Le nouveau président du Conseil supérieur du notariat revient sur les projets gouvernementaux et ceux des notaires.
Directement concernés par la réforme Macron, les notaires comptent faire entendre une seule voix devant les pouvoirs publics. Pierre-Luc Vogel, élu en octobre dernier à la tête du Conseil supérieur du notariat, revient sur les projets des notaires.

Décideurs. À l’heure où le projet de loi Macron est discuté devant l’Assemblée nationale, dans quel état d’esprit êtes-vous ?
Pierre-Luc Vogel.
Nous sommes toujours en colère. Nous ne demandons aucune bienveillance particulière de la part des pouvoirs publics mais critiquons les méthodes du ministère de l’Économie qui a privilégié son objectif de calendrier au détriment de la concertation. Le meilleur témoin en est le ministère de la Justice qui a assisté à ces entretiens. Nous sommes favorables à une réforme mais celle qui nous est proposée ne peut pas emporter l'adhésion des professions réglementées. Nous avons manifesté pour la première fois de l’histoire de notre profession et changeons dorénavant la forme de notre protestation – la manifestation du 22 janvier place de la République a été annulée en raison des attentats du 11 janvier – en excluant toute prise en otage de nos clients.
Notre combat n’est pas corporatiste. Nous pratiquons le lobbying en toute transparence pour défendre la profession. Nous sommes par exemple d’accord avec la députée Untermaier dont certaines de ses propositions sont en adéquation avec les propositions des notaires. Nous serons mobilisés pendant la phase parlementaire qui devrait permettre d’améliorer le texte.

Décideurs. Quelle réforme souhaitez-vous ?
P.-L. V.
Nous avons réalisé une étude d’impact puisque le gouvernement n’a pas pris la peine de le faire. Basée sur une prospective de la baisse des tarifs, elle démontre qu’en l’état, ce projet de loi menace 15 000 emplois. Nous le critiquons donc vivement. Une comparaison avec le système néerlandais, qui a adopté le même type de réforme, est éloquente : diminution d’un tiers du nombre de collaborateurs et augmentation à deux chiffres du prix des actes en droit de la famille.
Nous souhaitons au contraire dynamiser la profession et favoriser les plus jeunes avec la création de trois cents nouveaux offices notariaux et l’accueil de mille notaires en trois ans. Cela constitue une forte croissance de notre profession qui compte aujourd’hui 4 600 offices pour 9 600 notaires.
Nous sommes par ailleurs d’accord avec la liberté d’installation proposée par la réforme Macron mais uniquement dans les secteurs carencés. Il ne s’agit pas de faire des grandes métropoles des zones de saturation, ce qui mettrait en péril l’activité de certains offices.
Je souhaite rappeler que la densité notariale en France, 14 notaires pour 100.000 habitants, est la plus forte en Europe.

Décideurs. L’Autorité de la concurrence a émis un avis le 9 janvier, notamment sur le tarif des actes. Êtes-vous d’accord avec son analyse ?
P.-L. V.
L’Autorité de la concurrence souhaite utiliser la méthode du « cost plus » pour déterminer la nouvelle grille tarifaire, mais cette méthode ne convient pas aux actes notariaux. Nous demandons l’application d’un tarif proportionnel pour assurer une péréquation entre les actes en équilibre et ceux à perte. Par exemple, les contrats de mariage sont réalisés à perte pour le notaire : 195 euros pour deux entretiens, le conseil juridique, la rédaction de l’acte puis les formalités administratives. Il en est de même pour les actes de notoriété en cas de décès (58,50 euros).
L’Autorité de la concurrence propose de distinguer les actes sans capitaux exprimés, les actes sur capitaux jusqu’à un certain seuil puis ceux qui le dépassent, en instaurant un système proportionnel qui servira à alimenter un fonds de péréquation pour soutenir les actes courants et l’aide juridictionnelle. Elle propose également de créer un corridor tarifaire, pour les actes les plus importants, qui permet de faire varier le tarif dans une proportion de 1/6e au-dessus ou en dessous. Avec cette palette de tarifs, je m’inquiète de la mise en péril de l’équilibre économique des offices.
Quant au projet de loi Macron, son texte est difficile à comprendre et dépend des décrets d’application dont nous ne connaissons pas la teneur.

Décideurs. Et s’agissant de l’interprofessionnalité ?
P.-L. V.
Je veux combattre la pensée unique selon laquelle l’interprofessionnalité serait signe de modernité. Les notaires ont déjà à leur disposition une interprofessionnalité de capitaux grâce aux SPFPL (sociétés de participation financière des professions libérales) créées en mars 2014. Laissons à cette nouvelle forme de structure capitalistique le temps de s’établir avant de chercher d’autres formes d’interprofessionnalité. Le rôle spécifique des notaires a été souligné par l’économiste Robert Shiller : s’il y avait eu des notaires aux États-Unis, la crise des subprimes n’aurait pas eu cette ampleur. J’ai eu encore récemment la preuve de l’efficacité de notre système actuel dans un dossier de transmission d’entreprise : je suis intervenu aux côtés d’un avocat et d’un expert-comptable. Chacun de nous a apporté son expertise sans problème de coût ou de délai. La fusion de professions du droit n’apporterait aucune amélioration du traitement des dossiers. Nous devons conserver notre spécificité, celle de notre statut , de notre déontologie et de nos méthodes de travail. Elle constitue notre ADN. Par exemple, nous luttons contre le blanchiment d’argent, les avocats le refusent. Nous n’exerçons pas le même métier même si nous sommes aujourd'hui réunis dans la lutte face à cette réforme.

Décideurs. Pourtant, certains grands offices notariaux fédèrent déjà sous la même marque. De leur côté, les Big 4 ont la profondeur économique pour absorber les professions du chiffre et du droit. Les notaires n’auraient-ils pas intérêt à prendre les devants ?
P.-L. V.
Nous sommes opposés à l’interprofessionnalité d’exercice mais pas capitalistique ! Je salue d’ailleurs la modernité des réseaux créés par les offices les plus entrepreneuriaux, mais ils ne sont que des réseaux. Selon Bercy, l’ouverture des capitaux de nos structures serait un facteur de développement et de modernisation, notamment sans le secteur technologique. Nous ne les avons pas attendus puisque les notaires sont à la pointe de la technologie avec notamment la signature électronique et l'acte authentique électronique Fin 2015, la moitié des offices de France en seront équipés !

Propos recueillis par Pascale D'Amore
Crédit photo : Romuald Meigneux


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