Par Julie Catala Marty, avocat associé. Bird & Bird
L’année 2014 aura été marquée par l’essor des actions indemnitaires en droit de la concurrence avec l’introduction de l’action de groupe et la promulgation d’une directive destinée à faciliter les actions en réparation du préjudice causé par une pratique anticoncurrentielle. Le développement de ces actions indemnitaires constitue un nouveau risque que les entreprises devront appréhender.

La loi «?Hamon?» du 17?mars 2014 dote la France de sa première véritable procédure d’action de groupe. Cette loi prévoit notamment un droit à réparation des préjudices causés aux consommateurs par des pratiques anticoncurrentielles. L’action de groupe n’est pas ouverte aux entreprises qui ne peuvent obtenir réparation du préjudice subi du fait d’une pratique anticoncurrentielle que dans le cadre d’une action en réparation de droit commun. C’est dans le but de faciliter ce dernier type d’action en dommages et intérêts qu’a été adoptée la directive du 26?novembre 2014.
Ces actions dites privées, qu’elles soient collectives ou individuelles, viennent se superposer à la mise en œuvre de l’action publique par les autorités de concurrence et constituent une nouvelle donne à laquelle les entreprises devront s’adapter.

Les recours indemnitaires en droit de la concurrence

L’introduction dans le corpus juridique français d’une procédure d’action de groupe en droit de la concurrence vise à faciliter la mise en jeu de la responsabilité des auteurs de pratiques anticoncurrentielles en permettant à un groupe de consommateurs placés dans une situation identique ou similaire d’intenter une action unique en réparation d’un préjudice subi collectivement. L’introduction de l’action est réservée à l’une des seize associations de consommateurs agréées et le préjudice dont la réparation est demandée ne peut être que d’ordre patrimonial. La spécificité en matière de concurrence réside dans l’instauration d’un régime dit de «?follow-on?», selon lequel l’action ne peut être engagée que sur le fondement d’une décision constatant une pratique anticoncurrentielle. Cette décision, qui établit de manière irréfragable la faute du professionnel, peut émaner de l’Autorité de la concurrence ou de la Commission européenne et doit être définitive. Après avoir apprécié la recevabilité de l’action, le juge statue sur la responsabilité du professionnel. Il détermine le montant du préjudice et définit le groupe ainsi que les modalités pour y adhérer. Le législateur a choisi le système de l’«?opt-in?». Cela signifie que les consommateurs ayant subi un préjudice de nature à s’inscrire dans l’action doivent se manifester auprès de l’association agréée pour adhérer au groupe. L’information des consommateurs susceptibles de rejoindre le groupe est facilitée par les mesures de publicité ordonnées par le juge. À côté de l’action de groupe, les actions individuelles en réparation du préjudice subi du fait de pratiques anticoncurrentielles tendent à se développer. Ces actions, qui ne sont pas réservées aux consommateurs, peuvent être intentées par des entreprises. L’essor des actions indemnitaires est fortement encouragé par l’Union européenne. Ce mouvement a été amorcé par l’arrêt Courage de la Cour de justice de 2001 qui posait explicitement le principe du droit à réparation des victimes de pratiques anticoncurrentielles. Constatant toutefois que sur ces sept dernières années, seulement 25?% des décisions de sanction rendues par la Commission européenne ont donné lieu à des actions en réparation, le Parlement européen a adopté une directive visant à harmoniser les règles nationales régissant l’exercice du droit à réparation du fait d’une pratique anticoncurrentielle. Cette directive vise à lever certains obstacles procéduraux en vue de faciliter les actions indemnitaires. Elle entend notamment faciliter l’obtention des preuves nécessaires pour démontrer le bien-fondé de la demande en dommages et intérêts. Les juridictions nationales pourront ainsi enjoindre aux autorités de concurrence de divulguer des éléments de preuve. Ces divulgations devront être proportionnées et les informations confidentielles protégées, ce qui exclut notamment les déclarations volontaires des entreprises en vue d’obtenir la clémence.

Quels impacts pour les entreprises ?
La directive du 26?novembre 2014 ne lève pas tous les obstacles procéduraux au développement des actions indemnitaires qui restent encore peu nombreuses. Le dispositif retenu en matière d’action de groupe soulève par ailleurs un certain nombre de questions pratiques qui peuvent faire douter de son efficacité. Il est notamment possible de s’interroger, quand on connaît les délais de procédure en concurrence, sur l’efficacité d’un recours qui ne peut être introduit que lorsque la décision sanctionnant la pratique anticoncurrentielle est devenue définitive. Il n’en demeure pas moins que les auteurs de pratiques anticoncurrentielles devront désormais composer avec le risque d’un recours indemnitaire. Ces procédures auront bien évidemment un impact financier lié au coût de la procédure en tant que telle et au coût d’une éventuelle indemnisation. Au-delà de l’impact financier, qui ne sera significatif que si l’action aboutit, le développement des actions civiles en concurrence devrait impacter l’organisation même des entreprises. Celles-ci devront, tout d’abord, améliorer leur système de prévention des risques. Il s’agira bien évidemment, en premier lieu, de mettre en place (ou d’améliorer) un programme de conformité afin d’éviter autant que possible d’enfreindre le droit de la concurrence. Il s’agira, ensuite, si l’infraction n’a pu être évitée, de mettre en place des procédures internes susceptibles de détecter et de traiter au plus vite d’éventuelles plaintes de clients mécontents. Les services après-vente pourront à cet égard jouer un rôle important dans la prévention des actions de groupe. Au-delà de l’anticipation des risques, les entreprises devront être à même de faire face à l’annonce de l’introduction d’un recours indemnitaire susceptible d’affecter leur réputation et donc de déployer efficacement une communication de crise. Nul doute, qu’à l’instar des quatre actions de groupe intentées depuis le 1er?octobre 2014 dans d’autres domaines, les premières actions de groupe en concurrence feront l’objet d’une couverture médiatique significative. La gestion de la communication est également importante en matière d’action individuelle en réparation, l’enjeu étant ici d’éviter des actions «?en cascade?». Le développement des actions indemnitaires pourra également impacter les stratégies contentieuses des entreprises poursuivies. Le risque d’atteinte à leur réputation pourrait ainsi inciter certaines d’entre elles à privilégier des voies de règlement amiable des litiges (recours à la médiation ou à
la transaction).

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