Par Dominique Mondoloni, avocat associé. Willkie Farr & Gallagher
L’illicéité des clauses attributives de juridiction dites «potestatives»
La première chambre civile de la Cour de cassation vient, dans un arrêt de la 1ère chambre civile du 26 septembre 2012, de mettre à rude épreuve les clauses de juridiction souvent appelées clauses de juridiction non exclusive par lesquelles les parties prévoient la compétence exclusive d’une juridiction en cas de litige tout en réservant à l’une d’elle la possibilité d’attraire l’autre partie devant tout autre tribunal par ailleurs également compétent.
Ces clauses sont loin d’être inhabituelles ; on les retrouve, en matière financière, dans les modèles proposés par les organisations professionnelles et, notamment, dans les modèles proposés par la Loan Market Association (LMA). En France, elles sont couramment employées dans la documentation bancaire des prêts accordés dans le cadre des financements d’acquisition.
La clause attributive de compétence
Dans cette affaire, le demandeur avait conclu, par l’intermédiaire de la Compagnie Financière Edmond de Rothschild dont le siège est à Paris, une convention aux termes de laquelle il avait confié à la banque une somme de 1 700 000 euros. La somme a été placée sur un compte bancaire de la société Banque Privée Edmond de Rothschild Europe dont le siège est au Luxembourg. Reprochant à la banque une baisse importante de la performance de ses placements, le demandeur avait assigné la banque et la société financière en paiement de dommages et intérêts devant le tribunal de grande instance de Paris.
La documentation bancaire relative à l’ouverture du compte stipulait que le contrat était régi par le droit luxembourgeois et comportait une clause attributive de compétence au profit des tribunaux luxembourgeois. La clause était précisément libellée ainsi : « Les relations entre la Banque et le Client sont soumises au droit luxembourgeois. Les litiges éventuels entre le Client et la Banque seront soumis à la juridiction exclusive des tribunaux de Luxembourg. La banque se réserve toutefois le droit d’agir au domicile du client ou devant tout autre tribunal compétent à défaut de l’élection de juridiction qui précède ».
Se prévalant de la clause, la banque a fait valoir l’incompétence de la juridiction parisienne au profit des juridictions luxembourgeoises. Pour rejeter le déclinatoire de compétence, le juge de la mise en état, puis la cour d’appel, ont estimé que celle-ci devait être réputée non écrite dès lors qu’elle ne liait que le seul client, la clause ayant abandonné à la banque le choix de saisir toute autre juridiction compétente, à sa seule discrétion.
L’arrêt de la 1ère chambre du 26 septembre 2012, pour rejeter le pourvoi et confirmer l’arrêt, a ajouté que de telles clauses, qui « ne liai[en]t, en réalité, que [le client] », « revêtai[en] t un caractère potestatif à l’égard de la banque, de sorte qu’elle était contraire à l’objet et à la finalité de la prorogation de compétence ouverte par l’article 23 du règlement Bruxelles I ».
Ce litige, qui opposait un particulier à un établissement de crédit, aurait pu trouver une solution identique sur le terrain de l’article 17 du règlement 44/2001, qui rappelle qu’il ne peut être dérogé par des conventions aux dispositions spéciales en matière de contrats conclus par des consommateurs que pour autant que lesdites conventions sont postérieures à la naissance du différend ou qui permettent au consommateur de saisir d’autres tribunaux que ceux normalement compétents en vertu de l’article 15. C’est en tout cas sur le terrain de l’article 23 du règlement 44/2001 que la question a été tranchée, ce qui donne à l’arrêt une portée beaucoup plus grande. Car la solution retenue ne se limite pas aux relations entre consommateurs et professionnels mais a vocation, plus largement, à s’appliquer à tous les rapports contractuels, y compris entre professionnels.
Un arrêt surprenant
Les clauses attributives de juridiction qui donnent un avantage à une partie par rapport à son cocontractant n’ont, en droit communautaire, jamais présenté de difficultés particulières si ce n’est, parfois, la nécessaire recherche de l’intention des parties lorsque les clauses étaient stipulées de manière ambiguë ou implicite. La Cour de Justice s’était du reste prononcée sur ce point dans l’affaire Rudolf Anterist c/Crédit Lyonnais du 24 juin 1986 affaire 22/85 et avait indiqué à cette occasion que, pour déterminer si une clause attributive de juridiction a été consentie au profit d’une seule partie, il y avait lieu de rechercher la commune intention des parties précisant qu’il était nécessaire que « la volonté commune d’avantager l’une des parties ressorte clairement, soit des termes de la clause, soit de l’ensemble des indices révélés dans le contrat ou les circonstances qui ont entouré la conclusion de celui-ci ».
En outre, l’article 17 de la Convention de Bruxelles prévoyait expressément que si une clause attributive de juridiction n’a été stipulée qu’en faveur d’une seule des parties, celle-ci pouvait y renoncer, ce qui validait, en creux, le principe même de ces clauses. Cette précision a disparu de l’article 23 du Règlement 44/2001. Pourtant, la licéité de ces clauses, au regard du droit communautaire, n’aurait dû poser aucune difficulté et l’arrêt de la Cour d’appel déféré à la censure de la Cour de cassation le concède volontiers précisant que « si l’article 23 du Règlement ne vise pas, contrairement à l’article 17 des conventions [de Bruxelles et de Lugano] la clause stipulée en faveur d’une seule partie, il ne remet pas en cause les principes édictés par cet article et selon lequel « si une convention attributive de juridiction n’a été stipulée qu’en faveur de l’une des parties, ceux-ci conservent le droit de saisir tout autre tribunal compétent en vertu de la présente convention ».
Pour réputer néanmoins non écrite la clause litigieuse, la cour d’appel, approuvée en cela par la Cour de cassation, a estimé que si ce principe permettait de considérer comme valable les clauses exprimant clairement la volonté commune d’avantager l’une des parties, il n’autorisait pas en revanche une clause « à abandonner à une partie le choix d’une quelconque juridiction à sa discrétion».
Une vigilance accrue dans la rédaction des contrats
La solution adoptée par la Cour de cassation va obliger les rédacteurs de contrats à être particulièrement vigilants à la rédaction des clauses attributives de juridiction. S’il est légitime d’avantager une partie par rapport à l’autre, il est en revanche interdit, selon les enseignements de l’arrêt, d’enfermer l’une des parties, tout en laissant à l’autre une latitude plus ou moins grande de choisir la juridiction devant laquelle elle pourrait porter les différends pour lesquels elle serait demanderesse.
Par prudence, l’on suggérera aux rédacteurs d’abandonner toutes clauses qui favorisent une partie, dans le choix de la juridiction compétente, ou qui limitent le choix de l’une d’elle par rapport à l’autre.
Ces clauses sont loin d’être inhabituelles ; on les retrouve, en matière financière, dans les modèles proposés par les organisations professionnelles et, notamment, dans les modèles proposés par la Loan Market Association (LMA). En France, elles sont couramment employées dans la documentation bancaire des prêts accordés dans le cadre des financements d’acquisition.
La clause attributive de compétence
Dans cette affaire, le demandeur avait conclu, par l’intermédiaire de la Compagnie Financière Edmond de Rothschild dont le siège est à Paris, une convention aux termes de laquelle il avait confié à la banque une somme de 1 700 000 euros. La somme a été placée sur un compte bancaire de la société Banque Privée Edmond de Rothschild Europe dont le siège est au Luxembourg. Reprochant à la banque une baisse importante de la performance de ses placements, le demandeur avait assigné la banque et la société financière en paiement de dommages et intérêts devant le tribunal de grande instance de Paris.
La documentation bancaire relative à l’ouverture du compte stipulait que le contrat était régi par le droit luxembourgeois et comportait une clause attributive de compétence au profit des tribunaux luxembourgeois. La clause était précisément libellée ainsi : « Les relations entre la Banque et le Client sont soumises au droit luxembourgeois. Les litiges éventuels entre le Client et la Banque seront soumis à la juridiction exclusive des tribunaux de Luxembourg. La banque se réserve toutefois le droit d’agir au domicile du client ou devant tout autre tribunal compétent à défaut de l’élection de juridiction qui précède ».
Se prévalant de la clause, la banque a fait valoir l’incompétence de la juridiction parisienne au profit des juridictions luxembourgeoises. Pour rejeter le déclinatoire de compétence, le juge de la mise en état, puis la cour d’appel, ont estimé que celle-ci devait être réputée non écrite dès lors qu’elle ne liait que le seul client, la clause ayant abandonné à la banque le choix de saisir toute autre juridiction compétente, à sa seule discrétion.
L’arrêt de la 1ère chambre du 26 septembre 2012, pour rejeter le pourvoi et confirmer l’arrêt, a ajouté que de telles clauses, qui « ne liai[en]t, en réalité, que [le client] », « revêtai[en] t un caractère potestatif à l’égard de la banque, de sorte qu’elle était contraire à l’objet et à la finalité de la prorogation de compétence ouverte par l’article 23 du règlement Bruxelles I ».
Ce litige, qui opposait un particulier à un établissement de crédit, aurait pu trouver une solution identique sur le terrain de l’article 17 du règlement 44/2001, qui rappelle qu’il ne peut être dérogé par des conventions aux dispositions spéciales en matière de contrats conclus par des consommateurs que pour autant que lesdites conventions sont postérieures à la naissance du différend ou qui permettent au consommateur de saisir d’autres tribunaux que ceux normalement compétents en vertu de l’article 15. C’est en tout cas sur le terrain de l’article 23 du règlement 44/2001 que la question a été tranchée, ce qui donne à l’arrêt une portée beaucoup plus grande. Car la solution retenue ne se limite pas aux relations entre consommateurs et professionnels mais a vocation, plus largement, à s’appliquer à tous les rapports contractuels, y compris entre professionnels.
Un arrêt surprenant
Les clauses attributives de juridiction qui donnent un avantage à une partie par rapport à son cocontractant n’ont, en droit communautaire, jamais présenté de difficultés particulières si ce n’est, parfois, la nécessaire recherche de l’intention des parties lorsque les clauses étaient stipulées de manière ambiguë ou implicite. La Cour de Justice s’était du reste prononcée sur ce point dans l’affaire Rudolf Anterist c/Crédit Lyonnais du 24 juin 1986 affaire 22/85 et avait indiqué à cette occasion que, pour déterminer si une clause attributive de juridiction a été consentie au profit d’une seule partie, il y avait lieu de rechercher la commune intention des parties précisant qu’il était nécessaire que « la volonté commune d’avantager l’une des parties ressorte clairement, soit des termes de la clause, soit de l’ensemble des indices révélés dans le contrat ou les circonstances qui ont entouré la conclusion de celui-ci ».
En outre, l’article 17 de la Convention de Bruxelles prévoyait expressément que si une clause attributive de juridiction n’a été stipulée qu’en faveur d’une seule des parties, celle-ci pouvait y renoncer, ce qui validait, en creux, le principe même de ces clauses. Cette précision a disparu de l’article 23 du Règlement 44/2001. Pourtant, la licéité de ces clauses, au regard du droit communautaire, n’aurait dû poser aucune difficulté et l’arrêt de la Cour d’appel déféré à la censure de la Cour de cassation le concède volontiers précisant que « si l’article 23 du Règlement ne vise pas, contrairement à l’article 17 des conventions [de Bruxelles et de Lugano] la clause stipulée en faveur d’une seule partie, il ne remet pas en cause les principes édictés par cet article et selon lequel « si une convention attributive de juridiction n’a été stipulée qu’en faveur de l’une des parties, ceux-ci conservent le droit de saisir tout autre tribunal compétent en vertu de la présente convention ».
Pour réputer néanmoins non écrite la clause litigieuse, la cour d’appel, approuvée en cela par la Cour de cassation, a estimé que si ce principe permettait de considérer comme valable les clauses exprimant clairement la volonté commune d’avantager l’une des parties, il n’autorisait pas en revanche une clause « à abandonner à une partie le choix d’une quelconque juridiction à sa discrétion».
Une vigilance accrue dans la rédaction des contrats
La solution adoptée par la Cour de cassation va obliger les rédacteurs de contrats à être particulièrement vigilants à la rédaction des clauses attributives de juridiction. S’il est légitime d’avantager une partie par rapport à l’autre, il est en revanche interdit, selon les enseignements de l’arrêt, d’enfermer l’une des parties, tout en laissant à l’autre une latitude plus ou moins grande de choisir la juridiction devant laquelle elle pourrait porter les différends pour lesquels elle serait demanderesse.
Par prudence, l’on suggérera aux rédacteurs d’abandonner toutes clauses qui favorisent une partie, dans le choix de la juridiction compétente, ou qui limitent le choix de l’une d’elle par rapport à l’autre.