Par Yves Tallendier, avocat associé, Capstan Avocats


Par un arrêt du 5 novembre 2014 (pourvoi n°13-16372), la Cour de cassation vient d’approuver la cour d’appel de Rennes, qui avait annulé la rupture conventionnelle conclue avec un salarié au motif que son consentement avait été vicié, car l’employeur lui avait fourni une information erronée sur le calcul de l'allocation chômage à laquelle il pouvait prétendre.

Il s’agit à l’évidence d’une décision d’espèce, dans laquelle la Cour de cassation n’a fait que rappeler le pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond en matière d’existence d’un vice du consentement. Accessoirement, on pourra s’étonner du fait que l’employeur assume en définitive la charge de l’exactitude d’une information dont il n’était pas débiteur, et trouver surprenant que le consentement du salarié semble résider davantage dans le niveau d’indemnisation attendu de Pôle emploi après la rupture que dans la rupture elle-même.

En apportant une nouvelle pierre à l’édifice du régime juridique de la rupture conventionnelle, l’arrêt met cependant en lumière un travers répandu en matière de droit social, tenant à l’appréciation parfois mouvante, voire incertaine, des règles applicables.

On rappellera ici que la rupture conventionnelle est née de la loi n° 2008-596 du 25 juin 2008, après avoir été conçue dans l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2008 : le dispositif est donc vieux de plus de six ans. Alors qu’il s’agit par nature d’une rupture convenue, soumise pour seule condition de fond à la liberté de consentement des parties, il est frappant de relever avec quelle constance l’administration puis la jurisprudence ont pu poser des exigences complémentaires et variables au fil du temps.

Pour ne rappeler que quelques exemples, on soulignera que l’administration avait initialement – et au-delà des prévisions du texte - exclu toute rupture conventionnelle en période de suspension du contrat pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle (Circ. DGT n° 2009-04, 17 mars 2009). Les cours d’appel d’Aix-en-Provence, de Bordeaux, de Montpellier, d’Orléans, de Poitiers, de Rouen… avaient adopté exactement la même position, tandis que celle de Lyon avait tenu une analyse contraire. Il aura fallu un arrêt de la Cour de cassation le 30 septembre 2014 (pourvoi n° 13-16.297) pour clore le débat en rappelant que, sauf en cas de fraude ou de vice du consentement, une rupture conventionnelle peut être valablement conclue au cours de la période de suspension consécutive à un accident du travail ou une maladie professionnelle : la solution affirmée n’est rien d’autre que le rappel du contenu de la loi, alors en vigueur depuis plus de six ans.
De la même manière, il aura fallu attendre le 23 mai 2013 (pourvoi n° 12-13.865) pour que soit affirmé le principe selon lequel l'existence d'un différend entre les parties au moment de sa conclusion n'affecte pas en elle-même la validité de la convention de rupture, mettant ainsi fin aux positions divergentes adoptées par les cours d’appel sur cette question.

Le propos n’est pas ici de s’interroger sur les raisons pour lesquelles l’administration ou le juge tendent parfois à « enrichir » le texte au-delà de son seul contenu, mais bien de mesurer les effets d’une telle situation. Ainsi, plus de cinq ans auront été nécessaires pour seulement clarifier la possibilité de conclure une rupture conventionnelle dans des contextes aussi répandus qu’un arrêt de travail d’origine professionnelle, ou la présence d’un différend entre les parties, et ce alors même que le texte ne posait aucune restriction. Peut-on raisonnablement se satisfaire d’un tel constat ?

Peut-on placidement admettre que, durant cette période, l’issue du même litige ait pu être diamétralement opposée selon qu’il relevait du ressort d’une cour d’appel ou d’une autre ?

La question n’est pas seulement intellectuelle : elle emporte (a emporté) des conséquences certaines pour les entreprises concernées, pour peu que l’on se souvienne que la rupture conventionnelle annulée produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

À l’heure où les différences catégorielles, même instaurées par voie d’accord collectif, sont soumises à un contrôle poussé d’objectivité et de pertinence ; où les mesures différenciées pouvant résulter d’accords d’établissement font l’objet du même examen, on ne peut que s’étonner de la relative résignation avec laquelle sont admises les longues phases d’harmonisation de la jurisprudence, et les solutions très contrastées qu’elles conduisent à devoir supporter.

Le ministre en charge de l’Économie et des Finances a récemment dénoncé trois « maladies » en France, au rang desquelles figure la complexité : « le poids des lois et des règlements est devenu insupportable. » Si tout effort de cohérence, de lisibilité, d’allégement, est bienvenu en ce domaine, il restera vain s’il n’est pas suivi d’une véritable prise en considération généralisée de ces mêmes impératifs au niveau judiciaire.

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