«?L’objectif de la Commission est aussi de faire peur?»
Décideurs. Après deux années à la tête de la Commission des sanctions de l’AMF, vous quittez votre poste en novembre. Quel regard posez-vous sur votre présidence ?
Claude Nocquet.
Après avoir, comme magistrate, exercé pendant plus de quinze ans des fonctions de juge d’instruction et de président de chambres correctionnelles spécialisées dans le droit pénal
des affaires, j’ai intégré la Commission des sanctions de l’AMF en 2003 et j’en suis devenue présidente en 2011.
Dès mon arrivée, j’ai apprécié la diversité des expériences des membres qui la composent. Outre deux conseillers à la Cour de cassation et deux conseillers d’État, six de ses membres proviennent des secteurs de la bourse ou de la finance, auxquels s’ajoutent deux représentants des personnels concernés. Tous sont désignés pour une durée de cinq ans renouvelable une fois, de sorte qu’ils bénéficient de garanties d’indépendance indiscutables.
Aujourd’hui, alors que mon mandat s’achève, j’ai le sentiment que nous avons, avec une liberté d’esprit totale, atteint une certaine efficacité, dans le respect des principes fondamentaux du droit. Durant les dix premières années de son existence, la Commission a sanctionné les deux tiers des personnes – physiques et morales – attraites devant elle et mis les autres hors de cause ; 75?% des décisions frappées d’appel ont été confirmées par les juridictions de recours.

Décideurs. La Commission fête ses dix ans d’existence cette année. Quelles en ont été les étapes clés ?
C.?N.
La naissance de la Commission des sanctions de l’AMF est l’une des conséquences de l’arrêt Oury rendu en 1999, dans la droite ligne des principes de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). Il s’agissait de mettre fin au cumul des fonctions de poursuite et de jugement. Tel a notamment été l’objet de la loi de sécurité financière du 1er?août 2003 qui a créé l’AMF et institué, à côté du Collège, autorité de poursuite, la Commission des sanctions, autorité de jugement.
À l’époque, nous avons été des pionniers, et il nous a fallu faire preuve d’imagination. Petit à petit, notre mode de fonctionnement s’est affiné et structuré. En 2008, le contradictoire a été renforcé avec la possibilité, pour le représentant du Collège qui a notifié les griefs, de faire valoir son point de vue lors de la séance de jugement. S’est ainsi instauré un véritable débat entre l’accusation et la défense. Autre étape marquante, la réforme de 2010 qui a donné au président de l’AMF la possibilité d’exercer un recours contre les décisions de la Commission et qui a permis d’ouvrir les séances au public. Ce qui a contribué à une plus grande transparence.

Décideurs. La Commission est-elle devenue un tribunal ?
C.?N.
La Commission est effectivement devenue un véritable «?tribunal?» des marchés financiers au sens de l’article 6 de la CEDH. Les réformes successives ont permis d’améliorer les droits de la défense, d’assurer un «?procès équitable?» et de renforcer le principe d’impartialité. Pour autant, il serait réducteur de considérer uniquement la Commission comme un organe répressif. Dans un domaine où la réglementation est très mouvante, dire le droit, c’est mieux faire connaître les règles. Nous effectuons un important travail d’information, grâce à la publication de nos décisions et à l’édition d’un ouvrage annuel sur les orientations principales de la jurisprudence. Cette volonté de pédagogie et d’exemplarité devrait avoir une vertu dissuasive. Du moins est-il permis de l’espérer !

Décideurs. Pourtant les méthodes d’instruction actuelles suscitent des polémiques parmi les avocats. Pourquoi ?
C.?N.
C’est un peu la règle du genre. Pourtant, ces dernières années, les droits de la défense ont été significativement augmentés, et cela tout au long de la procédure. Ainsi, les personnes susceptibles d’être poursuivies peuvent faire valoir leurs arguments dès la fin de l’enquête et avant même que le Collège ne se prononce sur l’ouverture éventuelle d’une procédure de sanction. Dans le cas où des griefs leur sont notifiés, les mis en cause et leurs avocats disposent d’un délai pour formuler leurs observations. Ils peuvent en outre demander toute investigation utile et ont le droit d’être entendus par le rapporteur, qui instruit le dossier à charge et à décharge. Puis ils ont un délai pour présenter leurs arguments en réponse au rapport de ce dernier. Enfin, lors de la séance, s’ouvre la phase publique durant laquelle ils présentent leur défense.

Décideurs. Pensez-vous que la justice financière doit être plus dure avec les fraudeurs ?
C.?N.
La priorité est de dissuader par l’exemplarité et de lutter contre la récidive. Par exemple, lorsqu’elle sanctionne une opération d’initié, la Commission tient compte de plusieurs critères : la qualité de l’initié, selon qu’il détient l’information du fait de ses fonctions ou pas, le montant des profits réalisés ou des pertes évitées, auquel est appliqué un coefficient multiplicateur variant, le plus souvent, entre 2 et 5, la situation financière de l’intéressé…
De manière plus générale, pour déterminer la sanction, sont pris en compte, au titre de circonstances atténuantes, les remèdes apportés aux dysfonctionnements ou la réparation des préjudices résultant du manquement ; à l’inverse, constitue une circonstance aggravante l’existence de peines ou sanctions prononcées dans les cinq ans précédant les faits à l’encontre du mis en cause, regardé comme une sorte de «?récidiviste?». Aujourd’hui, avec le relèvement du plafond des sanctions à 100?millions d’euros, nous devrions pouvoir atteindre ces objectifs de dissuasion et de prévention de la récidive. Pour cela la Commission doit aussi faire peur.

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