la loi justice du XXIe siècle pour réformer l’organisation des tribunaux, le sujet de la postulation qui doit être abordé solidairement avec les avocats de province ou la « mauvaise » loi sur le renseignement, l’intervention des experts-comptables dans le droit qui doit être bloquée, etc. À tel point que la journaliste Perrine Tarneaud, qui animait le débat, en est venue à la question tant attendue : « Mais finalement, qu’est-ce qui vous distingue ? »
Aucune réponse franche à cette question. Seul un public averti repère les divergences. Elles se situent surtout là où les personnalités s’opposent, là où l’identité prime. Lorsque Sicard/Attias est un binôme de réseau, Gordon-Kief/Flichy est celui du terrain. Les soutiens des anciens bâtonniers sont allés plus nombreux au premier tandis que le ralliement des jeunes s’est fait vers le second.

Individuellement, les quatre personnalités s’opposent. David Gordon-Krief est celui qui est présent partout, qui se lève pour parler haut et fort et revendiquer ce qui lui tient à cœur. Ancien président de l’UJA, il connaît le combat au front. Hubert Flichy est sa caution « bon père de famille » plongé très tôt dans l’entrepreneuriat. Ancien dirigeant de la pratique droit social chez Gide, il fonde ensuite avec Joël Grangé son cabinet qui réunit aujourd’hui soixante-dix avocats. Il crée également cette année le premier tribunal arbitral en droit du travail. Frédéric Sicard, déjà candidat il y a deux ans, est calme et mystérieux. Quinze ans d’enseignement et une série de mandats au CNB et à l’Ordre lui confèrent un trait particulièrement institutionnel. Enfin, Dominique Attias est la femme que les avocats connaissent. Elle est celle pour qui concilier vie personnelle et vie professionnelle semble facile.

Quels sont les reports de voix ? Nathalie Attias, confirmant son absence de parenté avec Dominique, a rapidement appelé à voter Gordon-Krief/Flichy. Elle soutient un binôme dont les idées réformistes sont proches des siennes sur la collaboration, les femmes et la gouvernance notamment. Bien sûr, Laurent Martinet, qui a perturbé le déroulé de la campagne en présentant sa candidature en janvier, n’a formulé aucun report de ses 1 457 voix. Certains se sont même portés candidats par la seule motivation de contrer le vice-bâtonnier. C’est le cas de Patrice Rembauville-Nicolle qui n’appelle pas au vote. Reste Jean-Louis Bessis. Son très haut score de 2 248 voix est le signe du ras-le-bol d’un grand nombre d’avocats. L’outsider, qui se présente pour la troisième fois, a su rassembler autour de l’idée d’une élection trop éloignée de leurs préoccupations. Contre toute attente, il appelle au report et choisit Sicard/Attias. La différence se fera par la sollicitation des abstentionnistes, qui rassemblent encore cette année plus de la moitié des avocats parisiens.

La campagne n’a pas été de tout repos.
On est habitué à la virulence des avocats et aux guerres intestines qui font passer au second plan les vrais sujets. Mais de confession même du staff de l’Ordre, jamais on n’a vu telle pagaille : neuf binômes ou candidats, un changement de calendrier, une candidature ultra-contestée du vice-bâtonnier, des candidatures d’opposition ou au dernier moment… Les avocats ont été nombreux à se plaindre de l’invasion des messages de campagne dans leurs boîtes mails. Un compte twitter, @TriumVirat2016, a même été créé pour cadencer la campagne digitale de railleries et de dérision à tout-va. Bien des avocats ont choisi le mode passif. À eux de reconnaître les vrais engagements bien présents en début de campagne.

Pascale D’Amore

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