Par Cédric Chanas, avocat associé, et Charlotte Bergeon, avocat. de Pardieu Brocas Maffei
En raison de l'imprécision de la notion d’action de préférence (ADP) et des renvois opérés par les textes, plusieurs incertitudes demeurent en matière d’aménagement du droit de vote, ce qui conduit les praticiens à recourir à des mécanismes divers. Selon l’objectif poursuivi, une société peut ainsi décider d’émettre des ADP à droit de vote renforcé ou des ADP à droit de vote restreint ou supprimé.

Les ADP à droit de vote renforcé

1. Les ADP à droit de vote multiple
Si l’article L.228-11 du code de commerce (c.com) semble permettre la création d’ADP à droit de vote multiple au sein d’une SA, le principe de proportionnalité entre droit de vote et capital (1), auquel l’article L.228-11 renvoie, semble limiter cet aménagement au seul droit de vote double.
En revanche, l’article L.227-1 c.com relatif à la SAS écarte expressément l’application du principe de proportionnalité précité. Certains auteurs considèrent toutefois que, dès lors qu’une SAS fait application du régime des ADP, les articles auxquels le régime des ADP renvoie devraient également être respectés. Cette analyse ne correspond pas à la liberté contractuelle de la SAS, raison pour laquelle la doctrine majoritaire considère que des ADP à droit de vote multiple peuvent être valablement émises par une SAS.
Dans ce contexte incertain, des praticiens préfèrent parfois créer une catégorie d’action plutôt que d’avoir recours aux ADP. Néanmoins, il paraît difficile d’attacher un droit de vote multiple à une catégorie d’action sans que cette dernière ne soit assimilable à une ADP. D’autres décident d’attacher des avantages particuliers à l’actionnaire plutôt qu’à l’action. Une telle pratique présente l’inconvénient de faire disparaître l’avantage particulier en cas de transfert du titre.

2. Les ADP convertibles en actions multiples
Une autre possibilité consiste à prévoir la conversion des ADP en actions ordinaires, selon une parité supérieure à un pour un. Néanmoins, le titulaire dispose alors d’un droit économique en plus du droit de vote, ce qui ne répond pas toujours à l’objectif recherché par les parties. La solution consiste alors à prévoir que les actions issues de la conversion seront des ADP à droit de vote simple sans droit économique, ce qui est permis par l’article L.228-14 c.com.
Aux termes de l’article L.225-128 c.com applicable aux SAS, il est toutefois interdit de souscrire à des actions en dessous de leur valeur nominale. Ce principe implique d’assortir la souscription des ADP initiales d’une prime d’émission d’un montant au moins égal à la somme maximale des valeurs nominales des actions issues de la conversion. En pratique, il est d’usage d’affecter cette prime à un compte de réserve indisponible, souvent dénommé «?réserve de conversion?», destiné à être imputé le jour de la conversion.
Si cette solution semble plus protectrice des droits du titulaire d’ADP, elle ne répond qu’imparfaitement à l’intention des parties lorsqu’il est nécessaire de créer un nombre important d’actions et/ou que leur valeur nominale est élevée. Dans ce cas, le montant de la prime d’émission à verser à titre de réserve de conversion peut s’avérer dissuasif.

3. Les ADP à droit de vote double
Une autre hypothèse consiste à faire bénéficier, à terme, les ADP d’un droit de vote double (DVD) en application de l’article L. 225-123 c.com (2). Selon cet article, le DVD vise toutes les catégories d’actions. Certains auteurs (3) ont alors considéré qu’il était impossible d’accorder des DVD aux seules ADP. Néanmoins, la majorité de la doctrine estime que le renvoi à l’article L.225-123 opéré par l’article L.228-11 c.com n’aurait plus de sens si la création d’ADP à DVD n’était pas possible (4).
Une autre question concerne le maintien du DVD en cas de conversion des ADP. Si la conversion se traduit mécaniquement dans les registres par une suppression des ADP au profit des actions issues de la conversion, l’Association nationale des sociétés par actions (Ansa) a estimé que celle-ci n’avait pas pour effet d’interrompre le délai de deux ans prévu pour le DVD, pour autant que la parité demeure à un pour un (5). En revanche, lorsque la parité est supérieure, il est recommandé de ne pas donner le DVD à la proportion excédant cette parité.

Les ADP à droit de vote restreint ou supprimé

1. Les ADP à droit de vote limité
Selon l’article L. 228-11 c.com, l’émission d’ADP sans droit de vote est limitée à la moitié du capital social de la société (ou le quart si la société est cotée). Selon une interprétation littérale liée notamment à la différence de formulation entre les 2e et 3e alinéas, seules les actions dont le droit de vote aurait été supprimé devraient être comptabilisées, et non les ADP dont le droit de vote aurait été seulement aménagé. Toutefois, une telle interprétation rendrait la limite de capital très facile à contourner (6). Il est donc plus prudent de comptabiliser les ADP dont le droit de vote a été non seulement supprimé mais aussi suspendu ou aménagé.
Par ailleurs, l’émission d’ADP à droit de vote aménagé pose aussi la question d’un éventuel démembrement. Afin d’éviter toutes difficultés, certaines sociétés ont posé l’interdiction du démembrement des ADP dans leurs statuts. Une telle prohibition est incertaine même si le droit de démembrer n’a, à notre connaissance, jamais été jugé comme un droit fondamental
de l’associé.

2. Les ADP sans droit de vote
Certains considèrent qu’une ADP sans droit de vote, assortie de droits minorés, ne peut caractériser une ADP. Dans ce cas, l’émission d’actions sans droit de vote ou à droit de vote minoré ne risque-t-elle pas d’entraîner une requalification corrélative des actions ordinaires en ADP ? La réponse semble négative car la préférence se détermine davantage en comparaison des droits légaux attachés à l’action ordinaire que de façon relative par rapport aux autres titres de la société.
En outre, lorsque des valeurs mobilières donnant à terme accès au capital (VMDAC) ont été émises, toute nouvelle émission d’ADP exige en principe une consultation de la masse (7). Certains considèrent que cette consultation est obligatoire pour toutes les catégories d’ADP, la loi ne distinguant pas selon la nature des droits attachés à l’ADP. À notre sens, et en présence d’une doctrine très partagée (8), cette consultation ne paraît pas justifiée au regard de l’esprit de la loi, puisqu’il n’y a alors pas d’atteinte aux droits des titulaires de VMDAC en cas d’émission d’actions à droits minorés.


1 Article L.225-122 c.com
2 L’actionnaire doit être titulaire d’actions entièrement libérées nominatives depuis deux ans
3 Voir notamment P. Ledoux, «?La nature de la préférence?», Bull. Joly 2006 p.1219
4 Voir notamment B. Mercadal, « Que faire des actions de préférence ? », RJDA 7/06, p. 671
5 Ansa - avis n°08-037
6 J.-J Daigre, « l’aménagement du droit de vote », p.366
7 Articles L.228-98 et L.228-103 c.com
8 Ansa avis n°05-003, n°05-043, n°09-004. Contra H. Le Nabasque, RD Banc. et fin., mars-avr. 2005, n°69, p.36

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