Par François Berbinau, avocat associé. BFPL Avocats
Après plus de vingt ans de tergiversation, l’introduction de l’action de groupe en droit français annoncée par le Garde des Sceaux pourrait bien voir enfin le jour. Entre fantasmes et réalités juridiques, les effets d’une procédure de class action attendus par les uns et redoutés par les autres doivent être appréciés au regard des contraintes du corpus constitutionnel et législatif national.

Parfois qualifiée de véritable serpent de mer en raison de la récurrence des débats dont elle a fait l’objet, l’introduction d’une forme de class action dans l’ordonnancement juridique français a suscité des avis très partagés parmi les acteurs économiques, juridiques et institutionnels, transcendant même les clivages politiques.
Parmi les opposants les plus farouches, le Medef a évoqué des risques de « dérives » ; la directrice juridique du Mouvement s’est insurgée en 2006 devant la Commission des lois du Sénat contre les arguments avancés par les partisans de l’action de groupe, les qualifiant de « contre-vérités » et invitant le législateur à réaliser une étude d’impact sur les conséquences économiques des class actions. Le risque le plus régulièrement dénoncé est celui d’un chantage judiciaire exercé contre les entreprises du fait de la menace que représente une class action, même infondée. Les entreprises dénoncent également le détournement de l’objet des class action et la confiscation par les avocats spécialisés dans la conduite de telles procédures de la plupart des bénéfices financiers au terme, le plus souvent, d’accords transactionnels.
De leur côté, les associations de consommateurs dont l’UFC Que Choisir, soutenues par de nombreuses personnalités, revendiquent le droit pour les consommateurs de disposer d’une procédure leur permettant d’agir directement et de concert pour limiter « les violations massives » de leurs droits et obtenir réparation de leurs dommages, y compris pour des montants individuels réduits.
Mais au-delà des arguments passionnés avancés de part et d’autre, la question des contours que pourrait prendre une procédure d’action de groupe en France se heurte à un certain nombre d’obstacles juridiques, voire culturels.

Class action US : inadaptable au régime juridique français ?

Les craintes que nourrissent les entreprises à l’égard de l’action de groupe tiennent en réalité pour l’essentiel à l’exemple américain, tout à la fois travesti et promu par des auteurs à succès («The King of Torts » de John Grisham) et par le cinéma hollywoodien (« Erin Brockovich » de Steven Soderbergh).
En effet, plusieurs caractéristiques du système judiciaire américain donnent un certain crédit aux angoisses des dirigeants d’entreprises face à la perspective d’une class action telle qu’elle se pratique Outre-Atlantique. L’efficacité ou le danger de cette procédure, selon le point de vue adopté, résulte de la combinaison des cinq facteurs suivants :

- Un mécanisme d’opt-out, qui permet à toute personne de saisir une juridiction d’une demande en réparation tant pour elle-même que pour un groupe
(une « class »), dont les membres font automatiquement partie sauf à manifester le souhait d’en sortir.
- Une procédure de discovery qui permet notamment au demandeur à la class action d’obtenir de la partie adverse toutes informations et documents
« raisonnablement susceptibles de conduire à la découverte de preuves admissibles » et dont la mise en œuvre est très contraignante pour les parties qui y sont soumises.
- Un procès civil soumis à un jury populaire (« jury trial »), ce qui augmente considérablement, selon ses détracteurs, l’aléa judiciaire et les risques de condamnations à des montants exceptionnellement élevés.
- Des dommages et intérêts à caractère punitif («punitive damages ») venant s’ajouter aux dommages compensatoires et qui représentent souvent la plus grande partie des dommages et intérêts accordés.
- Un pacte de quota litis (« contingency fee »), qui autorise les avocats menant la class action, en contrepartie de la prise en charge de l’ensemble des coûts qu’elle génère, à percevoir une part très substantielle des dommages et intérêts obtenus au terme de la procédure ou dans le cadre d’un accord transactionnel.

Or, la simple lecture de ces caractéristiques soulève une quantité d’objections juridiques à l’introduction en droit français d’une procédure d’action de groupe les combinant. Ainsi le mécanisme d’opt-out se heurte-t-il a priori à plusieurs principes souvent considérés comme absolument inaliénables, dont la garantie d’un procès équitable ou celui que résume l’adage « nul ne plaide par procureur ». L’arsenal français permettant de recueillir les preuves détenues par la partie adverse est très éloigné du système de discovery considéré par beaucoup comme trop intrusif. Même si aux grandes heures de la Révolution française, Emmanuel-Joseph Sieyès parvint presque à l’instaurer dans le procès civil, culturellement le jury populaire se conçoit plutôt aujourd’hui en matière pénale. Certes l’introduction de dommages et intérêts punitifs fait régulièrement l’objet de discussions, de même que le pacte de quota litis, mais les résistances demeurent très vives. Quant aux avocats, accusés de soutenir l’avènement de la class action en France pour assouvir un intérêt corporatiste, ils se trouveraient confrontés à des problématiques éminemment complexes de financement et de couverture des risques des procédures qu’ils engageraient.
D’une manière générale, si le législateur français semble désormais majoritairement réceptif à l’idée d’introduire une forme d’action de groupe en France, suivant en cela l’exemple de nombreux autres pays européens, et devançant de possibles futures réglementations européennes que laisse présager le rapport de la Commission européenne de janvier 2012, il n’en va pas de même des aménagements parfois révolutionnaires de plusieurs principes solidement inscrits dans notre tradition que supposerait l’adoption des éléments caractéristiques de la class action américaine.

Autorité de la concurrence et DGCCRF : pouvoirs renforcés ?

En fin de compte, les entreprises ne doivent pas perdre de vue que l’introduction en France d’une procédure d’action de groupe se ferait, le cas échéant, dans le cadre plus général d’une grande loi sur la consommation et la défense des consommateurs, qui verrait sans doute le législateur renforcer très sensiblement les pouvoirs et moyens dont disposent l’Autorité de la concurrence et la DGCCRF, leur permettant de mener des actions in fine plus contraignantes et coûteuses pour certaines entreprises que la mise en œuvre d’une class action à la française.


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