Par Antoine Chatain, avocat associé, et Jean-Yves Demay, avocat. Chatain & Associés
Responsabilité de l’associé vis-à-vis des tiers?: une faute détachable est exigée
La responsabilité de l’associé d’une société commerciale est susceptible d’être engagée à l’égard des tiers lorsque celui-ci s’est rendu coupable d’une faute intentionnelle d’une particulière gravité, incompatible avec l’exercice normal des prérogatives attachées à la qualité d’associé.
En 2003 (1), la Chambre commerciale de la Cour de cassation abandonnait le critère organique de la notion de faute séparable au profit d’une conception morale de cette faute. Presque onze ans plus tard, et après que le mouvement de subjectivisation ainsi amorcé ait consacré in fine une conception de la faute séparable reposant sur le standard du dirigeant professionnel normalement compétent, loyal et diligent, la cour régulatrice étend ce régime de responsabilité. Aux termes d’un arrêt en date du 18 février 2014 (2), ayant reçu les honneurs d’une publication au Bulletin, la Chambre commerciale de la Cour de cassation décide qu’associés et dirigeants seront désormais responsables vis-à-vis des tiers dans les mêmes conditions.
L’arrêt du 18 février 2014
Les faits à l’origine de cette décision, dont le moindre intérêt n’est pas que d’être la première en ce sens, se présentaient de la manière suivante. En avril 1985, Monsieur X. a conclu un contrat d’adhésion avec la société holding d’un groupe de distribution alimentaire en vue de l’exploitation d’un point de vente sous l’enseigne du distributeur. Pour les besoins de l’opération, il était spécialement constitué une société par actions simplifiée, la société M., présidée et détenue majoritairement par Monsieur X., et dans le capital de laquelle la société holding décidait d’acquérir une participation symbolique (une action). Les associés décidaient en outre d’inscrire dans les statuts de la société M. une règle d’unanimité pour les décisions collectives extraordinaires, applicable pendant une durée minimale de quinze ans, et pouvant ensuite être convertible en règle de majorité simple, à l’initiative de l’actionnaire majoritaire, prérogative dont le minoritaire n’avait peut-être alors pas tout à fait mesuré l’ampleur des conséquences possibles. Subséquemment, la société M. et Monsieur X., intervenant personnellement en qualité d’adhérent, ont conclu avec la société holding plusieurs contrats d’enseignes successifs. Renvoyant aux statuts de la société M., le dernier contrat en vigueur, en date 30?avril 2009, prévoyait qu’il expirerait à la date d’effet de la modification de la règle d’unanimité. En parallèle, et le 25?août 2008, la société M. et une centrale d’approvisionnement du groupe de distribution, filiale de la société holding, ont conclu une convention prévoyant le développement d’un nouveau concept de vente, financé par un budget d’accompagnement. En contrepartie de l’octroi des fonds, la société M. s’engageait pendant une durée de cinq ans au moins à maintenir l’exploitation de son fonds de commerce sous l’enseigne du distributeur, ainsi qu’à «?ne rien faire qui puisse, dans ce délai, affecter l’usage de l’enseigne.?» La suite se devine : fin décembre?2009, anticipant l’expiration de l’obligation de maintien de la règle statutaire d’unanimité, Monsieur X. a informé le minoritaire de ce qu’il entendait exercer son option, et convertir ainsi la règle d’unanimité en majorité simple. Par un effet de domino en raison de l’interdépendance entre les contrats et les statuts, tant le contrat d’enseigne que la convention furent alors résiliés de plein droit le 28?juin 2010, à la date de la modification statutaire. Invoquant la violation des obligations souscrites dans le cadre de la convention, la société holding et sa filiale, lésées, ont alors recherché la responsabilité de la société M., mais également de Monsieur X., ès qualités d’actionnaire majoritaire. Les défendeurs sont condamnés in solidum par la cour d’appel de Paris le 22?novembre 2012, mais la Cour de cassation censure finalement partiellement l’arrêt, reprochant aux juges d’appel de pas avoir recherché si la modification statutaire litigieuse votée par Monsieur X. constituait de sa part une faute intentionnelle d’une particulière gravité, incompatible avec l’exercice normal des prérogatives attachées à la qualité d’associé.
Les contours de la faute détachable de l’associé
Comme le pressentait la doctrine autorisée, au lendemain d’un arrêt rendu par la Cour de cassation le 12 mars 2013 (3), la haute juridiction considère que, vis-à-vis des tiers, les responsabilités du dirigeant et de l’associé doivent se résoudre en termes identiques. Est ainsi exigée la démonstration d’une faute (i) intentionnelle, (ii) d’une particulière gravité, (iii) et incompatible avec l’exercice normal des prérogatives inhérentes à la fonction. Les critères de la faute détachable étant restrictifs, l’application de ce régime de responsabilité reste exceptionnel ; la censure de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 22?novembre 2012 ne fait que le confirmer, et démontre qu’il est difficile d’inscrire le comportement de l’actionnaire, fût-il empreint de malice, dans le cadre étroit de la faute détachable ainsi définie. En l’espèce, s’il n’était pas douteux en effet que Monsieur X. n’ignorait pas les conséquences qu’aurait inévitablement une modification de la règle statutaire sur les contrats de distribution en vigueur, et qu’il ait voté avec l’intention évidente d’avantager la société M., il n’en demeurait pas moins difficilement contestable, selon une stricte orthodoxie juridique, que le vote d’une telle résolution ne constituait toutefois pour lui que l’exercice normal de ses pouvoirs d’actionnaire. L’abus de majorité ne paraissait pas non plus le terrain de sanction approprié, tant il est probable que l’actionnaire majoritaire eût pu vraisemblablement arguer que le sens de son vote était conforme à l’intérêt social. L’existence de la personnalité morale de la structure sociétaire, et l’«?écran?» qu’elle conduit à interposer entre le mandataire social, et désormais l’actionnaire, et les tiers, reste une protection efficace. Efficace mais certainement pas infaillible, car son effet restera en toute hypothèse soumis à un aléa judiciaire, dépendant de l’appréciation, nécessairement subjective, des juges du fond de cette normalité de l’exercice des prérogatives sociales.
1 Cass. com., 20 mai 2003, n°99-17092
2 Cass. com., 18 février 2014, n°12-29752
3 Cass. com., 12 mars 2003, n°12-11514 ; La faute séparable des fonctions… de l’associé, Bruno Dondero, Revue des sociétés 2013, p.346
En 2003 (1), la Chambre commerciale de la Cour de cassation abandonnait le critère organique de la notion de faute séparable au profit d’une conception morale de cette faute. Presque onze ans plus tard, et après que le mouvement de subjectivisation ainsi amorcé ait consacré in fine une conception de la faute séparable reposant sur le standard du dirigeant professionnel normalement compétent, loyal et diligent, la cour régulatrice étend ce régime de responsabilité. Aux termes d’un arrêt en date du 18 février 2014 (2), ayant reçu les honneurs d’une publication au Bulletin, la Chambre commerciale de la Cour de cassation décide qu’associés et dirigeants seront désormais responsables vis-à-vis des tiers dans les mêmes conditions.
L’arrêt du 18 février 2014
Les faits à l’origine de cette décision, dont le moindre intérêt n’est pas que d’être la première en ce sens, se présentaient de la manière suivante. En avril 1985, Monsieur X. a conclu un contrat d’adhésion avec la société holding d’un groupe de distribution alimentaire en vue de l’exploitation d’un point de vente sous l’enseigne du distributeur. Pour les besoins de l’opération, il était spécialement constitué une société par actions simplifiée, la société M., présidée et détenue majoritairement par Monsieur X., et dans le capital de laquelle la société holding décidait d’acquérir une participation symbolique (une action). Les associés décidaient en outre d’inscrire dans les statuts de la société M. une règle d’unanimité pour les décisions collectives extraordinaires, applicable pendant une durée minimale de quinze ans, et pouvant ensuite être convertible en règle de majorité simple, à l’initiative de l’actionnaire majoritaire, prérogative dont le minoritaire n’avait peut-être alors pas tout à fait mesuré l’ampleur des conséquences possibles. Subséquemment, la société M. et Monsieur X., intervenant personnellement en qualité d’adhérent, ont conclu avec la société holding plusieurs contrats d’enseignes successifs. Renvoyant aux statuts de la société M., le dernier contrat en vigueur, en date 30?avril 2009, prévoyait qu’il expirerait à la date d’effet de la modification de la règle d’unanimité. En parallèle, et le 25?août 2008, la société M. et une centrale d’approvisionnement du groupe de distribution, filiale de la société holding, ont conclu une convention prévoyant le développement d’un nouveau concept de vente, financé par un budget d’accompagnement. En contrepartie de l’octroi des fonds, la société M. s’engageait pendant une durée de cinq ans au moins à maintenir l’exploitation de son fonds de commerce sous l’enseigne du distributeur, ainsi qu’à «?ne rien faire qui puisse, dans ce délai, affecter l’usage de l’enseigne.?» La suite se devine : fin décembre?2009, anticipant l’expiration de l’obligation de maintien de la règle statutaire d’unanimité, Monsieur X. a informé le minoritaire de ce qu’il entendait exercer son option, et convertir ainsi la règle d’unanimité en majorité simple. Par un effet de domino en raison de l’interdépendance entre les contrats et les statuts, tant le contrat d’enseigne que la convention furent alors résiliés de plein droit le 28?juin 2010, à la date de la modification statutaire. Invoquant la violation des obligations souscrites dans le cadre de la convention, la société holding et sa filiale, lésées, ont alors recherché la responsabilité de la société M., mais également de Monsieur X., ès qualités d’actionnaire majoritaire. Les défendeurs sont condamnés in solidum par la cour d’appel de Paris le 22?novembre 2012, mais la Cour de cassation censure finalement partiellement l’arrêt, reprochant aux juges d’appel de pas avoir recherché si la modification statutaire litigieuse votée par Monsieur X. constituait de sa part une faute intentionnelle d’une particulière gravité, incompatible avec l’exercice normal des prérogatives attachées à la qualité d’associé.
Les contours de la faute détachable de l’associé
Comme le pressentait la doctrine autorisée, au lendemain d’un arrêt rendu par la Cour de cassation le 12 mars 2013 (3), la haute juridiction considère que, vis-à-vis des tiers, les responsabilités du dirigeant et de l’associé doivent se résoudre en termes identiques. Est ainsi exigée la démonstration d’une faute (i) intentionnelle, (ii) d’une particulière gravité, (iii) et incompatible avec l’exercice normal des prérogatives inhérentes à la fonction. Les critères de la faute détachable étant restrictifs, l’application de ce régime de responsabilité reste exceptionnel ; la censure de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 22?novembre 2012 ne fait que le confirmer, et démontre qu’il est difficile d’inscrire le comportement de l’actionnaire, fût-il empreint de malice, dans le cadre étroit de la faute détachable ainsi définie. En l’espèce, s’il n’était pas douteux en effet que Monsieur X. n’ignorait pas les conséquences qu’aurait inévitablement une modification de la règle statutaire sur les contrats de distribution en vigueur, et qu’il ait voté avec l’intention évidente d’avantager la société M., il n’en demeurait pas moins difficilement contestable, selon une stricte orthodoxie juridique, que le vote d’une telle résolution ne constituait toutefois pour lui que l’exercice normal de ses pouvoirs d’actionnaire. L’abus de majorité ne paraissait pas non plus le terrain de sanction approprié, tant il est probable que l’actionnaire majoritaire eût pu vraisemblablement arguer que le sens de son vote était conforme à l’intérêt social. L’existence de la personnalité morale de la structure sociétaire, et l’«?écran?» qu’elle conduit à interposer entre le mandataire social, et désormais l’actionnaire, et les tiers, reste une protection efficace. Efficace mais certainement pas infaillible, car son effet restera en toute hypothèse soumis à un aléa judiciaire, dépendant de l’appréciation, nécessairement subjective, des juges du fond de cette normalité de l’exercice des prérogatives sociales.
1 Cass. com., 20 mai 2003, n°99-17092
2 Cass. com., 18 février 2014, n°12-29752
3 Cass. com., 12 mars 2003, n°12-11514 ; La faute séparable des fonctions… de l’associé, Bruno Dondero, Revue des sociétés 2013, p.346