Par Laurent Lazard, avocat associé. Bonn Steichen & Partners
Face à la pression conjointe du Groupe d’action financière (Gafi) et du Forum mondial sur la transparence, le Luxembourg a modifié le régime des actions au porteur afin de faciliter l'identification des bénéficiaires économiques de la société émettrice. Les nouvelles règles mènent un peu plus encore le Luxembourg vers la transparence voulue dans les opérations internationales tout en maintenant une confidentialité parfois nécessaire dans les affaires.

Le législateur luxembourgeois a récemment donné suite aux recommandations du Gafi faites une première fois en 2010 et précisées en?2012 et?2013. Dans un rapport d’évaluation du 19?février 2010, le Gafi a conseillé au Luxembourg de mettre en œuvre des «?mesures appropriées afin d’assurer la transparence de l’actionnariat des sociétés anonymes et des sociétés en commandite par actions ayant émis des actions au porteur?». Le Gafi a considéré que la législation luxembourgeoise en matière d'actions au porteur était incompatible avec les objectifs de la lutte contre le blanchiment. À cela s’est ajoutée la législation américaine Fatca qui prescrit d’étendre l’immobilisation aux actions et parts au porteur émises par les sociétés et fonds d’investissement. Avec l’entrée en vigueur de la nouvelle loi du 28?juillet 2014 (la loi), les actions au porteur seront dorénavant immobilisées auprès d’un dépositaire professionnel qui sera soumis aux obligations applicables en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Le Grand-Duché a choisi un système hybride qui d’un côté maintient le concept d’actions au porteur mais de l’autre modifie de manière fondamentale ses spécificités juridiques. Le gouvernement luxembourgeois a retenu l’option de l’immobilisation des actions au porteur car elle permet à la fois de préserver la confidentialité des données vis-à-vis des tiers et des autres actionnaires de la société émettrice et de collecter les informations relatives à l’identité des actionnaires au porteur pour les mettre à disposition des autorités judiciaires et fiscales dans les cas prévus par la loi.

Champ d’application de la nouvelle législation
La loi s’applique aux actions au porteur des sociétés anonymes et des sociétés en commandite par actions. Ces deux types de sociétés sont également couverts par la loi lorsqu'ils sont utilisés en tant que véhicules d’investissement spécifiques (Sicav, Sicaf ou Sicar). De même, les fonds d’investissement (FCP et FIS) pour lesquels la société de gestion émet des titres au porteur sont visés par la loi.

Dépositaire des actions au porteur
La loi énumère de façon limitative les personnes pouvant agir comme dépositaire. Elles ont en commun d’exercer une profession réglementée et elles doivent être établies au Luxembourg. Les actionnaires de la société émettrice ne sont pas habilités à exercer la fonction de dépositaire. Peuvent être désignés comme dépositaire par l’organe de gestion de la société émettrice les personnes suivantes : (i) établissements de crédit, (ii) gérants de fortune, (iii) distributeurs de parts d’OPC, (iv) PSF (professionnels du secteur financier) spécialisés suivants : Family Office, domiciliataires de sociétés, professionnels effectuant des services de constitution ou de gestion de sociétés, agents teneurs de registre ou dépositaires professionnels d’instruments financiers, (v) avocats à la Cour inscrits sur la liste I et les avocats européens inscrits sur la liste IV du tableau des avocats, (vi) notaires ; (vii) réviseurs d’entreprises et réviseurs d’entreprises agréés et (viii) experts-comptables. Les actions au porteur doivent être déposées auprès d’un dépositaire, lequel les détient pour compte de l’actionnaire qui en est propriétaire. Le dépositaire est tenu de maintenir un registre des actions au porteur au Luxembourg et d’y consigner le nom de chaque actionnaire, le nombre des actions ou coupures, la date du dépôt et les transferts avec leur date ou la conversion des actions en titres nominatifs. Chaque actionnaire au porteur est en droit de prendre connaissance uniquement des inscriptions qui le concernent. La cession de l’action au porteur ne s’opère plus par la remise du titre puisque celui-ci doit rester immobilisé auprès du dépositaire. Dorénavant, elle est rendue opposable aux tiers par l'inscription du transfert sur le registre. La loi s’applique aussi bien aux nouvelles émissions d’actions au porteur qu’à celles déjà en circulation. Les émetteurs d’actions au porteur en circulation doivent nommer un dépositaire dans les six mois à compter de l’entrée en vigueur de la loi (le 17?août 2014) et les actions au porteur sont à déposer chez ce dépositaire dans les dix-huit mois à compter de l’entrée en vigueur de la loi sous peine de sanctions pénales et de déchéance des droits des actionnaires. Les droits de vote attachés aux actions au porteur qui n'auront pas été immobilisées dans un délai de six mois à compter de l'entrée en vigueur de la loi seront automatiquement suspendus à l'expiration de ce délai jusqu'à leur immobilisation. À l'expiration de ce même délai, les distributions seront différées jusqu'à la date d'immobilisation, à condition que les droits à la distribution ne soient pas prescrits, et sans qu'il y ait lieu à paiement d'intérêts. Les actions dont le droit de vote est suspendu, ne seront pas prises en compte pour le calcul du quorum et des majorités au cours des assemblées générales. Les titulaires de ces actions ne seront pas admis à ces assemblées générales. Les actions au porteur qui n'auront pas été immobilisées dans un délai de dix-huit mois à compter de l'entrée en vigueur de la loi devront être annulées et il devra être procédé à une réduction du capital souscrit d'un montant correspondant. Étant donné que les actions font souvent l’objet d’un gage dans des opérations de financement, la loi relative aux garanties financières a été modifiée pour préciser que la dépossession d’instruments financiers au porteur déposés auprès d’un dépositaire peut être établie par une inscription du gage en marge de l’inscription des instruments financiers sur le registre du dépositaire.

Sanctions pénales
La loi prévoit des amendes pouvant aller de 5 000?euros à 125 000?euros notamment pour les gérants et les administrateurs qui sciemment n’ont pas désigné de dépositaire ou n’appliquent pas les sanctions prévues par la loi à l’égard des actionnaires en cas d’immobilisation tardive des actions au porteur. Les dépositaires pourront également se voir infliger des amendes pénales en cas de non-respect des obligations mises à leur charge par la loi.

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