Par Philippe Bouchez El Ghozi, avocat associé. Paul Hastings
 Le récent rapport de l’OCDE dresse un constat accablant de la lutte anticorruption en France et impose des améliorations concrètes attendues dès la fin de l’année 2013, obligeant d’autant les entreprises françaises à anticiper cette évolution dans un contexte international où les normes anglo-saxonnes peuvent conduire à écarter ces dernières de marchés stratégiques.

À l’heure où le Royaume-Uni a mis en œuvre, par le UK Bribery Act, la réglementation la plus sévère au monde en matière de lutte contre la corruption et où les États-Unis viennent d’apporter le 14?novembre 2012 des précisions au Foreign Corrupt Practice Acts (FCPA), la France vient de subir de vigoureuses critiques en la matière par l’OCDE.

Un constat accablant
Par un rapport du 23 octobre 2012, l’OCDE dresse un tableau accablant pour la France en matière de lutte contre la corruption. Sont ainsi notamment relevés :

Un nombre très faible de condamnations : seules trois condamnations définitives ont été prononcées du chef de corruption d’agents publics étrangers ;
Une faible mobilisation des procureurs  : 23 procédures sur les seules 33 qui ont été engagées de ce dernier chef sont toujours pendantes. Ces procédures ont souvent été initiées sur la base de communications transmises par l’organisme antiblanchiment Tracfin, confirmant que la corruption est sœur jumelle du blanchiment et que l’arsenal efficace mis en œuvre pour lutter contre cette dernière pourrait aisément permettre d’identifier des faits constitutifs de corruption ;
Une échelle des peines peu dissuasive au regard des profits susceptibles d’être engendrés : des amendes de quelques dizaines à centaines de milliers d’euros valent peu en contrepartie des profits générés par la corruption représentant jusqu’à des centaines de millions d’euros ;
Une faible détection des faits susceptibles de constituer le délit de corruption d’agents publics étrangers : l’OCDE invite la France à faire respecter davantage par ses administrations l’article 40 du Code procédure pénale qui impose à tout fonctionnaire d’informer le Procureur de la République des faits délictueux dont il peut avoir connaissance dans le cadre de ses fonctions ;
Une insuffisance des moyens humains et financiers dévolus à cette lutte : la baisse chronique depuis plusieurs années des effectifs affectés aux dossiers de lutte contre la corruption est soulignée ;
Des dispositions du Code pénal critiquables : qu’il s’agisse (i) de l’article 113-5 du Code pénal qui soumet les poursuites du complice en France d’un délit commis à l’étranger à une condition de réciprocité - ce qui constitue un obstacle à la reconnaissance de la responsabilité pénale des personnes morales -, (ii) de l’exigence de réciprocité de l’incrimination prévue par l’article 113-6 dudit code, conditionnant l’application de la loi pénale française aux délits commis par des Français hors du territoire national à ce que ces faits soient punis par la législation du pays où ils ont été commis - ce qui contrevient à la Convention OCDE - ou encore (iii) de l’absence d’incrimination du trafic d’influence en direction d’un agent public étranger, l’OCDE met en exergue les insuffisances du droit français en soulignant l’urgence de mettre en œuvre les réformes nécessaires ;
Un dévoiement des poursuites : en privilégiant la poursuite de faits constitutifs de corruption par la qualification de l’abus de biens sociaux (ABS), les personnes morales se retrouvent en situation de victimes de l’ABS ainsi commis à leur préjudice quand la qualification de corruption permettrait, au contraire, leur mise en cause ;
Une absence d’indépendance du Parquet : le monopole des poursuites en matière de corruption d’agent public étranger non membre de l’Union européenne et le principe d’opportunité des poursuites sont tancés en soulignant notamment «la grande frilosité dont fait preuve le parquet lorsque des informations lui parviennent par d’autres voies que celles «officielles», telle que la presse».
Par ces critiques cinglantes, la France se retrouve ainsi sur le banc des mauvais élèves des pays adhérents à la Convention OCDE. Certains pourraient, dans l’ombre, se réjouir d’une telle situation, considérant que ce constat permet de privilégier la poursuite de pratiques antérieures, sans véritables craintes quant à leurs conséquences effectives. Ce serait faire montre d’une profonde erreur d’analyse.

Une guerre économique avec des armes juridiques

En effet, si le FCPA dicte pour les États-Unis, depuis 1977, le modèle à suivre des exigences de conformité attendues des entreprises et si le UK Bribery Act britannique accentue encore davantage la rigueur d’un référentiel de conformité qui s’impose aux entreprises françaises dans un environnement des affaires mondialisé, il apparaît que l’influence de ces normes américaines et britanniques va croissant, aggravant d’autant le risque pour les grandes entreprises françaises d’être sanctionnées à l’aune de ces normes, parfois mal appréhendées ou tout simplement même non connues. Beaucoup en sont ainsi encore à la simple mise en œuvre de chartes d’éthiques et autres systèmes d’alertes qui seront appréciés avec saveur par des autorités étrangères dont il peut être considéré qu’elles participent parfois d’une forme de «patriotisme économique» : ainsi, la majorité des entreprises sanctionnées au titre du FCPA s’avèrent «étrangement» être «étrangères»...
Et l’adoption récente du UK Bribery Act est née d’un scandale lié à une certaine affaire dont les poursuites avaient été interrompues pour privilégier les intérêts de la Couronne, ouvrant le flanc à de nombreuses critiques sur ce «fait» non pas du «Prince» mais de la «Reine», susceptibles à terme de mettre en péril les intérêts économiques britanniques, d’où une législation qui a «pris les devants».
Ces normes anglo-saxonnes deviennent ainsi une véritable arme de guerre économique en faveur des États-Unis et du Royaume-Uni, accroissant ainsi les disparités avec les sociétés françaises, où l’absence de règles nationales sur ce sujet participe d’un déficit de compétitivité au motif que leurs dispositifs de conformité ne sont pas alignés et font ainsi encourir un risque à leurs partenaires, qui écarteront alors ces entreprises des appels d’offres ou des alliances stratégiques au profit d’entreprises dotés de programmes de conformité véritablement performants, à partir des seuls critères anglo-saxons.
À l’heure où chacun vérifie l’autre avant, pendant et après la signature du contrat, seules les entreprises pourvues de dispositifs anti-corruption avancés peuvent en tirer les bénéfices en ne craignant pas d’être écartées du marché, ou pire, de voir celui-ci être attaqué a posteriori sur ces motifs, parfois malicieux mais souvent efficaces.
Le rappel à l’ordre fait par l’OCDE à la France doit conduire celle-ci à apporter des améliorations attendues dès octobre 2013, rendant d’autant plus urgente l’anticipation par les entreprises françaises des nouvelles contraintes qui vont ainsi peser sur elles à court terme.


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